
M. Djibajé Maman Sani
En février 2022, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux vous a confié la présidence de ce comité. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui ont présidé à la création de ce comité ?
Le comité a été créé par arrêté n°24 du 26 janvier 2022 du ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Il a été chargé de procéder à la relecture et l’adaptation du code pénal et du code de procédure pénale. Les raisons qui ont sous-tendu à la mise en place de ce comité sont entre autres dues au fait que ces 2 documents n’ont pas été rédigés par le Niger mais plutôt hérités par le Niger. Le code de procédure pénale émane du code de justice criminelle français produit en 1804 et le code pénal émane du code pénal français de 1810. Ces documents ne sont plus conformes à l’évolution de la société nigérienne. Jusque-là les modifications apportées dans les deux documents en plus de 60 ans ne concernent que quelques articles. Il y a des incohérences, un mauvais agencement d’articles. Certaines dispositions ne sont pas adaptées aux réalités sociales. Il y a de nombreuses fautes d’orthographe, de grammaire, de conjugaison, de style et de syntaxe y sont flagrantes. En outre, ces deux codes ne sont pas conformes aux lois et conventions internationales signées par le Niger alors qu’ils doivent l’être. Vous comprenez aisément que cette relecture s’impose, elle est nécessaire à bien d’égard.
Vous avez récemment remis au ministre une copie de l’avant-projet sur le code pénal. Quelles sont les nouveautés contenues dans ce dernier ?
En effet, nous avons remis au ministre, le 27 mars 2023 une copie de l’avant-projet du code pénal après dix mois de travail. Avant l’élaboration de ce projet, nous avons procédé à l’obtention des avis de toutes les personnes impliquées dans la chaîne pénale afin de commencer les travaux de sessions. Les nouveautés contenues dans ce projet sont les modifications apportées soit dans le fond ou la forme du document. En effet, le code actuel en rigueur comporte 408 articles et l’avant-projet en compte 609, soit 201 articles de plus. Sur les 408 articles du code en vigueur, 341 ont été modifiés. Aussi, nous avons établi un équilibre entre la personnalité du délinquant, les circonstances et la gravité de l’infraction afin d’adapter les peines. Nous avons tenu compte du pouvoir d’achat de la population pour ajuster les amendes. Afin de mieux protéger les biens publics, le comité a qualifié certaines infractions concernant le détournement des biens publics, ‘’d’imprescriptibles’’. Ce qui permet désormais de poursuivre l’auteur à tout moment, à partir d’un certain montant, peu importe le nombre d’années après la commission de l’infraction. De plus, concernant le détournement des mineurs, le comité a fait l’obligation au ministère public de poursuivre l’auteur dès lors que le procureur a été saisi d’une plainte ou dès qu’il en est informé par ses propres moyens. Ça n’existait pas dans le code actuel. Ensuite concernant la question de la corruption nous avons élargi la catégorie de personnes qui peuvent être sévèrement poursuivies ou châtiées. C’est ainsi pour qu’aucune personne ne puisse se soustraire, il a été ajouté un titre visant explicitement comme auteur de l’infraction toute personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée de mission du service public, toute personne investie d’un mandat électif ou toute personne membre des forces de défense et de sécurité. On a intégré cette disposition pour répondre à des questions d’actualité.
Concernant la question de la mendicité, le comité a décidé, plutôt que de punir le mendiant lui-même qui souvent en réalité n’est qu’une victime, de punir ceux qui exploitent la mendicité d’autrui notamment des petits enfants. Que le mendiant soit un enfant, une femme, ça va devenir une circonstance aggravante. Concernant la question de l’administration de la justice, il y a une nouvelle infraction qui a été intégrée dans l’avant-projet du code que nous avons qualifié d’immixtion dans le fonctionnement de la justice définie comme toute pression quelconque exercée sur un juge en charge d’un dossier ou toute entrave , tout ordre donné, tout artifice, toute déclaration, toute manifestation publique de nature à troubler l’ordre, de nature à influencer le cours normal d’une instance ou tendant à empêcher ou à retarder l’exécution d’une décision de justice. Si cette disposition a été mise dans le code pénal, c’est pour assoir encore plus l’autorité de la décision de justice. Une fois que la justice a statué et que la décision est devenue définitive normalement rien ni personne ne peut s’opposer à l’exécution de cette décision. Une fois qu’un juge du siège est saisi d’une affaire par un magistrat du parquet, il ne peut pas recevoir d’instruction, personne ne doit l’influencer etc. Si d’aventure quelqu’un le fait, il va tomber sur le coup de ces articles.
Ensuite, dans le même code nous avons intégré les dispositions des instruments internationaux auxquels le Niger est partie soit les instruments régionaux concernant l’UA, la CEDEAO, l’OHADA. Nous avons proposé l’abolition de la peine de mort car, dans le code pénal actuel il y a à peu près 35 infractions punies de la peine de mort. La peine de mort n’est plus appliquée au Niger depuis 1976. Depuis cette date plus aucun condamné n’a été exécuté, pourtant la justice continue à condamner les gens à mort, peine que le gouvernement transforme en une condamnation à vie. Nous nous sommes dits puisque la peine de mort ne sert plus à rien, elle n’est pas exécutée, autant la remplacer par une autre peine et nous avons retenu ce qu’on appelle l’emprisonnement à vie assorti d’une période de sûreté de 30 ans. La personne va faire 30 ans sans aucune permission de sortir, ni d’aménagement de peine, pas de libération conditionnelle.
Où en êtes-vous par rapport aux travaux du code de procédure pénale ?
Aussitôt après avoir remis l’avant-projet du code pénal, nous avons attaqué le code de procédure pénale parce que dès notre installation nous avons pris cette option de commencer par le code pénal. Nous avons tenu quatre sessions dont deux délocalisées à Dosso et au cours desquelles nous avons analysé 741 articles que contient le CPP actuel. Et à la fin, nous sommes retrouvés maintenant avec 921 articles. Mais nous avons touché d’autres articles pour les conformer à notre réalité. C’est ainsi que dans ce CPP nous avons redéfini ce qu’il faut qualifier d’officier de police judiciaire, ensuite nous avons redéfini les délais de garde-à-vue pour tenir compte des droits des personnes en cause. Puis nous avons pris des dispositions pour pallier la lenteur judiciaire, tout le monde s’en plaint et elle n’est pas due au code pénal, mais plutôt au code de procédure pénale, puisque c’est lui qui prévoit toute la procédure à suivre. Et ce sont ces dispositions quand elles sont mal appliquées qui font en sorte que la justice est critiquée de lenteur. Pour y mettre fin, nous avons tenu à mettre partout des délais, par exemple lorsque vous déposez une plainte pour le moment le procureur n’a aucun délai pour vous répondre. Là nous avons proposé un délai que le procureur est obligé de respecter. Et même quand il va classer cette affaire sans suite, il a un délai pour vous notifier ce classement sans suite et vous informer que vous avez des voix de recours par rapport à la décision (recours gracieux d’abord, ensuite le recours hiérarchique).
Nous avons aussi discuté sur la question de la garde-à-vue. Nous avons mis des garde-fous à ce niveau et comment ça doit se passer par rapport aux délais, aux obligations des OPJ qui gardent une personne à vue. Les différents délais au terme desquels ils doivent déférer la personne devant le procureur, le contenu même des procès-verbaux. Nous avons discuté au niveau du comité de la question de l’instruction des dossiers au niveau des juges d’instruction. Un dossier, quand il est devant un juge d’instruction, ça peut prendre des mois voire des années et les juges d’instruction parfois ont tendance à placer les personnes systématiquement sous mandat de dépôt.
Dans le projet du code de procédure pénale, nous avons institué ce qu’on appelle le contrôle judiciaire, ça n’existe pas jusque ici. C’est seulement lorsqu’il est impossible d’assujettir l’inculpé à un contrôle judiciaire qu’on peut le placer en détention sous mandat de dépôt. Et même si la personne est placée sous mandat de dépôt, nous avons réduit les délais de détention préventive. Si vous prenez l’exemple de la maison d’arrêt de Niamey, la semaine passée, les détenus avoisinent les 2000 et vous avez plus de 1700 qui ne sont pas jugés, qui sont placés sous mandat de dépôt. Donc il faut pallier ce problème de surpopulation. Nous avons diminué le délai de la détention provisoire. Ensuite, nous avons institué désormais ce qu’on appelle la co-instruction. Pour un même dossier, on peut placer deux ou plusieurs juges d’instruction en fonction de sa complexité et du nombre de prévenus, au lieu que ça soit un seul. Et le juge d’instruction lui-même a cette possibilité, si le texte est adopté, de demander qu’on lui adjoigne un ou plusieurs autres juges d’instruction pour qu’il puisse aller plus vite dans les traitements de dossier. C’est une nouveauté. Une autre nouveauté, c’est concernant les questions de terrorisme et de criminalité organisée. Pour tout le Niger, il y a un seul tribunal compétent en matière de terrorisme, c’est le TGI HC de Niamey avec le pôle anti-terroriste. Donc pour tous les actes commis au Niger c’est uniquement le TGI Niamey qui est compétent. Vu que ça ne marche pas comme voulu, le comité a proposé que soit créée ou instituée auprès de chaque tribunal de grande instance qui est situé au siège d’une cour d’appel une chambre compétente en matière de terrorisme et de criminalité transnationale organisé. Ça va beaucoup décongestionner le pôle anti-terroriste de Niamey actuellement encombré. Et cette décision est d’ailleurs en conformité avec une recommandation adoptée récemment à Niamey lors de la conférence internationale sur l’approche civile en matière du terrorisme. Il en est de même en matière économique et financière pour laquelle c’est uniquement le TGI de Niamey qui est compétent. Cela va beaucoup désengorger le tribunal de grande instance de Niamey.
En suite pour que la justice aille plus vite, nous avons intégré les moyens de communications modernes. On peut utiliser par exemple son WhatsApp, l’email pour convoquer une personne ou pour lui notifier une décision de justice au lieu de la procédure classique. On a voulu un peu révolutionner pour que la procédure aille plus vite. Ensuite on a prévu, dans l’optique du décongestionnement des établissements pénitenciers, la réduction des conditions de la libération conditionnelle pour les rendre plus souples, plus légères puisque la libération conditionnelle, c’est quand une personne, qui a déjà été jugée et qui aura purgé une partie de sa peine, peut demander à ce qu’elle soit mise en liberté par arrêté du ministre. Mais les conditions actuelles font que très peu de condamnés arrivent à en bénéficier.
Enfin une autre nouveauté c’est concernant le casier judiciaire où le demandeur doit s’adresser à un tribunal de grande instance du lieu de sa naissance. Nous avons modifié cela, en créant un casier judiciaire central informatisé qui sera géré par le ministère de la Justice. C’est dire que désormais partout au Niger vous pouvez vous adresser à un tribunal pour avoir votre casier judiciaire. On a aussi institué un casier judiciaire pour les personnes morales parce que dans le code pénal nous avons institué ce qu’on appelle la responsabilité pénale des personnes morales qui n’existait pas jusqu’ici.
Qu’est-ce qui changera alors, une fois ces deux textes adoptés et mis en œuvre ?
Nous sommes un comité technique qui a fait un travail technique que nous avons soumis aux autorités en charge de leur adoption. Le code pénal est actuellement pendant au Secrétariat général du gouvernement et nous prévoyons de remettre l’avant-projet du code de procédure pénale la semaine prochaine au ministre de la justice. Donc, si ces deux textes sont adoptés, je suis sûr et certain qu’il y aura une grande amélioration dans le fonctionnement de la justice, dans la gestion de nos établissements pénitentiaires. Encore que ce ne sont pas souvent seulement les textes mais il y a aussi les hommes qui sont chargés de les appliquer. Donc, il va falloir que les hommes de terrain qui sont chargés d’appliquer ces textes les étudient d’abord pour les connaitre afin de mieux les appliquer. On a institué un peu partout des délais, des délais pour juger une personne et pour l’instant il n’y a aucun délai pour juger une personne. Une personne peut donc passer 1 an, 2 ans, 3 ans voire 10 ans sans être jugée. Dans la nouvelle procédure pénale, il y a des délais pour juger une personne. Les juges doivent prendre toutes les dispositions pour pouvoir dans le délai juger la personne et ce sont des délais raisonnables, ce ne sont pas des délais contraignants pour le juge. Si ces textes-là sont adoptés, il y aura moins de personnes qui feront l’objet de mandat dépôt, moins de personnes prévenues dans les établissements pénitentiaires et beaucoup d’améliorations seront constatées dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire.