
Tobey- Tobey ou Bani Koulé en Zarma, ou encore Tashé ou Assouré-Assouré en Haoussa, est une sorte de folklore sinon de carnaval qu’organisent, chaque année, les jeunes Nigériens, au cours du mois de Ramadan. En effet, dès le 10ème jour du mois béni, des jeunes gens, dont l’âge varie entre 7 à 15 ans, habillés en loques, badigeonnés de poudre, de cendre, de banco, maquillés en clowns, version locale, bref, dans une présentation totalement, ludique et amusante, sillonnent les rues, visitent les maisons et interceptent les passants pour présenter leurs numéros. Ces prestations accompagnées des sons de bouteilles, de boîtes, de tasses, de calebasses, des applaudissements et souvent des tam-tams, fabriqués à l’occasion mais aussi des pas de danse, permettent à ces jeunes non seulement de s’amuser, d’amuser et de faire rire les autres, durant ce mois béni, mais aussi et surtout de collecter quelques biens en nature et en espèce. Ces artistes amateurs et d’occasion, par le biais de leurs prestations, essayent d’imiter les animaux et de dénoncer les travers des humains, un peu à l’image des fables de la Fontaine. Sucre, riz, mil, sorgho, maïs, argent, tout passe, pour récompenser les efforts de ces jeunes. Ces prestations juvéniles, qui se pratiquent un peu partout au Niger, loin d’ennuyer les gens, attirent plutôt l’attention, la curiosité, le sourire, bref l’intérêt des passants ou des endroits visités.
Malheureusement, cette année 2020, les jeunes en particulier et les populations en général, n’ont pas eu droit à leur carnaval folklorique traditionnel, tant aimé et tant attendu. Cela à cause du Covid-19 avec son chapelet de mesures préventives : confinement, distanciation sociale, couvre-feu, etc. Boureïma Issoufa, 14 ans, un habituel pratiquant de Tobey-Tobey, du quartier Boukoki de Niamey, se dit désolé : «C’est une triste année pour nous car nous n’avons pas pu faire notre passion favorite de ce mois de carême qu’est le Tobey-Tobey. A cause de cette maudite maladie du coronavirus. D’habitude, chaque année, nous évoluons à cinq, pour faire du Tobey-Tobey. Nous visitons les quartiers, les boutiques, les mosquées et les maisons pour faire nos numéros. Nous imitons les singes, l’hyène, le lion, le chien, le bœuf, le lièvre, bref beaucoup d’animaux. Nous profitons aussi pour dénoncer certains comportements de certaines personnes envers les autres et envers la société ». « Ces prestations, que nous répétions avant d’aller sur la scène publique, nous font engranger beaucoup de choses. Nous recevons en récompense des céréales, de l’argent et même des habits. Une année, au cours d’une seule nuit, nous avons eu jusqu’à sept (7) mille FCFA et 9 tiya (mesures) de diverses céréales », ajoute-t-il. Issoufa reconnait que s’ils sont acceptés et même assistés par certaines personnes, d’autres par contre les chassent, souvent méchamment. Selon lui, tout cela fait partie du jeu.
Le Tobey-Tobey, un folklore culturel traditionnel à préserver
Mourzanatou Abdoukader, une écolière âgée de 12 ans, vivant au quartier Kalley Amirou, explique son Tobey-Tobey. «D’habitude, moi, je me tâche le corps avec de la cendre et pousse des hurlements pour jouer le rôle de l’hyène, l’animal opportuniste, charogne et qui vole les proies des autres. Je joue si bien ce rôle que certaines personnes me donnent, non pas des pièces mais des billets de cinq cents (500) voire mille (1.000) FCFA. Je me rappelle que lors d’une nuit de Tobey-Tobey, avec mes trois copines du groupe, nous avons engrangé six mille cinq cents (6.500) FCFA et de nombreuses mesures de céréales. Nos parents n’en revenaient pas quand nous leur avions montré notre butin», témoigne-t-elle. Selon Mourzanatou, contrairement aux garçons, les filles ne partagent pas sur place leur quête quotidienne. « Nous les filles, nous préférons emmagasiner tout ce que nous avons pu avoir : céréales, argent, habits, chez une de nos copines. A la fin du mois béni, donc avant la fête, après une vingtaine de jours de Tobey-Tobey, nous nous réunissons pour faire le bilan et procéder au partage, sous les yeux d’une de nos mamans. Il arrive qu’une fille s’en sorte avec cinq (5) mesures de céréales, dix mille (10.000) FCFA et quelques habits neufs ou usés », précise-t-elle. L’intérêt de la jeune fille n’est pas tant les biens qu’elle a gagnés, que celui de s’amuser et de distraire les autres, qui ont passé une journée entière de privation. « Je suis fière à chaque fois que je m’amuse, avec mes copines, tout en donnant de la joie dans les cœurs des gens et du sourire aux lèvres des personnes, en émerveillant tout ce beau monde, qui a passé une journée entière, sans boire ni manger», philosophe Mourzanatou. La jeune fille a regretté que de tout cela, rien ne fut cette année à cause du covid-19, qui les a contraintes, elle et ses amies à rester, durant tout ce mois, cloîtrées à la maison. «J’espère retrouver mon Tobey-Tobey l’année prochaine pour m’amuser, m’exploser mais aussi sensibiliser et gagner quelques chose. Tobey-Tobey, rendez-vous en 2021 ! », lance Mourzanatou. Ainsi, le mois béni de Ramadan, en plus de son caractère religieux est aussi une période de distraction culturelle pour les jeunes à travers le Tobey-Tobey ou Tashé. Cette pratique culturelle périodique, qui traverse un moment difficile à cause de moins en moins l’engouement des jeunes, aggravé cette année par la brusque apparition du Covid-19, nécessite l’effort des Nigériens pour sa préservation, sinon, à coup sûr, le Tobey-Tobey ou Tashé, tombera dans l’oubli. Vivement que l’année 2021 voit la relance et la renaissance de nos pratiques culturelles positives telles que le Tobey- Tobey ou Tashé ou encore Azouré-Azouré.
Comme on le voit, le Covid-19 n’a pas fait que des conséquences sanitaires et économiques, mais la culture aussi en a pris un coup.
Mahamadou Diallo(onep)