
La régénération de la cuvette de Kil après les interventions
Voisin immédiat du département de Goudoumaria, Mainé Soroa est un département où les cuvettes oasiennes sont tout aussi nombreuses même si l’on ne saurait le comparer à Goudoumaria qui est un « scandale de cuvettes oasiennes ». Faute de statistiques fiables en la matière, les services techniques de l’Environnement et de l’Agriculture évoquent environ 350 cuvettes oasiennes pour le département de Mainé Soroa. L’essentiel des cuvettes oasiennes de ce département sont menacées par le changement climatique. Pour se convaincre réellement de la menace, les directeurs départementaux (Environnement ; Agriculture et Génie rural) de Mainé Soroa acceptent volontiers de nous faire visiter deux sites emblématiques où la menace ne saurait laisser personne indifférente.

Il s’agit des cuvettes oasiennes des villages de Kil et d’Adebour situées respectivement à 15 km de Mainé sur la RN1 et 30 km au nord-Est du chef-lieu du département. Le site de kil présente les caractéristiques d’une cuvette sérieusement menacée par la désertification dont la manifestation visible sur le terrain est la ceinture de dunes de sable. Au fil des années, la cuvette oasienne de kil a perdu plusieurs hectares de sa dimension. Selon les témoignages du chef du village de kil M. Breme Gama, alité ce jour 27 juillet 2023, la cuvette est dans un état agonisant dans la mesure où les espèces d’animaux sauvages et les espèces végétales qu’il connaissait avant, n’existent plus aujourd’hui. ‘’ De nos cuvettes oasiennes, il n’existe que le corps. L’âme a longtemps quitté le corps. Nous en sommes conscients même si nous restons impuissants face à la détérioration de ces espaces vitaux pour nos populations’’. En outre, devant le directeur départemental de l’Environnement de Mainé Soroa, le Chef du village esquive malicieusement la question relative à la part de responsabilité de la population dans la dégradation du couvert végétal. Ce dépositaire du pouvoir traditionnel semble jouer la carte de la prudence et de la méfiance. Tout de même, il reconnait que jusqu’à une date récente, la cuvette était dense et qu’il y avait des espèces animales sauvages comme le singe; l’écureuil ; le lapin ; l’outarde ; la pintade ; la buche etc. Quant aux espèces végétales, le chef du village dit avoir constaté la disparition du Fedherbia Albida (Gao), une espèce éminemment protégée en raison de son apport à la fertilité du sol et de la protection de l’environnement. En effet, la multiplication des interventions de l’Etat et ses partenaires ont contribué fortement à atténuer la menace liée au changement climatique. L’aménagement du site a été réalisé en 2019 par le Projet de Gestion Durable des Terres (PGDT). A cette intervention fort salvatrice, viennent se greffer les actions du Projet pour le Développement du Lac Tchad en 2016 ; celles du Projet d’appui à la sécurité alimentaire pour les ménages (PSAM 4) en 2021 ; le projet d’appui au secteur rural (PASR en 2011-2012) ; le projet de lutte contre l’ensablement des cuvettes oasiennes (PLECO) en 2010 etc. Sur le terrain, les interventions sont concluantes dans la mesure où le changement est perceptible. Elles ont permis d’endiguer la menace en facilitant progressivement le retour de la végétation et la faune. Mieux, les populations exploitent minutieusement ces espaces fertiles. Le cri strident de certaines espèces d’oiseaux témoigne de la présence de l’eau à travers la montée de la nappe. C’est le cas des tourtereaux au cri captivant tout de suite l’attention. Les spéculations qui sont produites sur le site de kil sont entre autres du maïs ; du moringa ; du manioc ; de l’oseille ; de la patate douce ; du pastique ; du citronnier ; de la canne à sucre ; des manguiers ; de la banane etc. La cuvette oasienne dispose aussi du natron, une ressource que les populations exploitent pour subvenir à un certain nombre de leurs besoins. Elle est exploitée par 50 exploitants issus d’une dizaine de villages environnants. Selon le directeur départemental de l’Environnement et de la lutte contre la désertification de Mainé Soroa, le commandant Kamarou Djibo Ibrahim, 800 ha de dunes de sable ont été traités par les différents projets qui ont eu à intervenir sur ce site. Quant à l’aménagement, il a concerné 10 ha. En plus de l’ensablement, la cuvette oasienne du village de kil a fait l’objet d’inondation qui a annihilé les efforts des exploitants et du service chargé de l’encadrement et d’appui conseil. Le chef de district agricole de Mainé Soroa M. Boubacar Amadou témoigne : « En effet, les inondations de l’année passée ont contraint le service technique à ne pas inscrire le site de kil parmi les cuvettes échantillons qui font l’objet de l’évaluation de la production horticole qui se fait traditionnellement chaque année. Sinon en 2021, le site de kil avait fait l’objet d’évaluation de l’enquête sur la production horticole ». En termes d’appui conseil et encadrement technique, les exploitants du site de kil bénéficient des semences maraichères de la part de l’Etat et certains partenaires en l’occurrence les ONG et projets. « Nous conseillons chaque fois les producteurs sur comment il faut conduire ces cultures afin de pouvoir tirer le maximum de profit. A ce titre, nous organisons des petites formations à l’intention des exploitants des différents sites relevant de notre ressort. Par exemple, il y a la formation de brigadiers sur la gestion des ravageurs de cultures. Sur chaque site, on choisit deux producteurs », a expliqué le chef de district agricole de Mainé Soroa.
Protection et préservation des cuvettes oasiennes
Sur le plan environnemental, les cuvettes oasiennes sont des espaces privilégiés qui font l’objet de contrôle, étant donné qu’elles renferment des espèces précieuses relevant de la protection de la nature et donc de la seule et unique prérogative des services des eaux et forêts. C’est pourquoi, la direction départementale suit et renforce le contrôle de la protection de la nature dans une zone en proie à l’insécurité. Une brigade de la police forestière est mise en place. Selon le Commandant Kamarou Djibo Ibrahim, cette brigade forestière fait le tour des sites emblématiques pour pouvoir dissuader les populations qui abattent les arbres dont la conséquence évidente est l’avancée du désert. ‘’ Il nous arrive effectivement lors de ces brigades de prendre certains indélicats qui abattent froidement les arbres. Ces individus sont systématiquement mis à la disposition de la justice afin qu’ils puissent répondre de leurs actes’’ a confié le Commandant Kamarou. En termes de perspectives liées à la sauvegarde des cuvettes oasiennes, les services compétents de l’environnement privilégient beaucoup plus la sensibilisation comme moyen efficace pour inverser la tendance.

La direction départementale du génie rural n’est pas aussi en reste du combat contre l’ensablement des cuvettes oasiennes. Elle se déploie du jour au lendemain pour la protection et la préservation des cuvettes qui constituent d’ailleurs des terres sûres et fertiles pour la production agricole. Selon Badamassi Manou, directeur départemental du génie rural de Mainé Soroa, le site de kil a connu d’énormes interventions. Les résultats sont palpables parce que la cuvette est en train d’être exploitée par les populations qui en tirent profit. Toutefois, M. Badamassi Manou dit que l’heure n’est pas à l’autosatisfaction parce qu’il reste beaucoup de travail à faire au regard de la menace à laquelle sont confrontées toutes les cuvettes oasiennes du département de Mainé Soroa. Il y a péril en la demeure si des interventions ne sont pas menées pour endiguer l’avancée inexorable de la dégradation des cuvettes oasiennes dont les manifestions visibles sur le terrain restent et demeurent l’ensablement lié au changement climatique et les actions anthropiques opérées souvent par mégarde ou en raison de l’extrême pauvreté des populations qui tentent de survivre dans un environnement austère.
La cuvette oasienne du village d’Adebour
Le village d’Adebour est installé dans une partie même de la cuvette. Encerclés de tous les côtés par des montagnes de sables, les habitants du village n’ont trouvé leur salut qu’à travers l’exploitation de la cuvette dans la mesure où la campagne agricole ne répond pas toujours à leurs attentes.
Assis sous l’ombre d’un arbre en compagnie d’un certain nombre d’habitants du village, le chef du village d’Adebour M. Madoumi Awagana accueille les visiteurs de ce jeudi 27 juillet 2023. Il rompt tranquillement les échanges pour écouter les mobiles de la venue des visiteurs du jour. Le commandant des Eaux et Forêts lui décline en deux phases courtes les objectifs de la mission. Le message est reçu et aussitôt le chef du village monte sur le véhicule avec un air décontracté auquel se mêle un léger sourire. Destination, la cuvette d’Adebour situé à quelques encablures du village du même nom. Elle est mise en valeur par 60 exploitants répartis sur quatre villages environnants.

Avec l’insécurité qui sévit dans la région de Diffa, la cuvette oasienne d’Adebour connait une mutilation sans précédent. Et pour cause, les jeunes qui, jadis s’adonnaient aux activités de pêche, susceptibles de leur procurer des revenus pour subvenir à leurs besoins, ne peuvent pas accéder aux affluents de la Komadougou. Ils se sont rabattus sur la cuvette où les arbres sont froidement et abusement mis à terre, sans aucune possibilité de régénération du couvert végétal. La cuvette est devenue le lieu où les jeunes produisent du charbon en abattant systématiquement les arbres verts. Conséquences, elle présente aujourd’hui un visage défiguré et un paysage clairsemé, toute chose qui montre à suffisance l’exploitation abusive de cette ressource forestière. Selon le témoignage du chef de village, le processus ayant conduit la cuvette à une telle situation dégradante remonte à 15 ans seulement. Autrefois, la cuvette oasienne d’Adebour présentait une végétation dense au point où une personne trouvait du mal à y circuler au risque de s’égarer facilement. Les effets du changement climatique caractérisés par l’envahissement des dunes de sable et les actions de l’homme sont à l’origine de la menace de cet espace naturel. ‘’ A l’époque, les habitants que nous sommes ne savaient véritablement pas l’intérêt et l’utilité de préserver cet écosystème pittoresque. Mais maintenant, nous avons compris que les arbres sont protecteurs de notre cadre de vie et la survie de la diversité biologique ’’, relate le chef du village avec regret. En plus, ajoute M. Madoumi Awagana, il y a de cela moins de deux décennies, la cuvette renfermait toute une panoplie d’espèces végétales telles que le Gao ; l’accacia Radiana ; les Balanites ; le jujubier etc. Quant aux espèces animales et oiseaux, il cite entre autres, le singe ; la biche ; le fennec ; le phacochère ; le chacal ; la pintade ; l’outarde etc. Par ailleurs, pour la protection et la préservation de ce précieux écosystème forestier, un certain nombre de projets ont eu à intervenir pour redonner l’espoir aux habitants du village d’Adebour qui misent beaucoup sur la cuvette oasienne pour tirer leur subsistance quotidienne. Parmi les projets ayant intervenu sur le site oasien du village d’Adebour, il y a notamment le projet « Redressement Economique et Social Inclusif du Lac Tchad (RESILAC) en 2021 » et le projet pour la relance et le développement de la région du lac Tchad (PROLAC) en 2023. Toutes ces interventions ont contribué à la réduction du déficit alimentaire au niveau des bénéficiaires et l’amélioration du revenu lié à la vente des produits maraichers. Elles ont aussi réduit considérablement l’exode des bras valides. En effet, l’exploitation de ce site a permis d’améliorer significativement la diversification du régime alimentaire des populations. Bref, la cuvette oasienne de ce village est devenue une terre de prédilection pour les cultures sous pluies et celles dites de contre saison. Les spéculations produites par les exploitants sont entre autres, la canne à sucre ; le moringa ; le maïs ; le sorgho ; le gombo ; l’oignon ; l’aubergine ; etc…

En définitive, le dénominateur commun de ces ressources oasiennes appartenant aux deux départements, reste et demeure l’ensablement accéléré auquel s’ajoutent malheureusement les actions anthropiques. Et si des actions de grande envergure ne sont pas réalisées au cours de cette décennie pour sauvegarder l’existant, les conséquences seraient incalculables sur ces écosystèmes exceptionnels qui participent à la diversité biologique et à l’équilibre écologique.
Hassane Daouda (ONEP), Envoyé Spécial