Monsieur le Préfet, pouvez-vous présenter à nos lecteurs votre entité administrative ?
Le département de Gaya est situé dans l’extrême Sud de notre pays, précisément dans la région de Dosso. Il est limité à l’Est par le département de Dioundiou ; à l’Ouest par le Benin ; au Nord par le département de Dosso et au Sud par le Nigéria. Sa superficie est de 2. 476 Km2. Selon les estimations de l’Institut National de la Statistique (INS) 2020, la population du département de Gaya est de 367.262 habitants. Il compte six (6) communes en l’occurrence Bana ; Bengou ; Gaya ; Tounouga ; Tanda et Yélou. Sa population est composée majoritairement de Zarma-sonrai ; Haoussa ; Peulh ; Touaregs. Les principales activités de la population sont l’agriculture ; l’élevage ; le commerce ; l’artisanat et la pêche.
Sur cette zone de trois frontières de Gaya, les trafics d’armes illicites, de drogue, des stupéfiants et de carburant fraudé constituerait une réelle menace sécuritaire. Quelle est l’ampleur de la situation aujourd’hui ?
Le trafic d’armes, nous ne pouvons dire qu’il existe réellement. Il arrive de temps en temps que les Forces de défense et de sécurité arrêtent certains trafiquants. Mais les trafics ou la fraude à grande échelle qui menace dangereusement le département de Gaya, c’est surtout le trafic de carburant et de drogue qui dépassent largement le cadre local que nous avons connu et qui permettait aux gens de se débrouiller pour joindre les deux bouts. Aujourd’hui, les trafics de carburant et de drogue se font à grande ampleur en direction du Nord Doutchi et du Nord Loga. Le trafic rentre dans le cadre de ce qu’on appelle l’économie criminelle parce qu’il rejoint les bandes terroristes qui écument le Nord Mali. Par ailleurs, il faut dire que le fleuve est aussi utilisé dans le cadre du trafic de carburant et de la drogue pour servir la zone du Liptako à travers certains points de rencontre qui sont au-delà du département de Gaya. Selon nos informations, le carburant va jusqu’à Gao pour remonter dans le Nord Mali. C’est vraiment ce rôle qui est entrain de donner à l’espace Dendi ou bien le département de Gaya. Ce qui est inquiétant parce que c’est le carburant fraudé du Nigéria qui est transporté par des centaines de motos et de véhicules vers le Nord. Les autorités sont en train de prendre les mesures qui s’imposent pour lutter efficacement contre cette fraude. Au-delà du département de Gaya, on peut dire que l’ensemble de nos frontières, à savoir le Bénin et le Nigéria, connaissent ce phénomène. Et c’est la jeunesse qui est concernée dans la mesure où c’est elle qui transporte les bidons d’essence sur des motos. C’est cette jeunesse qui est à la recherche du gain facile. Qui connait le Dendi avant, la jeunesse travaillait la terre ; pratiquait l’élevage et la pêche. Mais malheureusement, aujourd’hui, cette jeunesse est en train d’être détournée dans ce trafic. Nous pensons que les solutions résident dans la sensibilisation afin de juguler ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur.
Est-ce que la douane arrive à saisir des quantités importantes de drogue et de carburant fraudé ?
Oui. Tout récemment, il y a eu la saisie d’une quantité importante de la drogue au niveau du poste de contrôle juxtaposé de Gaya et dans certains villages se trouvant le long du fleuve. Ce qui est inquiétant, souvent, on voit les motos s’aligner sans savoir qu’elles transportent de la drogue. Ces motos empruntent des voies où les véhicules ne peuvent pas circuler. C’est vraiment un phénomène qui mérite l’attention de tout le monde.
Le contrôle et la gestion des frontières relèvent d’une coopération transfrontalière interactive. Comment se présentent vos relations, en tant que première autorité du département, avec vos homologues des entités frontalières du Benin et du Nigéria ?
Nos relations avec les pays frères du Bénin et du Nigéria sont excellentes. Nous avons des cadres de concertation, surtout sur le plan sécuritaire. Nos échanges concernent aussi l’intercommunalité où nous avons en place ce qu’on appelle désormais l’espace Dendi qui dispose même d’un programme dénommé « Dendi Ganda» regroupant six (6) communes du département de Gaya ; quatre (4) communes de la République Fédérale du Nigéria et deux (2) communes du Benin. Cette coopération transfrontalière permet de résoudre ensemble beaucoup de problèmes liés à la vie socio-économique de nos populations. Aujourd’hui, des villes comme Malanville (Bénin) et Kamba (Nigéria) sont des villes jumelles de Gaya. C’est dire que la coopération transfrontalière se porte très bien. Nous avons cet outil dynamique de « Dendi Ganda » qui permet de contrôler l’ensemble des activités économiques, commerciales et culturelles dans la zone. Depuis un certain moment, les organisations régionales ou sous-régionales comme la CEDEAO et l’UEMOA s’activent à créer ce dynamisme de rapprochement entre nos populations. Donc, les administrations des trois pays sont obligées de collaborer. Tout récemment, les représentants de ces trois pays se sont retrouvés à Dosso dans le cadre de la mise en place d’une stratégie de lutte contre la pandémie à coronavirus ou COVID-19. Cette rencontre a abouti à la signature d’un protocole d’accord d’intervention. Il y a aujourd’hui sur les frontières de ces trois pays un dispositif de coopération. C’est pour vous dire que nous ne sommes pas isolés. Nous agissons ensemble à travers l’intercommunalité. C’est un dynamisme qui fait son bout de chemin depuis un certain temps.
La position géographique de Gaya constitue un atout indéniable pour les échanges commerciaux, quels sont les avantages que tire le département ?
Comme je le disais tout à l’heure, Gaya est un peu l’épicentre de ce que les Universitaires du département de Géographie qui ont étudié l’espace Dendi appellent « le business center» parce que Gaya est entre Malanville et Kamba. Le commerce est intense que ce soit les vivres ; les produits transportés du port ; les différents marchés de Malanville et de Kamba. En effet, il y a quelques années, c’était Malanville qui constituait le point culminant du commerce transfrontalier. Aujourd’hui, la tendance est inversée parce que Gaya a pris le dessus sur Malanville et même dans une certaine mesure sur Kamba. Tous les grands commerçants nigériens résidant au Nigéria et au Bénin ont compris la nécessité de venir investir à Gaya. La ville de Gaya est aujourd’hui dynamique en matière de commerce. On remarque l’intensité du commerce de tous les produits vers Gaya. C’est un flux très important qu’on constate en faisant un tour dans la ville de Gaya avec beaucoup de magasins. Il y a de cela quelques années, ces magasins étaient beaucoup plus présents du côté de Malanville (Bénin). Gaya vit aujourd’hui de ce commerce transfrontalier. Les commerçants nigériens résidant dans les pays côtiers ont pris conscience d’investir au pays. Cette prise de conscience est aujourd’hui accompagnée par la facilitation au niveau du cordon douanier au Niger. Toutefois, on constate aussi que le commerce est extraverti dans le département de Gaya surtout pour la filière riz et bétail. Le riz produit à Gaya est exporté soit au Nigéria ou au Bénin. C’est aussi pareil pour le bétail en raison des avantages que tirent les populations.
La libre circulation des personnes et de leurs biens est une priorité pour tous les Etats membres de la CEDEAO ; est-ce qu’au poste de contrôle juxtaposé de Gaya, ce vœu cher à l’institution communautaire est une réalité ?
Lorsque j’ai pris service le 30 décembre 2020, nous étions en plein COVID-19. Le poste de contrôle juxtaposé était carrément fermé. Mais depuis la réouverture du poste, il n’y a aucune difficulté. Le passage est fluide. Il n’y a aucun problème entre le Benin et le Niger. Le contrôle s’effectue normalement. Les populations passent comme sur des roulettes à la frontière. Le poste juxtaposé a permis quand même de mettre en place un dispositif technique qui facilite le passage des voyageurs et leurs biens. Les choses se font simultanément et rapidement. Bref, il n’y a aucun problème au niveau de la libre circulation des personnes et de leurs biens. Le seul problème qu’on avait, c’était la mesure prise par le Benin concernant l’interdiction temporaire de l’exportation du maïs et certains produits alimentaires compte tenu des difficultés qu’il y a au sein du pays. Les prix du maïs ont grimpé à l’intérieur du Bénin. Et donc les autorités ont jugé utile de réguler l’inflation. C’est la seule difficulté que connaissent nos populations. Là aussi, c’est des mesures que chaque pays est souverain de prendre pour protéger sa population. Sinon, on n’a pas constaté quelque chose qui entrave la libre circulation des personnes et de leurs biens.
Réalisée par Hassane Daouda et Ismaël Chékaré, Envoyés Spéciaux(onep)