La protection et la préservation de l’environnement s’imposent à l’ensemble des nations et particulièrement les pays du Sahel qui subissent de plein fouet les effets du changement climatique. Au Niger, plusieurs initiatives ont été prises et continuent de l’être pour la préservation et la sauvegarde de l’environnement. Qu’elles soient portées par l’Etat ou les organisations nationales et internationales, la société civile, ces initiatives n’ont qu’un dénominateur commun : la préservation et l’équilibre des écosystèmes environnementaux. En effet, l’initiative pour l’arbre dont le promoteur est le chercheur Dr Seyni Bodo Bachirou s’inscrit dans la même démarche. Dans cet entretien, il partage avec nous les efforts qu’il déploie aussi bien dans le domaine de la recherche que sur le terrain pour une meilleure protection de l’environnement au Niger.
Docteur vous êtes fondateur de l’Initiative pour l’arbre, expliquez-nous la pertinence de cette démarche dans notre pays ?
«L’Initiative pour l’arbre» est une initiative éco citoyenne qui s’intéresse à la protection, la préservation de l’environnement à travers le reboisement, l’entretien des arbres, la lutte contre la désertification et le changement climatique et la promotion de l’éducation environnementale. Cette initiative tire sa pertinence au Niger sur le fait que notre pays est au 2/3 occupé par le désert et chaque année environ 200 000 ha des terres sont dégradées. La pauvreté est l’une des causes qui amplifient ce phénomène. La coupe du bois devient une alternative pour certains citoyens afin de faire face à la pauvreté. Les produits issus de cette coupe sont utilisés pour augmenter les revenus des populations, la construction des infrastructures, la production de l’énergie sous forme de bois d’énergie ou de charbon. Avec la fête de tabaski, la consommation du bois au Niger augmente de façon exponentielle. En une journée, la seule ville de Niamey consomme plus de 50.000 tonnes de bois pour la grillade des moutons, équivalant à 25.000 arbres abattus. En dépit de toutes ces contraintes, il faut noter que depuis quelques années les pays sahéliens ont connu des conflits armés et instabilités politiques qui ont provoqué le déplacement de milliers de personnes, des déplacés internes et des retournés contraints d’abandonner le droit à l’accès aux terres et aux actifs agricoles. Cependant, l’essartage pour l’ouverture des camps ou des sites et les prélèvements du bois énergie et ou de service pour les charpentes des abris se sont accentués au détriment des formations végétales environnantes. Cet afflux massif des personnes a donné lieu à la création de plusieurs camps et sites de réfugiés ou déplacés internes. Ces personnes déplacées ont naturellement des besoins qui se traduisent par une pression importante sur les ressources naturelles comme la terre, le bois, le pâturage, etc. D’après la FAO (2012), la destruction du couvert végétal par les réfugiés et les déplacés prive le sol de sa protection naturelle avec des conséquences néfastes pour le régime des eaux (baisse de la nappe phréatique) et accélère fortement l’érosion hydrique et éolienne. Il apparaît donc urgent de développer des initiatives qui permettent de reverdir le Niger et c’est dans ce cadre que s’inscrit Initiative pour l’arbre qui stipule que l’avenir d’un pays comme le Niger réside dans les arbres.
Vos axes de recherches portent principalement sur la compréhension de l’hétérogénéité de surface du sol et son influence sur la production des cultures dans les agrosystèmes sahéliens ; quels sont les résultats auxquels vous avez abouti ?
Les sols au Niger sont connus pour l’hétérogénéité de surface qui les caractérise. Cette hétérogénéité de surface sol est identifiée comme une caractéristique déterminante pour le potentiel de production des sols. Elle s’observe à l’échelle locale, intra ou inter-parcellaire à travers l’apparition des entités de surface homogènes disparates, chacune ayant des caractéristiques intrinsèques spécifiques. Elle est traduite par les modifications des états de surface, notamment la formation des croûtes de surface, les activités de la pédofaune, les changements dans la microtopographie et le couvert végétal. Liées à des facteurs climatiques et biologiques et l’impact des activités humaines, ces modifications influent sur le fonctionnement, l’état de fertilité, la qualité physique et chimique du sol.
Dans le cadre de nos travaux de thèse, nous avions mobilisé plusieurs approches scientifiques conciliant les sciences sociales, agro physiologiques, pédologiques et spatiales avec des drones de haute résolution pour la compréhension de l’hétérogénéité de surface du sol. Les résultats ont montré que les savoirs locaux sont bien développés par les producteurs de niébé lesquels actionnent plusieurs stratégies pour contourner les contraintes en lien avec l’hétérogénéité de surface. Les travaux de cartographie ont révélé une répartition hétérogène de plusieurs entités à géométrie variable dans les champs paysans à savoir les surfaces de croûte d’érosion, des zones de dépression occupées par des croûtes de décantation, des surfaces à croûte structurale en dessous du houppier de certains ligneux comme Faidherbia albida, des zones de dépôt éolien autour des arbustes comme Guiera senegalensis, des entités occupées par des fourmilières et des surfaces de champ normal. Nos travaux ont montré que cette hétérogénéité de surface dans les agrosystèmes nigériens a une influence à la fois sur les caractéristiques physique et chimique des sols mais aussi induit une influence sur les propriétés hydrodynamiques des sols. Elle affecte la production agricole et révèle que dans une même parcelle, il y a des entités comme les plages de croûte d’érosion où le rendement agricole est nul et des surfaces très productives comme les zones autour des fourmilières et des ligneux.
La prise en compte de l’hétérogénéité de surface du sol s’avère être d’un intérêt majeur pour la gestion de la fertilité des sols et de la production de la culture agricole au Niger.
La dégradation des sols au fil des années recommande aux producteurs l’intégration des nouvelles méthodes de valorisation du couvert végétal et la fertilisation des terres productives, quelles sont vos contributions phares dans ce sens ?
Les sols au Niger sont reconnus pour leur pauvreté naturelle en nutriments d’intérêt pour les cultures mais surtout exacerbée par la surexploitation continue, le changement climatique et l’érosion des sols. Dans le cadre de nos travaux de recherche, nous avons lancé les premières bases de l’agriculture de précision au Niger qui est la prise en compte de l’hétérogénéité de surface du sol avec des drones de haute résolution dans le cadre de la gestion durable des sols en 2016 dans le cadre de ma thèse de doctorat. Cette approche permet d’optimiser les apports et les intrants agricoles en tenant des besoins spécifiques des différentes entités de surface dans les champs jugés à contrainte de production ou pas. En 2021 et 2022 nous avons mis en œuvre un projet de recherche appelé AGRO2ECOS qui s’intéresse à la quantification, la caractérisation et la valorisation des déchets pré et post consommation dans les villes de Maradi, Ouagadougou et Abidjan. Dans la partie nigérienne, les travaux ont montré que la ville de Maradi est envahie des déchets entreposés dans des dépotoirs, la plupart sauvage et à ciel ouvert qui altèrent le cadre de vie des populations. Ces déchets causent des nuisances s’ils ne sont pas valorisés. Dans cette optique, nous avons mis en place des essais agronomiques pour les valoriser et les résultats les déchets humains notamment les urines et les excrétas humains mais aussi les autres déchets pré et post consommation constituent des sources importance d’engrais organiques qui boostent la fertilité et la production agricole. Depuis 2023, nous menons des recherches au sein du projet AgrOW (Agroecological valorization of organic waste) que je co-coordonne qui s’inscrit dans la dynamique de recyclage et de valorisation des déchets alimentaires pré-consommation et post-consommation au Niger. Il est financé par la fondation Mc Knight, et mis en œuvre par l’Université de Tillabéri et l’Institut de recherche pour le développement en partenariat avec l’Université de Maradi, l’Institut national de la recherche agronomique du Niger, l’Université de Niamey, les fédérations paysannes Fuma Gaskiya et Mooriben. Ce projet vise à renforcer la résilience des producteurs ruraux et périurbains et à améliorer la durabilité des pratiques agricoles à travers des meilleurs accès, valorisation et utilisation des déchets pré- et post-consommation.
Le changement climatique est plus qu’une réalité dans notre pays où les populations font face douze mois sur douze aux manifestations visibles de ses effets tels que les inondations, la désertification, l’appauvrissement des sols productifs etc. Quelles sont les propositions d’adaptation et de résilience de nos populations face à toutes ces réalités ?
Dans le domaine de la recherche, nous faisons la promotion de l’agroécologie à travers l’agro valorisation des déchets organiques à travers la mise en place des options de compost et co-compost pour l’amélioration de la qualité des sols et de la production agricole. L’agroforesterie et la RNA sont des stratégies efficaces pour l’adaptation à co-bénéfice d’atténuation du changement climatique et qui permettent d’améliorer la résilience des populations vulnérables. Dans le cadre des activités de l’Initiative pour l’arbre, la promotion des jardins de case agroécologiques et l’agriculture urbaine mais aussi les plantations des arbres sont des actions concrètes qui mitigent les affres du changement climatique.
Interview réalisée par Hassane Daouda (ONEP)