Les uniformes lors des mariages, baptêmes et autres cérémonies de réjouissance prennent de plus en plus des proportions inquiétantes dans la société nigérienne. Cette pratique sociale qui jadis ne comportait aucune dimension contraignante, est devenue aujourd’hui source de problèmes et de conflits au point où elle menace même l’équilibre familial. Ce phénomène n’épargne malheureusement aucune contrée de notre pays. Dans les villes comme dans les campagnes, le problème se pose avec acuité. Dans cet entretien, l’Administrateur Culturel Saadou Ousmane, cadre du Ministère en charge de la Culture explique l’évolution de cette pratique qui étrangle, étouffe toute une société dans le silence absolu.
Les uniformes de mariage constituent une pratique sociale qui contribue à déstabiliser l’équilibre familial dans beaucoup de cas ; comment lutter efficacement contre ce phénomène devenu une gangrène pour la société nigérienne ?
Je tiens à remercier tout d’abord votre journal et au-delà votre institution pour m’avoir donné cette occasion d’aborder un sujet aussi important que la question de l’uniforme lors de certains évènements sociaux tels que le mariage ou le baptême au Niger. En effet, chaque société, peut dans son fonctionnement, définir ou construire une symbolique pour s’identifier ou se singulariser par rapport aux autres. L’uniforme est un moyen d’immortaliser un événement social, de se montrer solidaire et de créer un sentiment d’appartenance à une famille, à un groupe d’individus ou un groupe communautaire.
Ainsi, cette tenue identique que les uns et les autres portent n’est pas mauvaise en soi, si elle n’est pas contraignante pour ceux qui n’ont pas les moyens d’en acheter. Hélas, de nos jours, le port l’uniforme du mariage ou du baptême a perdu toutes ses valeurs symboliques et devient de plus en plus objet de discorde sociale et d’appauvrissement de certains membres dans nos communautés.
En outre, dans bien de cas, tous les moyens sont utilisés y compris des comportements dégradants et indignes conduisant ainsi à certaines déviances sociales ou fragilisation communautaire (divorce, prostitution, grossesses non désirées, la perte de l’autorité parentale…).
Finalement, quelle attitude faut-il adopter face à cette pratique, il faut le dire, désormais très ancrée dans nos mœurs ?
Pour combattre cette pratique, le problème doit d’abord être analysé sous l’angle social et économique et ensuite, il faut élaborer et mettre en œuvre une approche participative et inclusive pour le résoudre. De ce point de vue, tous les acteurs seront impliqués (parents, jeunes, les leaders communautaires et religieux, les organisations des jeunes et des femmes, les autorités coutumières et administratives…). Ces acteurs comprennent et doivent prendre conscience qu’il est temps d’agir.
De mon point de vue, les responsabilités sont partagées et chacun doit jouer sa partition à l’image d’une équipe de football ou une scène de théâtre. Par exemple, au niveau individuel, il s’agit de dire si à un mariage ou à un baptême, je dois faire une déviance positive, c’est-à-dire interdire carrément l’uniforme, peu importe les pressions sociales qui s’imposent à moi. Au niveau collectif, la communauté doit établir des normes sociales en fonction des nouvelles attitudes ou comportements voulus / souhaités et les faire rigoureusement respecter par tous les membres de la communauté.
En outre, je pense que certains Ministères Techniques comme ceux en charge de la Promotion de la Femme, de la Jeunesse et de la Culture, de l’Education Nationale, pour ne citer que ceux-là, peuvent travailler en synergie avec la chefferie traditionnelle et la société civile pour élaborer un code de conduite sur cette question du port d’uniforme à l’occasion de certains évènements sociaux.
Cette synergie d’actions va permettre de sensibiliser les différentes couches sociales pour l’adoption des nouveaux comportements favorables au développement endogène de nos communautés. La mise en œuvre de ce code de conduite réduirait certaines dépenses ostentatoires lors de certains événements sociaux.
Quel rôle les médias peuvent-ils jouer dans le cadre du changement de comportement par rapport à ce phénomène qui fait des ravages dans le silence ?
Comme je l’ai dit tantôt, chacun doit jouer sa partition, les médias, en tant que membres de la communauté, doivent diffuser ou publier dans leurs programmes des messages ciblés. Ces messages mettront en exergue les avantages économiques et sociaux que l’on peut tirer en abandonnant cette pratique. Il s’agit d’orienter toutes les stratégies de communication vers des comportements voulus ou souhaités.
Ces messages seront diffusés à travers des débats en langues nationales, des reportages sur les dépenses ostentatoires liées à l’uniforme, le taux de divorce, des conflits entre les couples ou les familles, les comportements déviants des jeunes filles ou même d’autres femmes en couple.
La tranche d’âge qui encourage et perpétue cette pratique est la jeunesse qui constitue plus de la moitié de la société nigérienne. Quelle est l’approche qui vous parait la plus pertinente pour réduire significativement ce phénomène à défaut de l’éradiquer totalement ?
Avant de condamner le comportement des jeunes et surtout des filles, il faut d’abord nous interroger sur les valeurs transmises dans le processus éducatif de ces jeunes filles aujourd’hui. Il serait souhaitable que les communautés revoient le système éducatif traditionnel où certaines valeurs comme la dignité, le respect de soi et de sa communauté, le fait d’accepter de vivre selon ses moyens, d’éviter l’effet de l’imitation et du conformisme, de travailler dignement pour subvenir à ses besoins en comptant sur ses propres capacités d’entreprendre en saisissant les opportunités offertes par son environnement immédiat.
Je pense que de cette façon, ces jeunes filles pourraient prendre conscience qu’il leur serait inutile de faire des dépenses ostentatoires notamment les uniformes lors des mariages ou des baptêmes. Elles investiraient au contraire dans des business qui leur apporteront des revenus substantiels et par conséquent préserveront leur dignité et se se feront respecter par la communauté. Il faut également que les jeunes filles, surtout scolarisées et diplômées, comprennent que le business est un métier ou disons une attitude, un comportement qui ouvre des pistes de réflexion en vue de réaliser des micros-projets, en un mot avoir son autonomie sociale et économique.
Quelles sont les étapes à suivre pour arriver un jour à un changement de comportement ou d’habitude par rapport à ce phénomène, surtout dans ce contexte de « Labou Sanni » ou « Zantché Kassa » ?
En effet, avec l’avènement de ‘’Labou Sanni’’ ou ‘’Zantché Kassa’’, la jeunesse nigérienne a compris que la souveraineté, l’indépendance et la défense de la patrie ne sont plus de vains mots. Au contraire ce sont des concepts libérateurs. Cette jeunesse, vous le savez, a joué et continue de jouer un rôle très important dans ce combat libérateur. Elle a pris conscience depuis les évènements du 26 juillet 2023, que notre pays doit forcer et forger son indépendance réelle et se hisser au rang des grandes nations.
En termes de comportements ou d’attitudes à observer par les jeunes, je crois que la jeunesse est en train de jouer sa partition en tant que frange la plus importante de notre pays. Les jeunes doivent être de veille, proactifs et porteurs d’autres approches et initiatives inclusives pour sensibiliser et mobiliser leurs pairs, et au-delà, toute la population nigérienne autour des questions d’intérêt national, de la défense de notre patrie et de notre souveraineté sociale, culturelle et économique. De ce fait, ils doivent être armés de patience et de courage pour soutenir et maintenir le combat engagé par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) et le gouvernement de transition. Les retombées de cette lutte profiteront beaucoup plus aux générations actuelles et futures une fois que le Niger obtiendra sa vraie souveraineté.
Réalisé par Abdoussalam K. Mouha (ONEP)