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Pr Marichatou Hamani
Au Niger, l’élevage occupe plus de 87% de la population active du pays. Par son caractère séculaire, il occupe une place prépondérante dans l’économie nationale et familiale. Il contribue à plus de 11% du PIB national et à plus de 25% du budget des ménages. L’élevage constitue avec l’agriculture l’activité économique dominante car il représente le revenu essentiel et souvent unique des couches importantes de la population. Il est aussi un élément primordial du commerce extérieur. Cependant, il est constaté quelques tares dans l’exercice de cette activité phare de l’économie notamment dans la production de lait et de viande. Pour endiguer ce déficit, le gouvernement a décidé de recourir aux biotechnologies, notamment à l’insémination artificielle aux fins de booster la production animalière.
«L’insémination artificielle est une biotechnologie de la reproduction qui consiste à prélever du sperme chez un animal mâle avec un bon potentiel de production pour le déposer dans l’appareil génital d’une femelle sans qu’il n’y ait contacte entre eux. Le résultat va donner des produits qui sont appelés des métisses ou des croisés qui auront un bon potentiel de production. Au Niger, l’insémination artificielle bovine est la plus pratiquée. Toutefois, une expérimentation est en cours sur les petits ruminants », nous renseigne le Professeur Marichatou Hamani, enseignant chercheur à la faculté d’agronomie de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, département production animale et directeur du centre d’excellence régionale sur les productions pastorales. Au Niger, la race Azawak est la race animale à fort potentiel laitier.
L’insémination suit un procédé méticuleux
Selon cet expert, qui capitalise plus 23 années d’expérience dans le domaine, cette biotechnologie se fait selon un schéma bien déterminé. Il explique que l’insémination réussit mieux quand la femelle est en chaleur. Car, c’est en ce moment qu’elle accepte l’accouplement. « Sur une période du cycle de 21 jours, la femelle est en chaleur tout au moins une journée. En ce moment si on fait l’insémination, il y a de fortes chances de réussite » a-t-il expliqué. Sur la même lancée, il a fait savoir qu’on peut aussi provoquer cette chaleur s’il y a beaucoup de femelles en traitant ces dernières pour que le jour de l’insémination, elles soient en chaleur au moins dans les 24 heures ou 48 heures ensemble et au même moment. Cela, a souligné le professeur, nécessite une préparation qui consiste à mettre un dispositif en intra vaginal de la femelle pendant une certaine durée (soit 9 jours). « Le 7ème jour, il faut injecter un produit, le 9ème jour il faut retirer ce qu’on a mis en intra vaginale et injecter un autre produit puis revenir deux jours plus tard pour faire une première insémination et le lendemain une deuxième insémination », a-t-il expliqué.
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Après cette étape, il faut attendre un cycle après pour revenir vérifier. « Si la femelle revient en chaleur, cela veut dire qu’elle n’a pas été fécondée et qu’il faut alors reprendre. Si elle n’en revient pas c’est que potentiellement, elle est gestante. 45 jours après on fait une échographie ou faire ce qu’on appelle le diagnostic par palpation transrectale, deux mois après ; mettre la main par voie transrectale afin de voir si au niveau de la matrice, il y’a un embryon ou pas », explique l’enseignant chercheur.
A ce niveau, le professeur a précisé que la semence animale se congèle et se garde dans de l’azote liquide qui fait -196oc. « Sans azote liquide, il est impossible de faire l’insémination artificielle car, le sperme ne se garde pas plus de 48 à 72 heures. « Avec le système de congélation, on peut garder de bonne quantité et la diffuser le plus largement dans le temps. », a-t-il dit.
Objectif : améliorer la production de lait et de viande
L’insémination artificielle se fait chez toutes les espèces animales mais au Niger l’expérience a commencé avec les bovins. L’objectif visé était d’améliorer la production de lait et de viande par le canal bovin. « Quand le ministère a permis le croisement, on a importé les semences des races étrangères (du Mali, de la France, de la Belgique) comme la race Holstein pour faire des croisements en inséminant des femelles de nos races bovines. Ce qui a permis d’avoir des produits avec un bon potentiel de production. C’est pour cela qu’on dit que c’est un outil d’amélioration génétique parce qu’elle permet d’augmenter de façon moyenne ou significative le potentiel de production de nos races animales» a-t-il indiqué.
Outre l’amélioration génétique, l’insémination artificielle regorge d’autres avantages. Elle permet non seulement de lutter contre la pauvreté mais aussi d’assurer une résilience en matière de sécurité alimentaire. Mieux, cette pratique a un apport inestimable sur l’économie nationale et sur celle des ménages. « Nous importons du lait pour plusieurs milliards chaque année. Si localement on peut produire du lait pour satisfaire la demande intérieure, cela permettrait de réduire les importations. On ferait mieux d’injecter l’argent mis pour importer le lait sur l’amélioration des races locales. Car, cela nous permettra d’avoir notre autonomie », a martelé Pr. Marichatou Hamani.
Pour l’expert, l’insémination artificielle animale est un véritable atout qui assure la sécurité sanitaire. « Avec les différents examens auxquels sont soumises les semences avant l’insémination, nous mettons un frein aux maladies animales transmissibles par voie sexuelle », a-t-il confié.
Il ajoute que le deuxième élément positif, c’est l’amélioration génétique des produits. Faisant le parallèle, il explique qu’une race Holstein donne au minimum 20 litres de lait par jour alors que nos animaux non inséminés, c’est-à-dire à l’état naturel fournissent seulement 1 à 3 litres par jour. « Or, avec ce travail d’insémination artificielle, on a des femelles qui donnent 8 à 16 litres par jour. C’est pratiquement la production de trois vaches Azawak qui ne donnent que 2 à 3 litres par jour », a expliqué l’expert.
Taux de réussite et danger de l’insémination artificielle
Le taux de réussite de l’insémination artificielle animale au Niger est fluctuant. Selon les évaluations faites par le professeur et son équipe pendant à peu près plus d’une dizaine d’années, ce taux varie entre 30 % et 40 %.
D’après Pr. Marichatou Hamani, l’utilisation de cette biotechnologie peut avoir des dangers si elle n’est pas encadrée. C’est pourquoi, il insiste sur l’importance d’avoir un cadre réglementaire pour éviter un recours abusif, potentiellement porteur de dangers. « Quand on fait un croisement, le résultat donne une métisse qui a un demi sang Azawak et un demi sang de race étrangère. Si, on continue l’expérimentation sur la métisse, on aura 1/4 de sang Azawak et 3/4 de sang étranger. A long terme cela risque de beaucoup diluer nos races. C’est pour cela qu’il faut encadrer aussi cette biotechnologie », a-t-il insisté. Des textes sont en cours d’élaboration, annonce-t-il tout en assurant que certains textes sont d’ores et déjà dans le circuit de validation.
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Vu l’engouement que suscite l’insémination artificielle auprès des éleveurs, le Pr. Marichatou Hamani préconise donc de se limiter à la demi sang, soulignant qu’elle est la meilleure. « Pour les autres métisses, nous ne préconisons pas de les garder ni de les utiliser en reproduction parce que quand on les utilise et que on va les mettre dans des demi sang on va vers la race étrangère et cela fausse le calcul. Il vaut mieux les castrer ou les conduire à l’abattoir », suggère notre interlocuteur.
Aussi, il préconise aux éleveurs de s’assurer d’avoir les capacités de nourrir les produits métisses. « Autant ces produits métisses produisent beaucoup de lait, autant ils ont besoin de beaucoup d’aliments, ils mangent plus que les autres, ils ont besoin d’un suivi sanitaire très rapproché et ils ont besoin de soins particuliers. Nous les préconisons pour les éleveurs en semi intensif ou intensifiés qui ont les moyens de subvenir à tous ces besoins de croisement. Pour l’éleveur traditionnel qui démarre, il vaut mieux faire l’insémination avec la race Azawak améliorée parce que c’est la race locale qui est adaptée à notre environnement », a-t-il conseillé.
A la question de savoir s’il y a des centres spécialisés en insémination artificielle animale, le spécialiste renseigne que le ministère est en train d’élaborer les textes pour la création d’un centre habilité à cet effet. Actuellement, il y a un seul laboratoire de production de semence animale au Niger, celui de la faculté d’agronomie. En dehors du laboratoire situé à la faculté d’agronomie, il y a également le programme d’amélioration génétique comme le PNAG (programme national d’amélioration génétique) qui est logé au niveau du Ministère de l’Elevage.
Professeur Marichatou et son équipe ont fait beaucoup de sensibilisation sur la question d’insémination mais l’idée, espère-t-il, c’est d’avoir des fermes intensifiées modèles où on fera de l’insémination pour pouvoir améliorer de façon substantielle la quantité de lait et de viande.
Rahila Tagou (ONEP)