Jeter un regard historique sur le processus de l’industrialisation au Niger revient à réveiller un vieux souvenir dans l’esprit de toute la génération d’anciens élèves du niveau primaire des années 70- 80. En effet, à l’époque, cette histoire était enseignée à l’école, et tout bon élève ne pouvait prétendre se présenter aux examens du Certificat d’étude primaire et élémentaire et à l’Entrée en sixième sans pouvoir déclamer la longue liste des unités industrielles et des sociétés constituant l’ossature (disons la pépinière) de l’économie nationale naissante, tout en précisant leur vocation et leur lieu d’implantation.
A l’époque, presque tout le monde connaissait la leçon (chanson !) : SONARA, Société Nigérienne d’Arachide ; SNCP, Société Nigérienne des Cuirs et Peaux ; SONICERAM, Société Nigérienne de Céramique ; SONIPLA, Société Nigérienne de Plastique ; SNC, Société nigérienne de Cimenterie, et ainsi de suite…
Amorcée dès le lendemain de l’indépendance, l’histoire de l’industrialisation au Niger est riche en renseignements, mais aussi en soubresauts. Youssouf Mayaki, Ph.D., économiste et haut cadre des Finances, nous édifie clairement sur le sujet à travers un article d’analyse sur la question et publié sur le site Niger Diaspora, en août 2021, sous le titre ‘’Niger, un miracle économique méconnu (1960 – 1980)’’.
Selon lui, en 1960 déjà, le premier gouvernement du Niger indépendant avait aussitôt opté pour une politique industrielle basée sur le modèle de la stratégie de substitution aux importations. «Sa mise en œuvre est simple dans ses principes ; Il s’agit : d’abord de cibler les débouchés importants (intérieurs), tels que les reflètent les achats substantiels effectués à l’étranger au fil des années ; ensuite s’assurer de la capacité des industriels locaux à maîtriser les techniques de production ou de la volonté des investisseurs étrangers à fournir des techniques, des gestionnaires et du capital ; enfin ériger des obstacles protecteurs (tarifs douaniers ou contingents à l’importation) afin de couvrir les coûts initiaux élevés de la production locale et d’assurer la rentabilité des industries prioritaires pour des investisseurs potentiels ».
Une politique industrielle basée sur le modèle de la stratégie de substitution aux importations
Comme il l’a expliqué, la stratégie de substitution adoptée est généralement traduite par le choix comme premières cibles d’un investissement des industries de biens de consommation, notamment les produits alimentaires transformés, les boissons, les textiles, l’habillement, les chaussures, etc. La fabrication de ces produits fait appel à des techniques relativement normalisées et aisément accessibles aux industries des pays en développement.
C’est ainsi que, l’Etat a créé quelques unités industrielles de transformation de produits locaux pour satisfaire une demande domestique solvable. « C’est au cours de cette période que fut créée la quasi-totalité des entreprises et sociétés d’Etat ou d’Economie mixte qui constituent l’essentiel du tissu économique et industriel du Niger », souligne l’économiste Youssouf Mayaki, Ph.D. Puis de rappeler qu’après le coup d’Etat de 1974, cette option de politique économique n’a pas été remise en cause. « Au contraire, profitant de l’embellie due au boom des recettes d’exportations de 1976 à 1980 et, donc, de la hausse rapide et substantielle des ressources de l’Etat, les nouvelles autorités ont entrepris de vastes programmes de modernisation et d’extension des grandes entreprises publiques comme la NIGELEC, l’ORTN, la SNTN, l’OPT et créé d’autres non moins importantes comme la SONICHAR, la SONIDEP, la LEYMA, la NITRA, l’ONAHA, l’ONAREM, etc. », précise-t-il.
Un parc industriel fort de 72 entreprises en 1988
Entre autres entreprises industrielles et commerciales créées sous le régime de Diori Hamani, puis par le CMS de Seyni Kountché, sur le modèle de la stratégie de substitution aux importations et des avantages comparés, on peut citer la Société Nigérienne des Cuirs et Peaux (SNCP), la Société Nigérienne de Tannage (SONITAN), la Société Nigérienne de Textile (NITEX/SONITEXTIL), la Société Nigérienne de Fabrication Métallique (SONIFAME), la Société Nigérienne de Céramique (SONICERAM), la Société Nigérienne de Plastique (SONIPLA) et la Société nigérienne de Cimenterie (SNC).
S’ajoutent également la Société Nigérienne d’arachide (SONARA), la Société Nigérienne de Primeurs (SONIPRIM), la Société du Riz du Niger (RINI), la Société de Transformation du Mil (SOTRAMIL), la Société Nigérienne de Produits Vétérinaires (VETOPHAR), la Société de Produits Pharmaceutiques (SONIPHAR), l’Office du Lait du Niger (OLANI), l’Abattoir Frigorifique de Niamey (AFN), l’usine des Phosphates de Tahoua, l’usine de Cigarettes de Maradi, l’usine d’Allumettes de Maradi, l’usine de Craie à Malbaza, les huileries de Maradi (SICONIGER), de Matamèye (SHN) et de Magaria (SEPANI), etc.
A ces unités industrielles, viennent s’ajouter des dizaines de sociétés et d’offices très actifs qui participent à insuffler une réelle dynamique dans l’activité économique du Niger. « Déjà à la veille de l’ajustement structurel (1983), le secteur des entreprises publiques (non compris le secteur privé et celui de l’économie mixte) se composait de 54 entreprises qui réalisaient 24 % de la valeur ajoutée du secteur moderne soit encore 4,6 % du produit intérieur et employait environ 13.000 personnes soit 46,6 % de la population active occupée dans le dit secteur », souligne l’auteur de l’analyse.
Ce parc industriel et commercial, rappelle Youssouf Mayaki, «est soutenu par un système financier adéquat composé de banques spécialisées : Banque de Développement de la République du Niger (BDRN), Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA), Caisse de Prêts aux Collectivités Territoriales (CPCT), Société Nigérienne de Crédit Automobile (SONICA), Crédit du Niger ».
C’est ainsi que toute une gamme assez variée de biens industriels étaient produits pour satisfaire une demande domestique en hausse. Ce sont notamment ; huile, farine, semoule, biscuit, bonbons, lait, viande, cuirs et peaux, maroquinerie, savon, parfum, pommade, cigarettes, allumettes, plastiques, chaussures, médicaments et produits pharmaceutiques, équipements et menuiserie métalliques, couvertures, pagnes, briques rouges, ciment, craie, fourneaux, chauffe-eaux et pompes solaires, fruits et légumes, etc.
Hélas, la conjoncture économique internationale et le second choc pétrolier conjugué à la baisse sensible de l’activité dans les mines uranifères, ont commencé à pointer le nez rendant la situation des finances publiques fortement tendue. Il n’empêche que, note l’analyste, jusqu’en 1982, sous les effets conjoints de la croissance en volume des exportations d’uranium, de la bonne tenue des cours mondiaux de ce minerai et des facilités de l’endettement extérieur, les autorités ont aisément trouvé les ressources pour mener à bien cette politique.
Puis vinrent les différents programmes d’ajustement structurel…
C’est à partir de 1983 qu’un programme de réforme du Secteur des entreprises publiques a été mis en œuvre avec l’assistance financière des bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque Mondiale, CCCE devenue AFD). Ce programme porte sur la privatisation totale ou partielle des activités financièrement viables mais sans un intérêt stratégique pour le pays, la liquidation des entreprises ne présentant ni viabilité financière ni intérêt stratégique, et la réhabilitation de certaines entreprises qu’il fallait sauver.
Il est vrai qu’à la suite des différents programmes d’ajustement structurel, qui a connu un échec retentissant, le tissu industriel nigérien a complètement disparu. A croire qu’il y avait un agenda caché !… Du reste, nous apprend l’économiste, c’est le même scenario qui s’était présenté un peu partout en Afrique où les programmes de stabilisation d’abord et d’ajustement structurel ensuite ont contribué à une désindustrialisation massive des économies. « Au Niger, en plus du caractère inopérant des propositions faites s’ajoutent la mauvaise exécution et le contexte socio-politique. Dans ce dernier registre, il faut rappeler que le PAS a été appliqué dans un contexte d’instabilité politique, institutionnelle et sociale. Ainsi, le pays a connu en l’espace d’une décennie (de 1990 à 1999) ; une Conférence Nationale Souveraine, quatre Républiques, deux coups d’Etat, deux régimes militaires et deux rébellions armées », explique l’auteur de l’analyse.
Soulignant que cette situation d’instabilité a sévèrement contrarié la mise en œuvre d’une politique économique cohérente et durable au Niger, le spécialiste dit qu’il ‘’n’est pas question, ici et maintenant de faire le bilan du PAS au Niger mais plutôt d’aller de l’avant en initiant une nouvelle politique industrielle hardie’’.
C’est justement à cela que s’attèle le gouvernement, qui, à travers le Programme de développement économique et social (PDES), ambitionne de faire du secteur de l’industrie le véritable moteur du développement. C’est à ce titre que, ces dernières années, le Niger mise sur la transformation des matières premières locales ou étrangères, pour stimuler la croissance économique et de réduire la pauvreté au Niger. C’est ainsi que, dans le document de présentation du Plan de développement économique et social du Niger (2012-2015), déjà, les principaux secteurs de l’industrie étaient constitués des industries extractives, des industries manufacturières l’énergie, de l’artisanat, du tourisme, de la culture, ainsi que du commerce et des transports.
C’est encore le cas du PDES 2022-2026 à travers lequel le Niger qui s’attèle à surmonter les difficultés liées à la faible compétitivité des produits du fait des coûts élevés de production industrielle et de la faiblesse du cadre institutionnel et organisationnel. Il s’agit en effet d’impulser le développement d’un secteur industriel créateur de forte valeur ajoutée et d’emplois.
L’agro-industrie en plein essor
Cette vision des autorités se traduit surtout dans le secteur de l’agro-industrie du Niger où on note une certaine éclosion d’entreprises intervenant dans la transformation des matières premières issues de l’agriculture, de la pêche et de la foresterie en produits non alimentaires, et les biotechnologies industrielles.
L’enjeu reste d’assurer l’indépendance énergétique nationale, facteur essentiel de développement. Pour ce faire le Niger se propose d’explorer les autres formes d’énergie en complément de l’électricité, notamment l’utilisation du gaz naturel, et les énergies renouvelables (solaire éolienne).
Par Assane Soumana(onep)