Docteur Tankari Abdoulaye, depuis mai 2022 vous présidez le Conseil National de l’Ordre des Médecins du Niger ; qu’est-ce qui différencie cette institution de l’Ordre National des Médecins, Pharmaciens et Chirurgiens-Dentistes que l’on connaissait ?
Au début c’était l’Ordre National des Médecins, Pharmaciens et Chirurgiens-Dentistes. Il a été créé par Ordonnance N° 88-31 du 9 juin 1988 et son décret d’application numéro 88-205/PCMS/MSP/AS du 9 juin 1988 fixant les modalités d’application. Depuis cette date, les trois ordres étaient ensemble. Il a fallu l’impulsion de l’UEMOA et de la CEDEAO et aussi l’engagement politique de nos autorités pour scinder cette institution en trois à savoir l’Ordre des pharmaciens, l’Ordre des médecins et celui des Chirurgiens-dentistes. Cette réorganisation s’est concrétisée par le décret numéro 2017-764/MSP du 29 septembre 2017. Pour l’Ordre National des Médecins du Niger, c’est le congrès tenu à Maradi du 10 au 11 mai 2022 qui a élu le premier bureau qui regroupe tous les praticiens de la médecine exerçant au Niger, qu’ils soient nigériens ou non, y compris ceux des services de santé des Armées. Tous les praticiens de la médecine ont l’obligation de s’inscrire au niveau de l’ordre, dans le cas contraire ils exercent de façon illégale et ils peuvent être poursuivis pour exercice illégal de la médecine sur le territoire nigérien.
Quelles sont les missions qui sont assignées au Conseil National de l’Ordre des Médecins du Niger ?
L’Ordre National des Médecins du Niger se donne pour mission la défense de l’éthique et de la déontologie de la profession médicale, la participation à la valorisation des ressources humaines et de la profession médicale. La médecine évolue comme la science en générale. Un médecin qui finit ses études et qui reste sur place désapprend, c’est pour cela que nous encourageons la formation continue des médecins et les spécialisations. Nous avons l’obligation de pousser les gens à aller vers la spécialisation, vers la formation continue. Un médecin qui fait 5 ans ou 6 ans sans se remettre en cause est en retard. L’Ordre a aussi le pouvoir d’entreprendre toute action susceptible de contribuer à l’amélioration de la santé des populations en collaboration avec le Ministère de la Santé Publique. Il est important de préciser que l’Ordre n’est pas là pour les médecins seulement, son élan est aussi d’aider le pouvoir politique à travailler pour l’atteinte des objectifs qui lui sont assignés.
Dr parlez-nous de la situation dans laquelle se trouve les médecins du Niger ?
La situation des médecins nigériens n’est vraiment pas reluisante, vous voyez sur des médias comment les gens nous critiquent ; ce n’est pas du tout agréable. C’est une méconnaissance de la situation du médecin qui fait que ces derniers temps ils font l’objet de critiques sur les réseaux sociaux. Il y a un manque crucial de médecins au niveau de nos établissements de santé, alors que beaucoup sont au chômage et cela n’honore pas la profession. Le régime déchu avait promis de faire un recrutement de masse mais jusque-là, la concrétisation de cette promesse traîne. Il y a beaucoup de perversités qui se font dans des structures privées de santé, cette situation est due à ce manque d’accompagnement de l’Etat. C’est un problème qui est là, le chômage des jeunes médecins. Le besoin est là, l’Etat doit recruter. Présentement, nous sommes le pays classé dernier par Médecins Sans Frontière dans l’indice du nombre des médecins par habitant. Selon le classement de l’OMS en 2021, au Niger il y a 0,46 médecins pour 100.000 habitants, ce qui est extrêmement grave, cela ne fait même pas un médecin pour 100.000 habitants. Ce déséquilibre nous dérange beaucoup et surtout quand on sait qu’il y a des médecins qui chôment. A l’intérieur du pays, voir un médecin, c’est un parcours de combattant. Prenons l’exemple de nos voisins, au Nigéria c’est 4,2 médecins pour 100.000 habitants, au Mali c’est un 1,9 médecin pour 100.000 habitants, au Burkina Faso 1,2 médecin pour 100.000 habitants. D’après notre dernier recensement 2023 au niveau de l’ordre, nous avons 1,2 médecin pour 100.000 habitants inscrits. Quand on prend ceux qui ne se sont pas inscrits, on dépasse un peu ce chiffre. Dorénavant, il faut que les gens sachent qu’on n’est plus à 0,46. Dire qu’il y a des médecins qui chôment au Niger c’est extrêmement grave. Il est temps que les autorités se ressaisissent pour faire du bien, même pas à ces médecins, mais à la population car un médecin recruté c’est un plus pour la population.
M. le président qu’est-ce qui explique la lenteur dans la prise en charge des patients au niveau des centres hospitaliers publics ?
Le fait que les patients prennent du temps pour voir un médecin n’est pas lié aux médecins. Nous sommes à un nombre extrêmement insuffisant. Quand vous venez dans un centre et que vous voulez voir un spécialiste, il y a une liste d’attente. Ce n’est pas le médecin qui dresse la liste de rendez-vous, ce sont les paramédicaux (major, infirmiers ou les gens qui sont à la caisse), c’est en fonction du nombre des patients à consulter par jour qu’ils établissent des listes et fixent le rendez-vous. Donc un médecin ne peut pas prendre toute une journée à faire des consultations, ce n’est pas possible, il est aussi un humain. Prenons le cas d’un chirurgien, il a un jour pour faire les actes chirurgicaux, il faut un temps pour faire le suivi des patients opérés pour voir l’évolution de leur état de santé et un temps pour la consultation. Pour un spécialiste, même s’il veut faire plus, il ne peut pas dépasser 20 patients par jour. Le standard international ne permet pas de dépasser 20 patients, seulement nous essayons de nous adapter à la situation et faire plaisir aux populations. Très malheureusement, les gens ne connaissent pas la réalité de la situation. Un médecin a ses heures de consultation au niveau des établissements de Santé Publics, une fois terminé il est libre d’aller faire ses prestations dans les cliniques privées. Les autres corps font des consultations externes, mais pourquoi pas le médecin ? Sans ces prestations, le système même ne peut pas tenir, on ne peut pas cantonner les médecins à la fonction publique.
Et qu’en est-il des médecins travaillant dans des établissements publics qui orientent les patients dans leurs cliniques ?
C’est un faux problème, et tout celui qui a un cas, qu’il vienne se plaindre au niveau de l’ordre et on va prendre toutes les dispositions pour mettre le patient dans son droit, cela est une mauvaise image pour la profession. Ce qui peut se passer peut-être, la personne est venue et qu’elle se trouve sur une liste qui va s’étendre sur une, deux ou trois semaines ou un mois, si elle ne peut pas attendre, elle peut se rendre à la clinique pour être prise en charge, ce n’est pas un péché. Quand tu as un examen à faire et qu’il se trouve qu’on ne le fait pas à l’hôpital ou si les appareils ne sont pas en marche, le médecin est obligé d’orienter le patient vers une clinique dans laquelle il peut être pris en charge. Certes, les centres hospitaliers ont plus de matériels que les privés, mais ces appareils tombent souvent en panne non pas parce qu’ils sont mal gérés, mais parce que leur utilisation est énorme, au lieu de cinq à six radios par jour l’appareil fait plus que ce qu’il doit faire. Il faut que les populations comprennent que nous appartenons tous à la même société, il faut respecter celui qui se bat matin et soir pour son travail. Un médecin est avant tout un humain, il peut avoir des défauts et en cas de problèmes avec un médecin il faut se plaindre au niveau de l’ordre ; ne voyons pas ce qui se passe en Europe nous n’avons pas les mêmes réalités. A l’endroit des autorités, il faut avoir un œil regardant envers ces jeunes médecins qui attendent toujours le recrutement à la fonction publique. Il faut aussi reconnaître que nos centres hospitaliers sont submergés par les patients qui dépassent leurs capacités d’accueil.
Interview réalisée par Aïchatou Hamma Wakasso (ONEP)