La réforme du secteur des engrais est, officiellement, une volonté de l’Etat du Niger. Le Plan de réforme a été adopté par décret 2018-046/PRN/MAG/EL, pris en Conseil des Ministres le 12 janvier 2018. Cette Réforme vise essentiellement à fournir des engrais de qualité, en quantité suffisante, à des prix accessibles et aux moments opportuns sur l’ensemble du territoire national. En dépit de cette bonne intention liée à cette réforme, le constat est amer. Alors que certaines sources parlent d’imposition de cette réforme par le MCA (Millennium Challenge Account) et le MCC (Millénium Challenge Cooperation (MCC), d’autres soulignent tout simplement l’échec de cette réforme.
Selon les statistiques, la CAIMA a contribué à l’approvisionnement en engrais du Niger pour environ 24.277 tonnes en 2017, 23.353 tonnes en 2018, et 16.321 en 2019 (Source : Ministère des Finances), alors que les besoins exprimés par les producteurs oscillent entre 100.000 et 200.000 tonnes par an. Pour atteindre les objectifs de la réforme, l’Etat a mis en place des organes de dialogue, de surveillance et de veille commerciale, notamment, l’Observatoire du Marché des Engrais au Niger (OMEN) et le Comité Technique des Engrais au Niger (COTEN) avec des démembrements dans les huit régions du Niger.
Le communiqué du Conseil des ministres en date du mercredi 16 septembre 2020 notait : qu’au Niger, la production agricole est devenue de plus en plus dépendante des aléas climatiques et les sols sont de moins en moins fertiles. Les terres agricoles perdent en moyenne 377.000 tonnes d’éléments nutritifs qui ne sont pas compensés par manque de disponibilité d’engrais et d’accessibilité à ce produit. « En effet, l’analyse de la performance du système des engrais a mis en évidence des insuffisances dont, notamment, le coût élevé de l’importation et de la distribution des engrais, les prix trop élevés en dépit de la subvention et la livraison des engrais en retard et en quantités insuffisantes. Pour atteindre les objectifs de l’Initiative 3N, le Gouvernement s’est engagé à conduire une réforme du secteur des engrais surtout dans la perspective de la mise en œuvre de l’important programme MCA-Niger », précise la source.
Selon ce communiqué, toutes les initiatives qui ont pour but la modernisation de l’agriculture, ne sauraient porter leurs fruits, sans une réforme probante du système des engrais. La réforme envisagée vise à améliorer sensiblement la disponibilité et l’accessibilité des engrais à la hauteur des besoins de l’agriculture nigérienne.
« C’est dans ce cadre que le secteur privé s’est organisé et a mis en place l’Association Nigérienne des Importateurs et Distributeurs d’Engrais (ANIDE). Dès lors, il est apparu nécessaire, dans le cadre de la réforme, que la Centrale d’Approvisionnement en Intrants et Matériels Agricoles du Niger » (CAIMA) se désengage de l’achat et de la vente des engrais au profit du secteur privé. Le présent projet de décret est pris pour satisfaire cette nécessité et ce, après avis de la Cour Constitutionnelle », indiqué le communiqué. Voilà pour le motif de la privatisation de la CAIMA. Cependant, des voix s’élèvent pour dire non à la privatisation d’un domaine aussi régalien de l’Etat qu’est l’agriculture, secteur qui dépend inéluctablement des engrais.
Selon le Directeur Général de la CAIMA, M. Mahamadou Harouna, toute réforme apporte des changements qui impactent les pratiques en cours et se heurte souvent à des résistances, des incompréhensions, surtout si cette réformé a été faite à la hâte. Ce qui en retarde les résultats attendus ou abouti, tout simplement à son échec. La réforme du secteur des engrais est une bonne chose si elle a été conçue et acceptée par les professionnels du domaine. « La mise en œuvre de la plupart des activités prévues dans le Plan de la Réforme a pris plus de deux ans, au lieu d’un trimestre prévu pour leur implémentation. Idem pour la révision des textes qu’il fallait conformer aux objectifs de la réforme et leur application correcte par toutes les structures étatiques concernées », a indiqué M. Harouna. Selon lui, l’engrais de la CAIMA était subventionné par l’Etat à hauteur de 50%. Beaucoup dans l’opinion se sont demandé si tout l’argent injecté par l’Etat à travers cette centrale a réellement profité aux plus nécessiteux ou au plus grand nombre des producteurs nigériens. « A l’épreuve des faits et des retours du terrain, il a été constaté une mauvaise gestion par certains anciens responsables de la CAIMA, de certains distributeurs et même de certains producteurs, qui ne versaient pas leur redevance à temps ou pas du tout», reconnait le D.G de la CAIMA.
Rendre l’engrais accessible à un plus grand nombre
La réforme du secteur des engrais est sensée faire la part des choses entre l’engrais subventionné géré par la CAIMA et le marché global de l’engrais pour les besoins de l’agriculture nationale. Nous sommes loin du compte et pour rectifier le tir concernant la subvention de l’Etat à l’endroit des populations vulnérables, la réforme du secteur des engrais doit tenir compte d’une subvention ciblée, traçable, qui permet à l’Etat de repérer à l’avance les bénéficiaires, de connaître le nom et le village de chaque producteur ou productrice qui aura reçu la subvention. Le principe de la subvention ciblée a été appliqué avec satisfaction sur environ 7.211 producteurs en 2020. Ceux-ci ont pu acheter chacun 4 sacs d’engrais à 6.750 FCFA au lieu de 13.500 ; ce qui a d’ailleurs substantiellement impacté leur production », explique M. Harouna. Selon lui, le prix pratiqué par le secteur privé quant à lui est un prix réel, non subventionné. Il est donc normal qu’il ne soit pas fixé à 13.500 FCFA.
Toutefois, il est espéré qu’à terme, ce prix par les jeux du marché et de la concurrence, soit moins élevé que le prix pratiqué par la CAIMA. Le D.G de la CAIMA a rappelé qu’en avril dernier (2021), le prix du 15-15-15 était seulement de 10.000 FCFA à Agadez (même si celui de l’urée était de 17.000 FCFA). Il est indispensable que l’engrais ne devienne pas un produit rare, mais plutôt un produit disponible pour tout le monde au lieu d’être le monopole de quelques rares privilégiés. « Les deux vrais défis pour le Niger en matière d’engrais, semble connaître le D.G de la CAIMA, sont d’abord de rendre ces engrais disponibles pour tous les producteurs, c’est-à-dire, au meilleur prix possible, par un organe approprié et ayant une certaine expérience et un important réseau de distribution (au CAIMA près de 300 distributeurs agrées. Il s’agit ensuite d’assurer le contrôle de qualité », a-t-il noté. « Il demeure aussi crucial de rendre traçable la subvention que l’Etat consacre aux petits producteurs bénéficiaires pour s’assurer qu’elle ‘‘rentre effectivement dans leurs mains’’.
C’est une exigence de la gouvernance et de justice sociale », déclare le D.G. M. Harouna, tout en ajoutant que la réforme, si elle doit être menée, doit être appréciée dans une perspective de développement de l’agriculture du pays à travers un de ses secteurs importants, le secteur des engrais au Niger où 80 % de sa population vivent en milieu rural. « Dans ce processus de réforme du secteur des engrais, MCA-Niger est un partenaire stratégique dont l’Etat du Niger a sollicité l’accompagnement technique et financier pour le succès de cette initiative pour le bien des producteurs. C’est d’ailleurs pour cela certains pensent, à tort ou à raison, que cette réforme a été imposée à l’Etat par MCA-Niger. Ce qui est actuellement en dépit de cette réforme les producteurs ne sont toujours pas en possession d’engrais disponible et accessible, comme d’ailleurs l’année dernière aussi ». Proposant quelques pistes de solution, M. Mahamadou Harouna estime qu’après sa restructuration, la CAIMA, peut-être économiquement indépendante et ne nécessitera plus de dotations de l’Etat dans quelques années. Car, le mécanisme du fonds de roulement mis en place lui permet de résoudre les problèmes liés à la disponibilité des ressources et au montant des fonds. « En fait, un fonds de roulement pérenne a été conçu pour l’approvisionnement en intrants agricoles sur l’ensemble du territoire du Niger. L’objectif étant d’améliorer les conditions d’accès aux intrants en quantité satisfaisante, de bonne qualité et à un prix économiquement acceptable au moment voulu aux producteurs agricoles du Niger», soutient-on à la CAIMA. La mise à disposition d’un fonds de roulement permanent aurait un effet immédiat en apportant des réponses concrètes grâce à la disponibilité des ressources financières suffisantes ne reposant pas sur les contingences actuelles de la subvention de l’Etat. Et donc, ce fonds de roulement permet à la CAIMA d’augmenter considérablement sa capacité d’achat, en concordance avec le besoin national exprimé et les objectifs du contrat de performance, de disposer des ressources au moment approprié pour passer la commande » précise-t-on du côté de la CAIMA. Cela permettra, estime-t-on, de renforcer les capacités de cet organisme par la restructuration de ses méthodes de gestion et d’approvisionnement ainsi que de distribution des intrants au niveau national. Notons que cette initiative du gouvernement, sur la réforme du secteur des engrais, vise à améliorer la production agricole à travers une grande utilisation des engrais. Avec aussi pour motivations de rehausser le nombre d’utilisateurs, car il a été remarqué que le Niger est l’un des pays qui utilisent un faible taux d’engrais par hectare (4 à 5 kg) alors que la recommandation d’Abuja prévoit jusqu’à 25 à 50 kg à l’hectare.
Cette réforme, disions nous, a du plomb dans l’aile. Il y a donc nécessité de réhabilité la CAIMA, d’améliorer sa gestion mais aussi de prendre toutes les dispositions nécessaires pour alimenter le fonds commun des engrais et prendre les dispositions qui s’imposent afin de rendre disponible les engrais lors des campagnes agricoles et des campagnes de cultures de contre saison, comme cela se faisait jadis ; de continuer à sensibiliser la population sur le processus de la réforme et enfin la nécessité de poursuivre les actions entrant dans le cadre de la subvention des engrais. Rappelons que la CAIMA est un établissement public à caractère industriel qui a pour mission d’approvisionner le pays en intrants et en matériels agricoles de qualité et accessibles au producteur.
Par Mahamadou Diallo(onep)