Moussa Ali, 47 ans, est agriculteur à Say, un département situé dans la partie sud-ouest de la région de Tillabéri, République du Niger à quelques 55 kilomètres de Niamey. Cet homme, marié à deux femmes et père de 9 enfants nous montre son grenier à l’extrémité de la commune. Aucun épi de mil à l’intérieur, à peine cinq mois après les récoltes. Normal puisque la campagne agricole 2020-2021 a été déficitaire ici et un peu partout dans le pays.
Selon le gouvernement, plus de 6,5 millions de Nigériens sont en situation d’insécurité alimentaire dont 2.5 millions en besoin d’urgence. Il ressort de la synthèse de la campagne agro-sylvo-pastoral et hydraulique faite par le gouvernement que sur les 12.816 villages agricoles que compte le pays, 6.430 sont en difficulté alimentaire en raison de la mauvaise campagne agricole de 2021. La région de Dosso est la plus touchée avec 800 villages qui sont déficitaires sur 1900, dont 80% en situation d’urgence. Vient Tahoua avec 1078 villages agricoles sur 1832 déclarés déficitaires à plus de 50% pour 2.309.653 habitants, suivie de la région de Zinder, 1193 villages déficitaires sur les 3500 soit plus 34%. Enfin selon les chiffres officiels dans la région de Tillabéri, 1.768 villages agricoles de la région qui en compte 2.140 ont enregistré des déficits supérieurs à 50%.
Dans la région de Tillabéri où se trouve le département de Say, ce sont 600 mille personnes qui sont affectées par l’insécurité alimentaire selon les résultats de la mission d’évaluation de la campagne. Moussa Ali, habitant de Say fait partie de ces personnes. «Dans les années antérieures, j’arrivais à récolter 10 botes de mil dans mon champ, mais cette année j’en suis à deux bottes», a-t-il indiqué.
Une situation agricole déficitaire aggravée par l’insécurité à Say
Avec une population estimée à 176.000 habitants, composés majoritairement de peulhs, de zarma songhay, et une minorité de haoussa, l’agriculture, l’élevage la pêche et le commerce sont les principales activités du département de Say. L’insécurité liée aux attaques terroristes doublées d’une mauvaise campagne agricole a plongé la population dans une situation alimentaire difficile. Un tour chez certains vendeurs de céréales de la ville permet de constater une hausse de prix des denrées alimentaires. Une situation qui se répercute davantage sur le pouvoir d’achat déjà faible des populations. Les prix des produits, dont le mil, le maïs, le niébé, ont connu une hausse à la fin de l’année 2021, selon Issoufou Amadou, un vendeur de céréales en détail, le sac de 100 kg de mil est à 26.000 francs CFA, la tasse à 750 francs CFA ; le sac de maïs est lui estimé à 25.000 francs CFA. En ce qui concerne le haricot, le sac de 50kg est à 30.000 francs CFA, la tasse à 1500 francs CFA. Cette situation a des conséquences sur les ménages notamment les enfants dont le taux de malnutrition ne cesse de grimper dans le département et aux alentours. Selon Soumana Hassan Salif, représentant de l’Organisation Non Gouvernementale (ONG) Aide International Service connu sous le nom de ‘’AIS’’ qui intervient dans le domaine de la malnutrition, s’il y a un risque d’insécurité alimentaire dans une localité, les enfants sont les plus touchés.
Les réponses du gouvernement
Lors d’une rencontre avec les partenaires au développement du Niger, le 23 novembre 2021, le Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou a annoncé un plan d’urgence de 160 milliards FCFA, pour venir en aide aux populations. Selon le Premier ministre, ce plan sera complété par un plan de soutien qui va couvrir la période de novembre 2021 à novembre 2022 soit une année entière. Globalement environ 6.491.692 personnes sont dans le besoin d’assistance alimentaire et 2.393.810 pour l’assistance nutritionnelle. Ainsi, pour venir en aide aux populations affectées par le déficit céréalier de la campagne agricole, le gouvernement a lancé la campagne nationale de vente des céréales à prix modéré, le 19 février 2022. La vente des céréales à prix modéré rentre dans le cadre du plan de soutien aux personnes vulnérables et permet au gouvernement de venir en appui aux populations en insécurité alimentaire. L’objectif de ces ventes hautement appréciées pour les populations est de rendre les céréales accessibles et à des coûts raisonnables. Pour cette année 2022, le gouvernement a pris la décision de mettre en vente 80.000 tonnes de céréales sur l’ensemble du territoire, allant de février à septembre prochain. Environ 150.000 ménages seront concernés par la vente à prix modéré, soit 10.050.000 personnes.
Au-delà de cette réponse conjoncturelle, l’Etat nigérien a, depuis une décennie, fait de l’insécurité alimentaire une de ces préoccupations majeures. C’est pourquoi dès son accession à la magistrature suprême en avril 2011, l’ancien Président de la République Issoufou Mahamadou a lancé le programme 3N, ‘’les Nigériens nourrissent les Nigériens’’. L’objectif de cet ambitieux programme est de «mettre les Nigériens à l’abri de la famine et de la soif». L’initiative 3N est constituée d’un programme d’investissement qui permettra au Niger d’accéder à l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), actuel ODD. «Le peuple nigérien a un immense défi; un défi qui a un rapport avec sa dignité et son honneur. Le défi de l’éradication de la faim. Il est choquant que de manière récurrente, nous soyons réduits à mendier notre pain quotidien auprès des autres peuples. Comme en témoignent les dernières élections, notre peuple a conquis la liberté politique. Il lui reste maintenant à réaliser l’alliance de la liberté et du pain. Le gouvernement s’attaquera à la réalisation des «3 N». Cela est possible car en plus des eaux de surface comme le fleuve Niger, nous disposons d’immenses gisements d’eau souterraine. Cela est possible car nous avons des terres irrigables, en mobilisant toutes ces ressources ainsi que les eaux pluviales, les sécheresses récurrentes ne seront plus synonymes de famine», disait l’ancien Président M. Issoufou Mahamadou le 7 Avril 2011, lors de son investiture à la magistrature suprême du pays.
Le Niger est considéré comme un pays qui a une forte potentialité agricole, domaine qui occupe 80% de la population rurale. L’agriculture et l’élevage représentent formellement les activités les plus importantes de l’économie. Cependant l’insécurité alimentaire prend de l’ampleur dans le monde rural. Alors, pour remédier à cette situation le gouvernement nigérien a mis en place un dispositif de modernisation et de transformation du monde rural à travers l’utilisation des techniques culturales modernes, l’accès à l’eau et aux chaines de valeurs des productions agro sylvo-pastorales, d’où la création des sites d’apprentissage agricole dans le pays. Celui de Say se situe à quelques kilomètres de Dalway à 9,5 km du chef-lieu de la ville dans la partie nord et à 45km de Niamey. Ce site est installé sur une superficie de cinq (5) hectares. C’est une initiative financée par la Banque Mondiale à travers le projet de Développement des compétences pour la croissance (PRODEC) et mise en œuvre par le Fonds d’Appui à la Formation Professionnelle et à l’Apprentissage (FAFPA).
Selon Ali Mounkaila, qui en est le gestionnaire, le site a ouvert ses portes le 5 avril 2021. Un gestionnaire dirige le site sous le contrôle du comité de gestion composé de 9 membres. Le site compte des apprenants déscolarisés et non scolarisés recrutés dans les villages environnants et dans le chef-lieu de la commune. Ces apprenants sont encadrés pour (3) formations exogènes qui sont l’Agriculture, l’Elevage et la Pisciculture et (6) endogènes dont le machinisme, la transformation, la pisciculture, l’élevage, l’alphabétisation et l’agriculture. Toujours selon Ali Mounkaila, les apprenants passent quatre mois de formation et après ils seront en stage pratique. Auparavant chaque recrue amène un certificat d’engagement des parents signé par le père à défaut par le parent présent ; ce qui certifie que les parents de l’apprenant doivent donner un petit terrain afin qu’il puisse mettre en pratique les connaissances qu’il a apprises sur le site.
Concernant les infrastructures M. Ali Mounkaila explique que le centre est divisé en six (6) espaces notamment la Production Agricole avec des parcelles de démonstration, d’expérimentation et d’arboricultures. Deux magasins sont construits sur cet espace, un bâtiment de machinisme ou sont stockés toutes les machines liées à la production agricole. Un réseau hydrique y est aussi installé avec un forage et, trois (3) bassins d’eau. Des compostières sont aussi construites. Il y a l’espace de la production animale, composé d’un magasin, d’un bassin d’eau, des enclos pour la formation des caprins, des ovins, des bovins et de la volaille. Sur cet espace il y a aussi les abreuvoirs pour volaille, petits ruminants, des mangeoires, des perchoirs pour la volaille, des couveuses et autres petits matériels. Celui de la transformation agricole dispose d’un bâtiment de transformation, d’un magasin et d’une terrasse servant d’espace de séchage. A ce niveau aussi plusieurs matériels sont disponibles. Pour la Pisciculture, l’espace est équipé de deux bassins à poisson et des filets. Quant aux salles d’alphabétisation, elles ont deux bâtiments, un pour cours théoriques et l’autre pour le bureau de COGES. La salle de cours est équipée de 15 tables bancs et un bureau pour le formateur. De ce fait, les déscolarisés et les non scolarisés peuvent devenir des entrepreneurs. «Pour moi c’est une façon de lutter contre la pauvreté d’une part et d’autre part reduire le chômage et la délinquance», dit Ali Mounkaila. Ainsi, à leur sortie de formation, ces jeunes apprenants de 15 à 25 ans bénéficieront des diplômes qui attestent qu’ils sont prêts à mettre en pratique leurs connaissances et qu’ils peuvent entreprendre leurs propres activités dans ces domaines.
Des initiatives individuelles et collectives
Comme à l’accoutumée chaque année depuis 2011, les maraîchers de la région d’Agadez s’organisent pour venir exposer et vendre leurs produits à Niamey en partenariat avec le gouvernement nigérien dans le cadre de la valorisation de la production nigérienne et pour inciter la population à consommer local. Ainsi, le constat pour cette année révèle une grande évolution par rapport aux autres éditions, notamment la 10ème édition qui a été impactée par la crise sanitaire liée au COVID -19.
Cette année, les producteurs sont repartis sur cinq sites dont celui de la Place Toumo qui est le principal. Durant un mois et 15 jours de prolongement, les habitants de Niamey ont l’opportunité de s’approvisionner en produits maraîchers d’Agadez. Cette opportunité se présente une seule fois par an dans la capitale. Selon Mohamed Alhassan représentant de l’union des coopératives de Tabelot, ils sont a un peu après 200 maraîchers venus d’un peu partout de la région d’Agadez notamment de Tabelot, Timia, Iferouāne, d’Agadez ville etc. Parmi ces produits, il y a des légumes (pomme de terre, oignons), des fruits (orange, mandarines, pamplemousses), des céréales, des épices (poivre blanc, poivre noir, piment rouge, ilateus), des plantes et même du poisson. «Nous avons amené des pommes de terre cultivées sur nos terres d’Agadez. Le sac est vendu à 25000 francs CFA et le kilo varie de 500 francs CFA à 600 francs CFA. Je vends aussi de l’ail, des oignons», avait déclaré Mohamed Alhassan. «J’ai amené aussi des plantes, et surtout le fameux Artemisia qui est considéré comme une plante efficace pour le traitement du paludisme, il y a aussi la plante qui s’appelle agalechine très populaire dans la lutte contre l’hémorroïde», ajoute Mohamed Alhassan le représentant de l’union des coopératives de Tabelot. Quant à Abdoullah Asgid vendeur de fruits, se dit satisfait de la clientèle : « moi je vends uniquement des fruits et le carton de 40 kilos d’oranges est à 28000 francs CFA, en détail ça varie de 800 francs CFA à 1000 francs CFA ; j’ai aussi des pamplemousses, mandarines, grenadines, raisins. Depuis l’ouverture de la foire les gens ne cessent de venir acheter surtout le produit le plus demandé sont le pamplemousse», a-t-il dit. Fati, une cliente rencontrée à la Place Toumo, se réjouit de la disponibilité des produits sur le marché : «vraiment les prix sont abordables», dit-elle.
C’est dans un environnement difficile et malgré le climat aride de leur région désertique que les maraîchers d’Agadez ont acquis une renommée dans la production des fruits, légumes, épices et tubercules. Cependant, ces derniers temps la clientèle se montre timide. Cette année selon le secrétaire à l’organisation M. Harouna Asgid ils ont amené 5342 cartons d’agrumes, 4560 sacs de pomme de terre.
Pour la petite l’histoire, la foire des maraîchers d’Agadez, a été initiée par un certain Souleymane Barka avec l’appui de l’ancien Premier ministre, M. Birgi Rafini qui a assuré le déplacement des produits. Ils se sont installés au tout début dans la ville au rond point Gadafawa au quartier Yantala et étaient 11 maraîchers.
Nonobstant le dévouement et la détermination de ces producteurs qui font la promotion des produits nigériens, ils sont confrontés à un problème d’enclavement dû au mauvais état de la route : «notre seul problème c’est la route, les routes ne sont pas bonnes à emprunter vraiment et c’est ce qui décourage certains de nos frères à participer à cette foire», souligne, Mohamed Alhassan l’air un peu déçu. Aussi, le vice-président de la fédération de la structure des maraîchers, M. Adam Ibrahim, évoque le manque de moyen de conditionnement de leurs produits frais sur le marché et lors du transport. D’où son appel aux autorités et aux partenaires pour aider ces braves producteurs de la région d’Agadez et aménager une chambre froide appropriée pour le stockage parce qu’il arrive que certains produits s’assèchent un peu et leur valeur chute. Ces jeunes n’ont pour seule activité que le maraichage. Ils contribuent d’une certaine façon à la lutte contre l’insécurité alimentaire à travers l’initiative des 3N (les nigériens nourrissent les nigériens). C’est pourquoi le Premier ministre du Niger lors de sa visite le 25 janvier 2022 sur les stands de la foire à la Place Toumo, s’est dit impressionné par la diversité des produits qui sont exposés et leur qualité. «On peut se rendre compte que rien que la Région d’Agadez est à mesure de nourrir une partie de la population», a-t-il apprécié. «C’est une foire qu’il faut encourager et nous allons les encourager pour qu’ils reviennent chaque année», a-t-il promis.
Balkissa Ibrahima Mahamane (Stagiaire)