Crises répétitives, dépenses excessives, phobie des parents, souffrances physiques et psychologiques, ordonnance médicale en mains faisant le tour des pharmacies de la capitale, tels sont les calvaires inouïs vécus au quotidien par les familles des drépanocytaires. La drépanocytose est un véritable problème de santé publique au Niger. Selon les autorités sanitaires, le taux de prévalence est de 23,2 %, contre 13 % pour le continent africain. Elle touche 50 millions de personnes chaque année, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Pour l’Association Mondiale des Amis de l’Enfance (AMADE), au Niger, plus de deux millions de Nigériens sont porteurs du gène avec un taux de mortalité de 50 % pour les enfants de moins de 5 ans et 80 % avant l’âge de 10 ans. Elle cause chaque année près de 200.000 décès, dont 50 à 75 % sont des enfants âgés de 0 à 5ans.
Appelée aussi anémie falciforme, la drépanocytose est la première maladie génétique héréditaire au monde. Cette pathologie se manifeste biologiquement par une anémie hémolytique chronique. Elle est responsable de prédisposition aux infections bactériennes, de manifestations vaso-occlusives, de graves crises d’anémies aiguës, de séquestrations spléniques, de syndromes thoraciques aigus et dans les plus graves des cas, d’ accidents vasculaires cérébraux (AVC). Pour prendre en charge les malades, l’État nigérien, en partenariat avec d’autres institutions a mis en place plusieurs structures. C’est le cas du Centre National de Référence de la Drépanocytose (CNRD) qui accueille et assure la prise en charge médicale et psycho-sociale des malades de toutes les localités du Niger avec un suivi régulier des patients.
Créé en 2009 et devenu fonctionnel en 2010, le CNRD est un établissement public à caractère scientifique et technique avec la prise en charge de 8.908 patients à son actif. Au Niger, le taux de prévalence de la drépanocytose augmente au fil des années. Selon les explications du Dr Beidari Ali, médecin interniste et médecin en chef du Centre National de Référence de la Drépanocytose, dans les années 90, seulement 18 à 22 % de la population nigérienne serait AS et 3 à 4 % serait drépanocytaire. Vers 2020, environ 26% de la population a des traits drépanocytaires et 5 % sont drépanocytaires SS. « 1 nigérien sur 4 est porteur de la drépanocytose et 1 nigérien sur 20 est drépanocytaire », ajoute-t-il. Plusieurs facteurs concourent à la répétition des crises pouvant souvent conduire à une hospitalisation d’urgence. En effet, la chaleur excessive, le froid excessif, la déshydratation, l’effort physique excessif, la fatigue excessive, le stress ou le paludisme provoquant une forme anémique très grave chez le drépanocytaire.
La drépanocytose est provoquée par un trouble au niveau des globules rouges. Cette anomalie de l’hémoglobine que transporte les globules rouges qui fournissent de l’oxygène au niveau des tissus et qui rapportent le gaz carbonique au niveau des poumons, entraine la rupture des hématies. Cette mutation unique et ponctuelle dans l’ADN du gène codant pour le bêta-globine est située sur le chromosome 11 rendant rigides et collants les globules rouges qui prennent la forme C appelé ‘’faucille’’. Il existe, selon Dr Beidari, plusieurs formes et différents niveaux de la maladie. « La drépanocytose est une maladie génétique autosomique récessive et on distingue plusieurs types. Il s’agit de la forme SS, AS, SC et AC mais, les principales formes qu’on connaît au Niger sont la forme SS, SC et la forme S bêta + ou bêta – », a-t-il indiqué.
Selon une étude rétrospective et prospective de 2000 à 2010 du laboratoire de Biochimie de la Faculté des Sciences de la Santé (FSS) de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, la prévalence du portage de l’hémoglobine S de la population nigérienne est de 25 %. Cette étude a relevé sur 6.532 sujets examinés, 52,84 % d’hémoglobines anormales et 47,76 % normales. L’hémoglobine AS a été retrouvée dans 30,4 %, AC dans 3,2 %, SC dans 5,4 %, SS dans 15,1 % et CC dans 0,3 %. Un malade drépanocytaire présente un taux d’hémoglobine inférieure à la normale. Ce qui provoque une anémie sévère. Le médecin explique que les malades présentent un taux 6 à 8g maximum, alors qu’une personne normale possède entre 11 et 16g. « Ce taux peut-être extrêmement faible chez d’autres patients présentant une anémie très sévère. On peut retrouver un patient avec 5 à 6 g, voire moins, pouvant baisser dans des cas très rares jusqu’à 2g », a-t-il souligné.
La drépanocytose, poursuit-il, affecte fortement l’état des globules rouges, leurs composants et leur durée de vie. Elle n’a aucun lien avec le sexe de l’individu et si les parents ou leurs familles respectives sont porteurs de la maladie, alors cette dernière est dans le plus souvent des cas transmise à l’enfant. « La durée de vie d’un globule rouge normal est de 120 jours. Pour le drépanocytaire, la durée de vie d’un globule rouge drépanocytaire est de 20 jours. Pour réussir à stabiliser le malade, il faut multiplier par 6 l’apport en sang pour au moins avoir 6 ou 7g d’hémoglobine ».
La transfusion sanguine demeure le seul moyen de stabiliser l’état de santé du malade en cas de crise. Le sang est indispensable pour le centre car seul ce dernier permet de sauver et de maintenir en vie les patients. Le centre fait partie des plus grands demandeurs de sang selon le médecin en chef. « Le besoin en sang est très élevé. Le centre a besoin d’au moins 30 poches de sang par jour. Nous avons en plus besoin de culot globulaire qui contient les globules rouges et qui est utilisé lors de la transfusion simple ou pour faire l’échange transfusionnel », explique Dr Beidari. Au cas échéant, une solution cristalloïde est administrée au malade afin de maintenir la tension artérielle et le peu de sang présent et on effectue l’oxygénation du patient.
Au manque de sang, viennent se greffer d’autres difficultés. D’après le médecin en chef du CNRD, l’insuffisance notoire du sang au niveau du CNTS qui est le principal fournisseur du centre constitue la première difficulté. Il y’a aussi, l’insuffisance des lits sur le site car, 3 enfants peuvent souvent se retrouver sur un même lit (le centre ayant une capacité d’accueil de 54 lits), le coût élevé des soins rendant la vie difficile aux familles, l’insuffisance des produits nécessaires, la rareté de certains produits et le manque de prise en charge effective des patients par l’État. « Une seule hospitalisation peut coûter jusqu’à 300.000 FCFA et une seule famille peut avoir 2 à 4 enfants drépanocytaires avec des crises en même temps. Imaginez les dépenses infligées à ces familles chaque fois qu’il y aura une crise », déplore Dr Beidari.
Par la suite, ce spécialiste explique que certains groupes sanguins sont en danger en cas de crise. Il s’agit du groupe O– qui est un donneur universel. Ils représentent à peine 1 % de la population et une personne sur 100 est O–. « Ce groupe sanguin cause des problèmes. Nous avons établi un carnet d’adresse des personnes compatibles et nous les contactons en cas de besoin afin de sauver les malades du groupe O– » ajoute le médecin.
Aucun traitement préventif n’existe à ce jour pour empêcher la transmission de la drépanocytose. Et, de manière naturelle, il est impossible de déterminer qui sera atteint ou pas. L’idéal serait, d’après Dr Beidari, d’analyser l’ovule sain et de faire la fécondation in vitro afin de réduire le risque de transmission vers l’enfant. Il conseille également, en cas de grossesse, un diagnostic intra natal à partir de 8 semaines et attire l’attention des parents concernant les consultations prénatales. « Très souvent, les parents négligent les tests à faire à partir du 4ème jour après l’accouchement qu’on appelle diagnostic prénatal pour savoir si l’enfant est drépanocytaire. Dans 80 % des cas, les parents réagissent après les premières crises et viennent vers nous alors que l’enfant est déjà à un stade très avancé et le plus souvent dans un état critique » affirme-t-il.
Pour apporter des solutions à ces difficultés, le centre crée des dossiers pour chaque malade et recense 3 personnes à contacter d’urgence en cas de besoin. Ces dossiers permettent, d’après Dr Ali, d’avoir le sang en temps voulu. Il appelle les membres des familles à se faire examiner et à effectuer une électrophorèse afin de détecter les traits de la maladie. Aussi, il conseille aux jeunes couples de faire des examens avant de se marier car, ces examens permettront d’éviter la transmission de la maladie. « Nous lançons un appel aux autorités afin de rendre la prise en charge gratuite au moins pour les enfants de 0 à 5 ans et de mettre les médicaments nécessaires en quantité suffisante afin de réduire les dépenses aux familles. Il faut aussi organiser des dons de sang dans les lieux publics pour faciliter la collecte », a-t-il préconise avant d’appeler la population à l’humanisme en donnant du sang. « Plusieurs personnes souffrent et sont en manque. Dans le cas de la drépanocytose, seul le sang peut soulager, maintenir et sauver la vie de ces malades », a-t-il conclu.
Massaouda Abdou Ibrahim (ONEP)