A l’instar des autres pays du monde, le Niger a célébré, lundi dernier, à travers plusieurs activités, la journée internationale de la langue maternelle. On se rappelle que l’utilisation des langues nationales a été expérimentée dans notre pays avec dynamisme, avant de constater depuis quelques années, une certaine lenteur dans ce secteur. Le Directeur du Curriculum et de la Promotion des Langues Nationales explique l’importance de l’utilisation des langues nationales, les difficultés inhérentes à la réforme ainsi que l’approche expérimentale et progressive choisie par le Niger où, «en principe l’enseignement bilingue sera généralisé au niveau primaire en 2026 plaise à Dieu ».
M. le Directeur, le Niger a célébré, le 21 février dernier, la journée internationale de la langue maternelle. Quels sont les atouts de l’utilisation des langues maternelles dans un pays comme le nôtre ?
Effectivement comme vous l’avez si bien dit notre pays a commémoré la Journée Internationale de la Langue Maternelle le 21 février 2022. Je voudrais rappeler que la langue maternelle constitue l’un des premiers moyens par lesquels l’enfant se met en contact avec son milieu familial et social. C’est un moyen d’intégration sociale incontournable dans le processus de socialisation des enfants. Par conséquent son utilisation dans le système éducatif formel présente plusieurs atouts.
D’abord la langue maternelle permet une intégration plus cohérente de l’enfant dans son milieu d’appartenance car elle véhicule la culture.
Ensuite, toutes les études faites jusqu’ici ont montré de façon unanime que la langue maternelle permet aux enfants d’apprendre plus vite, de comprendre rapidement et d’être motivés lors des enseignements d’apprentissage. Elles sont les mieux indiquées pour traduire les réalités des milieux dans les quels évoluent les apprenants. Donc elles produisent des meilleurs rendements scolaires.
L’utilisation des langues nationales a été tentée pendant plusieurs années au Niger, avant d’être quelque peu négligée. Pouvez-vous nous parler de l’expérience du Niger dans ce domaine ? En quoi l’utilisation des langues a été bénéfique ?
Comme dans beaucoup de pays africains, l’enseignement dans les langues héritées du système colonial a montré très tôt ses limites. C’est pourquoi depuis les années 1970, la nécessité d’introduire les langues nationales dans l’enseignement s’est fait sentir. Au Niger, la première tentative dans ce sens a été l’œuvre des enseignants de l’école Oumarou Neino de Zinder à titre d’expérimentation bénévole en 1972. Mais déjà, l’évaluation de cette expérimentation a prouvé que les enfants apprenaient mieux dans leurs langues maternelles. Comme nous l’avons souligné plus haut l’utilisation des langues nationales présente des avantages pédagogiques indéniables et permet une meilleure intégration sociale des enfants. Avec l’utilisation des langues nationales l’apprenant comprend très tôt les problèmes et les réalités de son environnement socioculturel.
Mais pourquoi, malgré toute la dynamique mise en place au Niger, l’enseignement des langues maternelles n’existe plus aujourd’hui dans beaucoup d’établissements du pays ?
L’approche choisie par notre pays en matière d’utilisation des langues nationales dans le système éducatif est une approche expérimentale et progressive, c’est pour dire qu’en réalité l’introduction des langues nationales n’a jamais concerné l’ensemble des établissements. Elle se fait graduellement à travers des expérimentations et des extensions. Après les fameuses écoles expérimentales des années 70, on est passé à une autre phase d’expérimentation qui a concerné 500 écoles sur l’ensemble du pays et nous sommes à la phase d’extension qui concerne 5000 écoles. Voilà comment se présente l’approche nigérienne en la matière ; l’introduction des langues nationales ne concerne pas toutes les écoles. En principe l’enseignement bilingue sera généralisé au niveau primaire en 2026 plaise à Dieu.
Qu’est ce qui entrave alors la promotion et l’utilisation des langues maternelles au Niger ?
Je ne sais pas s’il faut parler d’entrave ; en tout cas moi je préfère parler de difficultés inhérentes à toute réforme. Les difficultés rencontrées dans le processus de mise en œuvre de la réforme avec entrée par les langues nationales peuvent être de plusieurs ordres. En effet l’utilisation des nationales présente un enjeu culturel parfois difficile à surmonter car le choix d’une langue d’enseignement est toujours problématique dans des contextes sociolinguistiques ou coexistent plusieurs langues ;
L’introduction des langues nationales dans le système éducatif constitue un enjeu politique car elle est une question de souveraineté nationale et par conséquent peut ne pas être du goût de tous les partenaires ;
On n’introduit pas une langue dans l’enseignement pour le simple plaisir de le faire. Pour être des véritables médiums d’enseignement et de transmission de la connaissance et du savoir nos langues nationales doivent être techniquement équipées, chose que nous avons faite pour la plupart d’entre elles. Or l’équipement d’une langue est un processus complexe qui prend énormément de temps.
C’est une entreprise qui exige beaucoup de moyens notamment financiers, moyens qui ne sont pas toujours disponibles en quantité suffisante malgré les efforts faits par l’Etat et ses partenaires dans ce sens.
Toutes ces difficultés combinées font que la réforme se poursuit lentement mais, heureusement, sûrement. Nous fondons beaucoup d’espoir quant à l’aboutissement heureux de ce projet car nous bénéficions du soutien politique des plus hautes autorités de notre pays, en particulier celui du Président de la République, SE BAZOUM Mohamed qui fait de cette question une priorité de premier ordre dans son programme de Renaissance Acte 3
Monsieur le directeur, le Niger a opté pour une réforme de son Curriculum. De quoi s’agit-il exactement et à quoi faut-il s’attendre dans le système éducatif ?
La réforme curriculaire suppose une refondation de notre système d’enseignement, d’éducation et de formation. Il s’agit d’interroger tout le dispositif à partir duquel nous formons jusqu’à présent nos enfants. La caractéristique de cette réforme au Niger est l’entrée par les langues nationales comme médiums d’enseignement et le socioconstructivisme comme paradigme. Si les choses se déroulent normalement et avec l’adhésion et la participation de tous les acteurs, il faut s’attendre dans les années avenir à ce que notre système connaisse des profondes mutations positives car les rendements scolaires seront meilleurs et plus performants. L’éducation de nos enfants sera certainement plus cohérente et leur formation mieux assurée.
En optant pour la refondation de son curriculum, le Niger a décidé de réconcilier l’école avec les exigences de son environnement comme l’a déclaré le Président de la République lors de son discours d’investiture.
Réalisée par Fatouma Idé(onep)