
Lors de l’entretien sur le plateau de la RTN
Monsieur le ministre, dans quel état se trouve le système judiciaire nigérien ? Quels sont les grands défis auxquels il est confronté ? Très brièvement, pouvez-vous nous faire un état des lieux dans ses grandes lignes en guise de rappel pour bien introduire notre sujet ?
Avant le 26 juillet 2023, la justice était presque aux antipodes de la réalité nigérienne. Rares sont ces Nigériens qui font confiance à la justice nigérienne et, cela, pour plusieurs raisons. La première, c’est l’immixtion dans les traitements des dossiers judiciaires et politiques, le non-respect de l’indépendance de la justice, notamment dans l’exécution des décisions parfois devenues définitives, le non-respect du critère dans les affectations des magistrats, la lenteur judiciaire qui a comme corolaire, sur le plan pénal, la surpopulation carcérale et civile, des procès qui ne finissent pas avec en toile de fond certaines mauvaises pratiques, y compris coercitives, toutes choses qui entachent la crédibilité du système judiciaire et ont fait en sorte que le peuple nigérien n’a plus confiance en sa justice. À ces maux aussi, il faut ajouter d’autres facteurs qui ne sont pas de moindre importance. Il s’agit du faible investissement dans le secteur de la justice, du faible niveau de coordination des interventions des partenaires dans le secteur, du faible taux de couverture des juridictions sur le territoire nigérien, du faible taux de recouvrement des amendes et autres condamnations pécuniaires avec aussi, la non-rédaction des décisions de justice qui sont de nature à compromettre les intérêts des justiciables. Il y a aussi les problèmes d’ordre humain parce que loin d’avoir suffisamment de magistrats pour couvrir les besoins des justiciables sur cette question, nous sommes aujourd’hui à un (1) magistrat pour 55.000 habitants alors que les standards internationaux prévoient un (1) magistrat pour 20.000 habitants et deux (2) greffiers pour un magistrat. Si on fait le ratio, nous avons moins d’un (1) greffier par magistrat. Donc, tous ces facteurs combinés peuvent constituer de façon objective tous les problèmes qui assaillent la justice et l’appareil judiciaire et font en sorte que les citoyens n’ont plus confiance à la justice.
Après une analyse approfondie de la situation, nous avons apporté des réponses à tous ces problèmes en agissant sur les différentes causes qui sont à l’origine de ces problèmes en faisant en sorte qu’il y ait un sérieux maillage des juridictions sur le territoire national et qu’on remette les magistrats au travail, tout en rassurant les justiciables, en évitant des situations d’abus de droits, d’abus de position, d’abus de procédure et toutes ces choses. Pendant ces 18 mois à la tête du Ministère de la Justice, nous avons œuvré pour recadrer les magistrats pour qu’ils ne disent que le droit, rien que le droit dans l’exercice de leurs fonctions. Nous nous attelons à vraiment offrir un service public de justice de qualité qui tient compte des droits de toutes les parties sans aucune discrimination.
Monsieur le ministre, les Nigériens attendent beaucoup de la justice et, depuis le 26 juillet 2023, il ya une forte demande sociale de justice. Pouvez-vous nous dire concrètement depuis que vous êtes à la tête de ce département ministériel, qu’avez-vous fait pour lutter contre tous ces maux ? Qu’avez-vous fait ou envisagé de faire pour redonner à la justice ses lettres de noblesse ?
Vous savez, ce n’est un secret pour personne, l’existence du phénomène de la corruption dans le milieu judiciaire. Ce n’est pas moi qui le dis : il y a des études qui ont scientifiquement démontré l’existence du phénomène de la corruption en milieu judiciaire et cela bien avant même les états généraux de la justice tenus en 2012. Et, ce phénomène n’a pas encore disparu. Il reste encore et il constitue une véritable gangrène pour l’épanouissement du secteur de la justice. Dans la lettre de missions qui nous a été confiée par le Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie, Chef de l’État, le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, il nous a instruit d’œuvrer pour promouvoir une justice qui rassure, une justice indépendante, assumée par des acteurs qui font le serment de soumission à la loi, une justice égale pour tous, sans discrimination, bref, une justice de qualité.
Donc, pour revenir à la question de la corruption dans le secteur de la justice, il faut retenir que, depuis notre nomination à la tête du département en charge de la Justice, notre politique, c’était d’œuvrer pour une tolérance zéro. Dès lors que les cas de corruption sont avérés, ils donnent lieu à des poursuites. Pour preuve, pour la première fois, nous avons quatre (4) magistrats qui sont en détention pour des indélicatesses aujourd’hui, et un (1) greffier. D’autres procédures sur le plan disciplinaire sont en cours. La plus grande difficulté en matière de répression de la corruption, c’est l’existence d’un pacte secret entre le corrupteur et le corrompu parfois avec l’intervention d’un intermédiaire. Il faut nécessairement que ce pacte, ce contrat de malveillance, soit dissout pour qu’on en connaisse les clauses et les liens qui unissaient les parties, ce qui est difficile à faire. C’est pour cela, quand vous partez au Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, s’agissant du volet lutte contre les crimes économiques et financiers, au-delà des magistrats, pour l’ensemble du corps des fonctionnaires, agents ou tout autre justiciable, rares sont les cas où vous avez des dossiers ouverts uniquement pour faits de corruption.
Mais, nous avons œuvré pour renforcer les capacités des acteurs intervenant au niveau de ces pôles pour qu’ils soient en mesure d’examiner certaines infractions pour aboutir sur des délits de corruption par exemple, les questions d’enrichissement illicite dont nous sommes en train de revoir la législation pour qu’à l’image des autres pays de l’AES, nous ayons un dispositif juridique de lutte contre l’enrichissement illicite. Donc, nous avons renforcé aussi le nombre de cabinets d’instruction pour qu’ils puissent prendre en charge ces thématiques, nous avons doublé le nombre de cabinets d’instruction au niveau des pôles spécialisés. Nous sommes en train de mener des actions parce que la corruption, même la convention des Nations Unies, la convention de Mereda de lutte contre la corruption, la convention de l’OICI auxquelles nous sommes partie prenante, prévoient d’abord un aspect préventif et un aspect répressif et, enfin, la coopération entre acteurs pour que l’on puisse mettre la main sur le corrupteur et sur tout ce que l’ingénierie corruptive a pu générer. Donc, nous sommes en train de sensibiliser, former, éduquer les magistrats et, en même temps, nous avons eu l’accord de toutes les corporations du secteur de la justice pour que nous menions une véritable croisade contre la corruption en renforçant les capacités des acteurs d’abord pour la réprimer, mais en rappelant aussi aux acteurs les obligations d’éthique et de déontologie.
Et, récemment, nous avons mis en place un comité d’experts gouvernementaux chargé de la mise en œuvre de la convention de Mereda de la lutte contre la corruption. Le travail de ce groupe d’experts gouvernementaux, c’est de voir comment nous allons mettre en œuvre ce dispositif pour qu’enfin, au Niger, qu’on débarrasse l’appareil judiciaire dans un premier temps de la corruption, et pour que l’on puisse aller vers les autres services étatiques avec force, détermination pour lutter contre ce phénomène parce que la charité bien ordonnée commence par soi-même. Vous ne pouvez pas combattre le phénomène de la corruption si vous-mêmes, vous êtes corrompus.
Monsieur le ministre, à chaque fois que l’on parle de réforme et d’efficacité du système judiciaire, les efforts sont presque toujours concentrés ou pas sur les réformes des codes et procédures pénales mais, fondamentalement, est-ce qu’il ne s’agit pas plutôt des hommes, des personnes qui ont la lourde responsabilité de rendre la justice au nom du peuple nigérien ?
Cette question rejoint la première puisque ce sont des hommes qui animent l’appareil judiciaire, ce sont les hommes qui animent le système judiciaire, et ce sont les hommes qui font l’objet de corruption. Si l’on veut réussir, je pense qu’il faut d’abord mettre les magistrats dans les conditions optimales pour qu’ils travaillent et, à mon sens, aujourd’hui, par rapport au train de vie de l’État nigérien dans ce contexte actuel et par rapport à l’ensemble des fonctionnaires de l’État, je pense que le magistrat vit de façon sereine. Il a quand-même un traitement qui lui permet de s’occuper convenablement de sa vie familiale sur le plan matériel. Ils ont beaucoup d’avantages, par exemple, quand vous prenez les jeunes magistrats qui rentrent, ils ont des frais pour s’installer et ils sont dans les conditions de satisfaire leurs besoins essentiels, vitaux. En tout cas, le salaire d’un magistrat nigérien lui permet vraiment de satisfaire ses besoins donc maintenant, c’est pour cela que j’avais parlé tout à l’heure des problèmes qui assaillent la justice nigérienne qui étaient, depuis l’avant états généraux, persistants. Au sortir des états généraux, on a adopté des plans d’actions de la mise en œuvre des recommandations issues des états généraux mais, ça n’a pas empêché la lenteur judiciaire, ça n’a pas empêché la corruption dans le milieu judiciaire puisqu’au moment de ces états généraux, la question était posée, était discutée et on a fait des recommandations tendant à aboutir, à éliminer cette corruption.
Mais pourquoi cet état de fait s’il y’a eu quand-même ces états généraux qui sont réels, des recommandations qu’on n’arrive pas à appliquer ? C’est quoi le problème alors ?
C’est la faiblesse des acteurs dans la mise en œuvre et vous allez comprendre pourquoi puisqu’on avait, comme je vous l’ai dit, fait un diagnostic global de la situation et sur tous les pans des problèmes qui assaillent notre secteur judiciaire. Nous avons prévu des actions à entreprendre, des mesures à prendre pour redorer l’image de la justice. En termes de recrutement, de formation, dès notre arrivée, nous avons œuvré pour changer la gouvernance de l’école de magistrature. Nous avons œuvré pour redéfinir le curricula de formation, pour mettre un comité scientifique chargé de sélectionner et valider le module de formation. Nous avons œuvré pour que, dorénavant, n’importe qui n’intervienne pas dans la formation d’un magistrat. À l’époque, c’étaient des copinages, je suis désolé de le dire, mais, j’ai un devoir de vérité vis-à-vis du peuple nigérien. Dans tous les cas, ceux qui ont enseigné, encadré cette école de magistrature, ce sont eux qui se font passer dans les salons comme étant les meilleurs des magistrats au Niger.
Sur le terrain, on a vu ce que la formation a donné et, d’ailleurs, vous avez eu à un moment écho de certains comportements déviants des magistrats qui jurent avec les règles d’éthique et de déontologie, qui jurent avec l’humilité et la retenue qui doivent caractériser le magistrat et, pour lesquels, il a fallu même qu’un mouvement soit engagé. C’est ce qui s’est passé à Tillabéri, si vous avez souvenance. Vous avez encore ce qui s’est passé à Konni. Toutes choses qui sont des comportements individuels isolés de magistrats qui ne reflètent pas l’intégration dans leur comportement au quotidien de normes d’éthique et de déontologie, si celles-ci ont été bien assimilées. La charité bien ordonnée commence par soi-même : vous ne pouvez pas dire que vous êtes là pour l’application de la loi et ne pas vous soumettre aux diligences de cette loi. Toutes ces tares analysées, combinées, vous allez certainement voir que c’est un problème lié aux conditions de recrutement de ces magistrats. C’est un boulet à la formation puisque, si le magistrat n’a pas été formaté, s’il a les bonnes qualités pour être recruté, si ceux qui l’ont encadré sont un exemple, il doit refléter l’exemple sur le terrain et, c’est ce problème qui fait que nous agissons aujourd’hui sur l’école de formation judiciaire parce que c’est une école qui est censée fournir une formation initiale pour les magistrats, les notaires, les avocats, les huissiers et les greffiers, mais aussi, une formation continue et, Dieu merci, aujourd’hui, après 18 mois, les syndicats des magistrats, l’ancien bureau et le nouveau bureau sont d’accord avec cette réforme. Les huissiers sont d’accord avec les projections qu’on a pour l’avenir de la magistrature parce qu’au-delà de tout, il faut non seulement les former, mais il y a aussi des renforcements de capacités qui relèvent des questions de fond. Nous allons essayer d’avoir un système de formation qui allie la pratique mais aussi la compétence, la maitrise des règles de droit et de procédures parce que, je ne vous le cache pas, il faut faire la balance entre l’éthique, la déontologie et la maitrise des règles de droit pour connaitre quel est le comportement qu’un magistrat doit adopter d’abord par rapport à lui-même, par rapport à son environnement immédiat et par rapport à toute la société. Ce n’est pas un super nigérien, c’est d’ailleurs l’individu le plus vulnérable. Si les magistrats ont compris leur rôle, c’est qu’ils doivent comprendre qu’ils sont des tigres en papier. Ce sont les plus vulnérables puisque, ce sont eux qui sont chargés d’appliquer la loi aux autres Nigériens et personne ne comprendra qu’ils aient un comportement contraire qui va appeler à leur appliquer la règlementation.
Vous avez insisté sur cette école de formation des magistrats et ceux qui donnent la formation, est-ce que vous pouvez nous donner d’amples détails sur le profil de ces magistrats qui enseignent dans cette école ?
Depuis que je suis à la tête du Ministère, j’ai choisi d’amener des magistrats qui sont au moins au premier grade ou ceux qui aspirent au premier grade et, pour la Direction générale, le Secrétariat général c’est le grade exceptionnel, ils sont même hors catégorie parce que c’est une école essentiellement basée sur le vécu procédural. Ce n’est pas une école théorique où vous venez livrer des connaissances livresques, vous venez déverser votre théorie. C’est une école dans laquelle on doit apprendre aux magistrats ou aux auditeurs de la justice, les méandres de la procédure judiciaire de quelque nature qu’ils soient. Pour qu’on puisse contrôler les missions statutaires de cette école, on a mis en place un comité scientifique chargé de valider les modules qui vont être dispensés par les intervenants. Et, ce même comité aura à déterminer qui et qui vont intervenir pour dispenser les cours. Et plus loin, après l’école, nous avons décidé qu’il faut choisir ceux qui vont encadrer les magistrats. Et, je me suis opposé à la dispersion des magistrats à l’intérieur du pays pour échapper à la surveillance de l’école.
Certes, le magistrat doit connaitre les réalités de son pays mais, il les connaitra lorsqu’il est bien formé et qu’il sera affecté dans une zone pour officier puisqu’à l’époque, on disperse les magistrats selon les juridictions et le contrôle de l’école n’est pas présent. Or, vous ne pouvez amener un auditeur qui est stagiaire, le placer sous la responsabilité d’un procureur, d’un président de tribunal, d’un juge d’instruction et sans pouvoir le contrôler. Le Niger fait 1.267.000 km2, si vous amenez un magistrat à Nguigmi, à Bilma ou à Arlit, de quels moyens dispose l’école pour voir dans la pratique ce qui se fait ? A notre époque, lorsque nous étions à l’école de magistrature, l’école nous suivait même dans les cabinets où nous officions. On va vous affecter, mais l’école va voir si la théorie est bien maillée avec la pratique judiciaire. Or, ici, c’est presque un laisser-aller et plus jamais, nous n’allons plus tolérer ce laisser-aller. Nous allons prendre les dispositions pour que non seulement l’entrée soit extrêmement sélective, la sortie le sera aussi et les conditions de formation seront rigoureuses.
Monsieur le ministre, il se pose également la question de la lenteur de la justice. À ce niveau, est-ce qu’il ne s’agit pas de revoir notre carte judiciaire ainsi que le mécanisme de suivi du travail d’un magistrat pour qu’ils rendent compte de l’ensemble des dossiers reçus, traités et vidés sur une période bien donnée et, éventuellement, en cas de manquement, prévoir des mesures d’encouragement et des sanctions ?
Je vais présenter d’abord la carte judiciaire de notre pays pour vous dire que nous avons 55 juridictions sur toute l’étendue du territoire national parmi lesquelles il y a 3 Cours d’Appel : une (1) à Niamey, une (1) à Tahoua, une (1) à Zinder.
Monsieur le ministre, par rapport toujours à cette lenteur, ça il faut aussi le dire, il y a quand même des juges qui dorment avec les dossiers des gens, qu’est-ce qu’il faut faire parce qu’on a vu les procédures souvent qui tardent parce que le juge n’a pas fait son travail ?
J’ai dit que je veux revenir sur cette question de lenteur. Je vais expliquer de façon objective qu’est-ce qui constitue les goulots d’étranglement pour qu’on ait en face de soi cette grande difficulté. Certes, cela n’exclut pas le comportement des hommes parce que, je me souviens que lorsque nous étions arrivés à la Cour d’Appel de Niamey en 2012, on était 12 et cette cour s’occupait du contentieux des régions de Niamey, Dosso, Tillabéri et jusqu’à la Cour d’appel de Tahoua. Donc, il fallait aller jusqu’à Arlit, Agadez, mais on était 12 et, à l’époque, toutes les audiences, y compris celles de référé, étaient collégiales. Malgré tout, on abattait un travail parce que nous avons des chefs de juridiction qui s’assumaient et on était presque en compétition. Mais, maintenant, au-delà de cela, vous avez aussi la question des renvois de procédures avant qu’on arrive à la question de rédaction. Vous avez aussi la question d’actes de procédure.
Quand vous prenez la matière pénale, elle est organisée de telle sorte que, pour qu’une personne soit invitée à comparaître par-devant une juridiction pénale selon son domicile, il y a un délai qui doit être observé par les juridictions avant de servir l’acte. Vous avez des délais qu’on appelle de comparution de 8 jours, un mois, deux mois et jusqu’à 90 jours lorsque vous n’êtes pas en Afrique. En Afrique 60 jours, si vous êtes hors du ressort de la juridiction, au Niger 30 jours et si vous êtes à l’intérieur, vous allez bouger pour comparaître. Le gros du problème qui se pose, c’est le manque de suivi des chefs de juridiction. Vous montez à une audience dans laquelle il y a eu des renvois, normalement à la fin de l’audience, le parquet général ou le parquet d’instance doit prendre le plumitif pour vérifier quels sont les dossiers qui sont retenus et quels sont les dossiers qui sont renvoyés et à quelle date, puisqu’il y a des délais à observer en fonction de la date de renvoi et de la date de l’envoi des actes de procédure qui doivent être faits, ce qu’on appelle les cellules de citation. Mais, généralement, c’est à l’avant-veille ou à une semaine de la tenue de l’audience qu’on va courir pour faire cette cellule et on va donner à des huissiers qui vont les servir contre la loi et, souvent, on donne à des huissiers qui gardent les dossiers et attendre au dernier moment pour courir à droite à gauche pour servir toute chose. Comme vous venez devant une juridiction, on ne peut que constater une défaillance légale qui implique l’annulation de la procédure et le renvoi. Pour quelqu’un qui est à l’extérieur, c’est 90 jours. Avec des renvois récurrents de son dossier, ça lui fait 4, 6 mois, voire une année. Et même en Afrique, trois renvois, ça fait 6 mois, ça fait une demi-année. Au Niger, même pour le cas de quelqu’un qui est à l’intérieur qui doit quitter Arlit pour venir à Tahoua pour un dossier qui a été renvoyé une fois, deux fois, vous voyez que c’est difficile. Cette situation interpelle la responsabilité des chefs de juridiction et auxquels nous avons écrit et fait des circulaires pour leur dire de reprendre en main le contrôle interne des juridictions et de veiller à ce que les actes de procédure soient faits dans le respect des règles.
De l’autre côté, maintenant, quand vous prenez l’aspect civil, la lenteur, elle est aussi présente. Le magistrat est la plupart du temps indexé. Je ne suis pas là pour le défendre, mais cette lenteur n’est pas seulement le fait du magistrat, bien qu’il en soit un acteur de premier plan. En matière civile, depuis l’avènement du Code de procédure civile nigérien, nous avons ainsi institué au niveau des juridictions ce qu’on appelle des juges de la mise en état. Avec l’avènement de ces juges, l’échange des conclusions et autres mémoires-défenses est organisé dans le cabinet du juge de la mise en état, que ça soit devant le tribunal de grande instance ou devant une Cour d’appel. Et, lorsque le dossier est sur le point d’être jugé, donc si toutes les parties ont échangé les écritures, le juge de la mise en état prend une ordonnance de clôture et de renvoi de la cause devant une juridiction pour plaidoirie, c’est la même chose dans les cours d’appel et c’est la même chose dans les tribunaux de grande instance.
Malheureusement, à l’audience de plaidoirie, normalement, aucun renvoi n’est toléré puisque c’est fait pour que la cause soit débattue, des arguments discutés et qu’elle soit jugée si on peut le faire sur le siège ou mise en délibéré pour jugement à advenir à date précise. Les parties s’arrangent, malgré ce temps consacré, pour préparer ce procès à obtenir des renvois. Dès lors qu’il y a un renvoi, deux renvois, mais c’est fini, le juge de la mise en état a fait presque 3 mois en train de préparer un dossier avec l’accord de toutes les parties. Vous allez voir une partie qui trouve un malin esprit à vouloir obtenir un renvoi. Moi, je ne tolèrerai pas, quand un dossier arrive à l’audience de plaidoirie. Tout au plus, si je ne peux vous concéder qu’un seul renvoi à défaut, je retiens et je juge et la procédure contradictoire parce que les échanges de conclusions se faisaient contradictoirement.
Pire, si vous prenez même la matière la plus simple ou la plus rapide : le référé, il est devenu presque une audience ordinaire avec les renvois intempestifs que les parties demandent. Mais tout ça, c’est au juge de s’assumer, de ne pas accepter lorsque le dossier est renvoyé pour une audience de plaidoirie, de ne pas accepter de renvoi tout comme les dossiers des référés, les avocats le savent. Lorsque j’étais président de la Cour d’appel, je ne peux concéder qu’un seul renvoi pour les dossiers de référé, si vous n’êtes pas près, je le renvoie au rôle général et on ne va pas venir toujours s’éterniser en train de renvoyer. Soit on veut que la chose soit jugée, soit vous ne voulez pas. Ce sont toutes ces raisons qui sont de nature à alourdir le traitement du dossier sans compter maintenant la question de la lenteur.
Et la rédaction, (c’est à dire les actes de jugement ou la décision de justice) est aussi un problème qui implique la responsabilité des chefs de juridictions parce que, pour chaque audience, en dehors des référés, est sanctionnée par un acte de jugement. Ce n’est pas au greffier de rédiger. Le rôle du greffier, si vous voulez, c’est pour authentifier la tenue de l’audience, les débats, les échanges, tout ce que les parties ont dit. C’est vrai, quand le juge fait sa décision, il la remet au greffier pour la mise en forme, mais ce n’est pas au greffier de rédiger à la place du juge. Lui, il est un acteur majeur sans lequel on ne peut pas tenir des audiences, son absence est une cause de nullité d’une procédure ou d’une décision. C’est lui qui note ce qui a été dit, c’est au juge de rédiger sa décision de remettre au greffier qui était à l’audience pour la mise en forme. Pour les audiences qui sont collégiales, donc normalement, il importe au chef de juridiction, au président des audiences, après chaque audience, vous êtes montés à 3, vous avez retenu 15 dossiers, normalement, vous faites une répartition après délibéré. Vous remettez au juge normalement, vous devez suivre pour que les juges vous rendent les décisions. Je vous assure, lorsque j’étais arrivé ministre de la Justice, j’ai dû faire face à des situations inexplicables où des personnes sont en détention pendant plus de 13 ans dont les dossiers sont perdus. On était obligé de procéder à des reconstitutions pour ordonner leur mise en liberté provisoire. Même si on les juge pour les faits pour lesquels ils sont en détention, ils ne peuvent pas dépasser 5 ans. C’est vraiment un véritable problème et, là, je vous dis que, ça, c’est la responsabilité des chefs de juridiction de contrôler, de récompenser les agents qui s’acquittent convenablement de leur travail et de prendre des mesures contre ceux qui ne font pas leur travail. Et nous avons des exemples dont il n’est pas bon de parler ici.
Monsieur le ministre, la question de l’indépendance de la justice est au cœur des préoccupations des citoyens nigériens, vous le savez, qu’est-ce qu’il faut faire sur ce plan ?
Dans toutes les questions du secteur de la justice, les hommes sont impliqués et c’est lié aux hommes ou aux acteurs judicaires. L’indépendance de la justice appelle plusieurs facteurs parce que l’indépendance, ce n’est pas seulement vis-à-vis de l’État ou des autorités politiques, l’indépendance c’est d’abord vis-à-vis du juge lui-même, vis-à-vis de sa famille, de ses propres intérêts, de ses amitiés, de ses relations familiales et autres, et vis-à-vis des justiciables avant d’être vis-à-vis de l’État.
L’indépendance vis-à-vis de sa famille vous dites !
Oui, parce que vous savez, aujourd’hui, tout le monde le sait. Au Niger, quand vous avez un dossier, on peut aller même si c’est à Nguigmi trouver vos parents pour demander qu’ils interviennent. Il faut être à distance respecter ses relations mais ne pas accepter d’être compromis ou de compromettre les intérêts d’un justiciable pour servir la galerie de quelqu’un d’autre, parce que celui qui voulait obtenir une décision par voie détournée mettra tous les moyens pour le faire. Mais, ce qui est sûr, moi, je me suis amusé en cabinet à poser la question s’agissant de cette indépendance à mes collaborateurs. Je leur pose la question de savoir : est-ce que le juge nigérien est prêt à être indépendant comme le sont les membres du CNSP qui ont risqué leur vie pour la souveraineté du peuple nigérien, en dépit des menaces d’attaque personnelle, d’attaque du pays mais qui ont su garder la ligne ?
Ça, c’est le ministre de la Justice qui le dit ?
Je le dis parce qu’il ne faut pas penser que l’indépendance peut s’acquérir comme ça
Et c’était quoi la réponse ?
Bon, je n’ai pas de réponse parce que pour moi, il faut que le juge soit lui-même prêt à être indépendant. Pourquoi je le dis, je ne suis pas venu pour dénigrer quiconque, mais je prie Allah qu’il en soit témoin si je suis en train de le faire pour mentir sur quelqu’un, je demande qu’Allah en fasse le jugement et en tire les conséquences. Vous ne pouvez pas être indépendant quand vous négociez un poste. Malgré mon intervention lors du congrès du SAMAN, je peux sortir mon portable pour montrer des magistrats qui ont vu des personnes influentes pour leur demander d’intercéder pour qu’on les affecte. A partir du moment où un juge court derrière un poste, il ne peut pas être indépendant, je suis désolé.
Et, il y en a beaucoup qui courent derrière un poste ?
Il y en a beaucoup et si je le dis, c’est parce que moi, je n’ai pas couru et s’il y a quelqu’un qui connaît un poste pour lequel j’ai couru, qu’il le dise publiquement.
Même si c’est pour des raisons objectives ?
Mais est-ce qu’il y a des raisons objectives à demander d’être affecté dans une juridiction alors que vous avez une administration qui est là, qui connaît les magistrats par leurs dates d’entrée, par leurs grades, par leurs échelons et que toutes les promotions sont faites en tenant compte de ces aspects ? On n’a jamais fait une affectation où on n’a pas mis sur table tous ces facteurs, on prend tous les magistrats par grade, on prend pour le gouvernement qui sont de grade exceptionnel et même dans le grade exceptionnel, on fait la catégorisation par échelon. Toutes ces choses sont prises en compte lors des affectations. Il arrive souvent où on commet quelques petites erreurs mais, en vérité, si vous méritez un poste, vous n’avez pas besoin de le négocier à la justice parce que c’est le rôle que le Conseil Supérieur de la Magistrature joue et c’est le rôle qu’un secrétariat du Conseil de la magistrature joue. Actuellement, même si les gens sont en train de parler, nous avons un Conseil Supérieur de la Magistrature qui est là
Mais qui ne marche pas, monsieur le ministre !
Je viens ! ce n’est pas le Conseil, nous avons un secrétariat permanent qui est là et qui exerce, si vous voulez, les attributions comme si le Conseil Supérieur de la Magistrature existait parce que chaque fois que nous avons des affectations, il est obligé de comparer pour voir qui on peut amener pour juger au niveau d’une cour d’appel, qui on peut amener pour être procureur général à la cour d’appel, qui on peut amener pour être président d’un tribunal de grande instance. Vous avez des magistrats qui veulent aller trop vite et vous avez ceux qui ne veulent même pas servir dans le secteur de la justice. Pourquoi j’ai fait ce préalable ? C’est pour que les Nigériens comprennent bien sûr que la question d’indépendance va au-delà des contours que certains acteurs veulent lui donner. Ce n’est pas le fait seulement de l’État, ce n’est pas seulement le fait de la société, ce n’est pas seulement le fait du magistrat, c’est une alchimie. Ce qui est sûr, depuis que nous sommes à la tête du Ministère de la Justice, je défie quiconque de venir me dire dans quelle procédure, moi je l’ai appelé pour lui dire d’arrêter ou de faire.
Script : ONEP