Le sous-secteur agricole demeure la source presque exclusive des aliments et nutriments consommés par les Nigériens. Malheureusement, la forte sensibilité des activités agricoles aux risques multiples fait que le Niger n’assure pas une alimentation suffisante à l’ensemble de la population. La performance du secteur agricole est instable du fait de sa forte exposition aux changements climatiques. Le Niger importe presque tous les produits de consommation pour subvenir aux besoins de la population. Et à certaines périodes de l’année, comme c’est le cas actuellement, les produits de première nécessité connaissent une hausse des prix sur les marchés. Dans l’interview qui suit, l’honorable Mahamadou Bachir Harouna Hambali nous parle de la dynamisation du secteur de l’agriculture, de la mécanisation agricole par la création d’unités de transformation des produits agricoles et le développement des chaines de valeur.
Honorable Chef de canton, la majorité de la population nigérienne considère l’agriculture comme un travail réservé aux paysans, sinon aux pauvres. Que pensez-vous une telle affirmation ?
On peut le dire oui ! Parce que l’agriculture paysanne propose des solutions afin que plusieurs paysans puissent vivre de leur travail et en retrouvent le sens. En effet, le paysan produit pour se nourrir et non pour des fins commerciales. Aujourd’hui, notre population évolue, nous devons abandonner la houe en faveur des technologies modernes, qui sont beaucoup plus efficaces. Il faut reconnaitre que, le secteur agricole est le vecteur potentiel d’énormes progrès sociaux en termes de réduction de la pauvreté. Au Niger, la saison des pluies s’étend de juin à septembre, soit seulement trois mois. L’accès à l’eau est donc un défi majeur pour les cultivateurs, qui doivent trouver d’autres façons d’exploiter leurs terres. Le soutien aux agriculteurs et aux agricultrices améliore la sécurité alimentaire, stimule les économies locales et renforce la résilience des communautés. Pour ce faire, l’Etat doit soutenir et appuyer les producteurs pour développer ce secteur.
Par exemple dans les années 1990, il y avait eu l’introduction de tracteurs en irrigué, mais 10 ans après, cette initiative était abandonnée à cause des petites superficies cultivées et par manque de maintenance. Par contre, en 2014, l’Etat a tenté d’intégrer la mécanisation mais sans succès, car la plupart des tracteurs sont utilisés pour la préparation du sol.
Je pense que cette fois-ci, l’Etat doit impliquer la chefferie traditionnelle pour montrer l’exemple et sensibiliser les paysans à aller vers les pratiques culturales modernes. Les niveaux de mécanisation des exploitations agricoles sont très faibles ou n’existent pas. Cela concerne toute l’Afrique subsaharienne. Selon les experts du Centre Africain pour la Transformation Economique basé au Ghana, le nombre de tracteurs varient de 1,3 par kilomètre carré au Rwanda à 43 en Afrique du Sud, contre 128 en Inde et 116 au Brésil. Selon également l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), spécialisée dans la lutte contre la faim, l’Afrique compte globalement moins de deux tracteurs pour 1 000 hectares de terres cultivées. Ce nombre est de 10 pour 1 000 hectares en Asie du Sud et en Amérique latine. Cela dit que, l’Etat doit encourager, la pratique de l’agriculture intensive et motorisée. La mécanisation de l’agriculture ne sert pas seulement à labourer la terre, mais aussi à planter, récolter, transformer et stocker des produits. Je tiens beaucoup à la promotion des chaines de valeur au Niger, en produisant, transformant, vendant et consommant les produits locaux.
Pour rappel, le Gouvernement a rencontré les opérateurs économiques du Niger au sujet de la cherté des produits de première nécessité à la veille du mois béni de Ramadan. Comment le Niger peut-il échapper à une telle situation et réduire les importations de certains produits ?
Vous savez, environ 80% de notre pays est sans littoral. Notre population est plus de 23 millions d’habitants vivant dans les régions du sud et de l’ouest propices à l’agriculture. Nous savons bien que la population est fortement dépendante des activités agricoles et de cultures de subsistance comme celles du maïs et du sorgho. Le réchauffement climatique accentue les difficultés que rencontre le paysan, faisant peser une menace permanente sur la sécurité alimentaire, le développement durable et la croissance économique.
Le Niger dépense par an, plusieurs milliards de Francs CFA dans l’achat des produits alimentaires, alors que nous pouvons produire au pays. La tendance doit changer. Nous devrions être le grenier de plusieurs pays de la sous-région. Je suis sûr que, ça va changer, si nous rendons notre agriculture mécanisée. Le seul problème, c’est que nos opérateurs économiques sont des importateurs, non des producteurs. C’est ce qui nous amène ce problème. Les commerçants doivent retrousser leurs manches pour se donner au travail de la terre. Ensuite l’Etat doit aussi penser à l’accès aux offres de financement des activités agricoles et les adapter aux contextes socioéconomique et agricole. On doit soutenir, l’émergence de nouvelles entreprises agricoles capables de relever les défis de la sécurité alimentaire et nutritionnelle répondant au développement économique du pays.
Par exemple, nous devons également valoriser l’agriculture intensive qui vise à produire le maximum sur un terrain restreint. Ce mode d’exploitation exige alors un travail acharné, des outils mécaniques efficaces et l’utilisation d’engrais et de produits chimiques variés. Ce type d’agriculture se pratique sur de très grandes surfaces divisées en sections.
Cette initiative fait partie du programme de renaissance acte III du Président de la République, Mohamed Bazoum. Pour rappel, lors de sa campagne présidentielle et récemment son dernier passage à Dioundiou, il a expliqué à la population qu’il va promouvoir l’agriculture dans cette zone. Je le cite ‘’: J’envisage dans le programme de renaissance acte III pour participer à transformer notre agriculture. Je tenais beaucoup au projet de canne à sucre et sa transformation à travers la promotion des chaines de valeur dont nous avons besoin pour faire en sorte que, tout reste dans notre pays. Nous produisons, nous transformons, nous vendons et nous consommons. Je pense également à la construction d’une route, absolument indispensable de Dioundiou à Bouremi pour écouler les produits’’. Fin de citation.
Pour me résumer, notre seule alternative est de nous mettre au travail de la terre tout en le modernisant.
Pensez-vous que, le développement des chaines de valeur agricoles dans notre pays peut-il pour répondre à l’autosuffisance alimentaire ? Peut-il concrètement créer d’emplois aux jeunes nigériens ?
Bien sûr que oui ! Le Niger doit mettre en place un plan national d’investissement dans la mécanisation agricole. C’est une étape cruciale pour accroître la productivité. Ainsi, nous devons promouvoir l’émergence d’un secteur privé qui soit pourvoyeur des emplois pour les jeunes, créer de la richesse et contribuer à l’autonomisation des femmes surtout en milieu rural, non seulement dans le domaine de la production, mais également de la transformation, et de la promotion des produits locaux. Si on met à la disposition des producteurs et promoteurs ruraux des infrastructures et des dispositifs cela permettra de mettre progressivement en place de véritables pôles d’activités en zone rurale. Avec ces genres d’initiatives, nous allons maintenir l’ambition de moderniser nos pratiques et de transformer non seulement l’agriculture, mais au-delà même les systèmes alimentaires pour s’adapter aux enjeux de l’avenir. Quand on développe les chaines de valeur dans ce domaine, il y aura une nette progression en matière de création d’emplois.
Le Niger dispose d’espaces cultivables, quels sont les produits agricoles qui peuvent aujourd’hui faire l’espoir des Nigériens, si leur exploitation est développée?
Les principales cultures pratiquées en saison pluviale sont le mil, le sorgho, l’arachide, le riz et le niébé. Quant aux cultures maraîchères, elles concernent les légumes (chou, poivron, laitue, oignon, tomate etc.), les tubercules (manioc, pomme de terre) et la canne à sucre. Parmi tous ces produits, seul l’oignon est exporté. On doit l’accompagner une fois de plus en utilisant de nouvelles techniques de production avec l’usage des machines, des insecticides et en favorisant une importante quantité de production. Tout en fournissant moins d’effort, l’agriculteur emblave beaucoup de superficies. Cela permet de booster le rendement pour se faire d’importants revenus.
Ensuite, la canne à sucre aussi peut se produire en quantité et se transformer en chaine de valeur pour que le Niger dispose de son sucre ‘’made in Niger’’. L’Etat doit redynamiser la transformation agroalimentaire à grand échelle. Avec une mobilisation de l’eau, l’agriculture nigérienne sera moins dépendante des aléas climatiques, la restauration des terres et la gestion durable de l’environnement pour contrer les effets du changement climatique. On doit penser aux plateformes de services intégrés de proximité pour les producteurs afin de réduire les vulnérabilités structurelles et conjoncturelles des populations. Il y a également, la promotion des techniques et technologies adaptées aux changements climatiques et l’exploitation des opportunités du développement pour transformer notre agriculture en portant surtout le choix sur des produits très consommés au Niger et à l’international.
Que pensez-vous de l’avenir des systèmes agro-alimentaires au Niger ?
L’agenda 2030 de l’Union Africaine pour le développement durable souligne la nécessité de mettre en place des systèmes alimentaires plus durables pour faire face à des défis tels que la malnutrition, la pauvreté, la perte de la biodiversité végétale, la dégradation des écosystèmes et le changement climatique. En développant la production agricole et les filières agroalimentaires, cela permettrait de stimuler la transformation de l’agriculture et la création d’emplois. Ce qui offrira aux jeunes des activités valorisantes dans des conditions décentes. La valorisation du système présente de faibles niveaux techniques. Or, le secteur agroalimentaire offre un potentiel substantiel pour la création de nombreux emplois productifs.
Ainsi, nous devons promouvoir l’émergence du secteur privé qui soit pourvoyeur d’emplois pour les jeunes et créateur de richesses. Comme le système encourage la transformation, et la promotion des produits. Notre pays pourra se positionner parmi les pays de la sous-région qui s’investissent dans les secteurs agro-industriels.
Quel appel avez-vous à lancer aux plus hautes autorités et aux populations au sujet de la modernisation et du développement de l’agriculture au Niger ?
L’appel que j’ai à lancer aux autorités, est de mettre en place des mesures incitatives au profit des opérateurs économiques pour faciliter l’industrialisation dans le domaine de l’agriculture et la transformation des produits locaux pour une meilleure compétitivité. Il va de soi de rendre compétitifs les produits par l’allègement du coût de production, notamment, la fiscalité, l’énergie, les équipements, l’hygiène sanitaire, l’emballage, la normalisation. Il faut aussi dynamiser le secteur privé à travers la mécanisation agricole à grande échelle avec la création d’unités de transformation des produits agricoles, et d’appui à l’émergence de prestataires de services en matière de mécanisation agricole.
Je demande aux bras valides de s’intéresser à l’agriculture. Nous avons de l’eau, il suffit de se donner au travail en créant des entreprises privées. L’Etat ne doit pas recruter tout le monde à la Fonction Publique. Les Chefs traditionnels, les ingénieurs agronomes, les opérateurs économiques, tout le monde doit se mettre au travail pour une l’agriculture performante et créatrice d’emplois au Niger.
Enfin, j’en appelle aussi aux partenaires et aux investisseurs à accompagner les producteurs. En ma qualité de Chef de canton, je puis assurer qu’au niveau du canton de Dioundou, nous sommes prêts à accueillir et même donner des terres à tous ceux qui veulent investir dans l’agriculture et produire sur place.
Interview réalisée par Seini Seydou Zakaria(onep)