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M. Ousmane Zakari
L’association des pêcheurs a eu son arrêté d’autorisation d’exercice depuis 1975. M. Ousmane Zakari en est le 6ᵉ président. Avec plus de 550 km de fleuve, et plus de 2000 mares, le Niger ne figure pas au niveau sous régionale parmi les exportateurs de poisson. Pire, le secteur de la pêche est incapable de satisfaire à la demande des populations en poisson local. C’est une véritable défaillance pour les pêcheurs nigériens pour le président de l’APN. C’est pourquoi, l’association est actuellement sur le chantier de la professionnalisation du secteur pour une plus grande efficacité et le développement de l’activité.
Aujourd’hui, comment se porte le secteur de la pêche au Niger ?
C’est triste de le dire, je ne sais comment vous l’expliquer, parce que nous sommes dans une organisation sous régionale de 30 pays qui est le KAOPA. Si vous écoutez l’histoire de ces pays en matière de pêche, c’est extraordinaire. Chaque année, le Niger bénéficie d’environ 70 milliards de francs, mais les pêcheurs sont écartés. L’État même a abandonné la pêche, c’est cela qui a conduit à notre déchéance parce que si l’État nous accompagnait dans nos activités, on ne serait pas dans cette situation. Il y a quelques jours, j’étais à Tillabéri où j’avais trouvé les pécheurs assis, désœuvrés. Parmi une dizaine de personnes, seules trois disposaient de pirogues. Comment la pêche pourrait-t-elle avoir de la valeur dans ces conditions !
Mais, on va désormais essayer de redresser ce secteur et de tout mettre en ordre. Dans les régions de Dosso, de Tillaberi que traverse le fleuve Niger, il y’ a eu des formations au profit des pécheurs sur la pêche professionnelle. Notre ambition au niveau de l’APN, c’est d’arriver à satisfaire la demande nationale en poisson pour que le Nigérien mange son propre poisson, le poisson sain du fleuve Niger et des mares dont dispose le pays.
Effectivement, M. le président, vous venez de parler de pêche professionnelle et nous savons que le Niger connait depuis des décennies un système de pêche artisanale. Comment comptez-vous alors amener ces personnes à sortir de forme artisanale de pêche ?
La pêche artisanale au Niger, si vous êtes dans le domaine, vous conviendriez avec moi que c’est une mauvaise pratique parce que les pécheurs capturent même les alevins, c’est-à-dire les plus petits poissons. Pour une personne qui a hérité de la pêche, il ne lui est pas permis de poser des actes qui font reculer l’activité. Bien au contraire ! Et la pêche artisanale au Niger, c’est vraiment une grande préoccupation. Nous accompagnons les agents des eaux et forêts et ils voient les pécheurs qui s’adonnent à cette mauvaise pratique, ce sont à 95 % des étrangers parce que les locaux ne sont pas accompagnés. Pourtant, c’est notre pays, c’est notre fleuve. Et, nous avons une loi sur la pêche depuis 1964 et le port de pêche a été inauguré au cours de la même année, donc il faut respecter cette loi. La pêche artisanale, ce n’est pas du tout une bonne chose.
Mais, nous espérons que la pêche professionnelle va bientôt remplacer l’artisanale, parce que nous sommes à pied d’œuvre. Il faut savoir qu’un pêcheur professionnel ne pêchera jamais les petits poissons et n’utilisera pas les mailles. Ils se serviront de hameçons et autres modes de captures mieux adaptés à la pêche moderne.
Le 14 octobre dernier, j’étais allé à Tillaberi pour la sensibilisation. Depuis 1980 tous les pays qui nous entourent venaient au Niger pour pêcher, surtout sur le fleuve, ils ont pratiqué notre pêche, et l’ont exportées dans leur propre pays pour la moderniser. Et aujourd’hui, ils font ça d’une manière professionnelle et propre. Mais nous qui leur avons appris, nous avons complètement jeté la pêche. Maintenant, nous sommes à pied d’œuvre pour relancer la pêche professionnelle. Nous avons amené notre dossier au Ministère de tutellle et nous attendons l’arrêté de création.
Nous savons qu’au Niger, la pêche fait partie des trois secteurs d’activité qui contribuaient fortement au PIB du pays, qu’en est-il aujourd’hui ?
Actuellement, je vous dis que la pêche est au moins en sixième position, parce que ça ne va pas. Du poisson qu’on consomme à Niamey, 60 % vient du Burkina Faso, du Mali ou du Nigeria. La pêche au Niger a été négligée, l’État même a retiré ses mains de ce secteur, et a laissé faire tous ceux qui faisaient de la mauvaise pratique. Mais avec les nouvelles autorités, nous leur demandons de nous aider, de nous structurer notre secteur d’activité aussi parce que c’est ça qui nous a manqué et faire la sensibilisation également sur notre travail.
Aujourd’hui, avec toutes ces mauvaises pratiques de pêche, est-ce que le pécheur nigérien arrive à vivre de cette activité ?
Ce n’est pas facile, parce qu’aujourd’hui presque la quasi-totalité des pêcheurs se sont reconvertis en en autre chose, ils sont devenus des producteurs maraichers d’oignons, de pastèque, de maïs. Ils ne pèchent plus parce que l’activité n’est plus rentable. On va acheter une pirogue à quatre-vingt-dix mille ou cent mille, un rouleau de filet à sept mille ou huit mille. En tout cas pour avoir une pirogue complète bien équipée, il faut 150.000 F CFA tandis que pendant un an de pêche, le pêcheur n’aura même pas à gagner autant alors qu’il se peut qu’il gère une famille de minimum dix personnes. Donc comment les nourrir ? Forcément qu’on est obligé d’abandonner cette activité pour trouver un autre travail qui va te soutenir un peu.
La pêche au Niger, ça ne va pas vraiment. Nous comptons parler de cette situation au Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Il faut que l’État nous vienne en aide, qu’il nous accompagne dans ce sens si tant est qu’on veut s’auto suffire en matière de poisson. Parce que nous ne sommes ni des cultivateurs, ni des commerçants, nous sommes des pêcheurs professionnels. Nous avons eu de la dignité dans la pêche parce que c’est notre travail et c’est notre héritage qui doit être absolument sauvegardé.
Selon vous, est-ce que les effets du changement climatique et l’ensablement du fleuve jouent un rôle dans la réduction de la population poisson ?
Sans aucun doute. Ces deux phénomènes jouent un très grand rôle même dans la dégradation de notre secteur d’activité (la pêche). À l’époque, le fleuve faisait au moins dix mètres de profondeur. Et maintenant, on peut même le traverser à pied par endroit et à certaine période de l’année. Les poissons veulent rester dans des eaux profondes, hélas, les profondeurs manquent. Il y a encore la Jacinthe d’eau qui contribue fortement à l’ensablement du fleuve et elle vient avec les arbres, la « tifa ». Depuis des années, l’État ne prend pas des dispositions nécessaires face à cette situation. Nous les pêcheurs, sommes là à souhaiter un lendemain meilleur par la prise en compte de nos préoccupations de la part des autorités. Que Dieu nous vienne en aide. C’est dommage pour nous car, le désœuvrement nous guette. En tout cas, l’ensablement des cours d’eaux, la jacinthe et autres espèces envahissantes constituent des sérieux problèmes, des menaces pour la pêche nigérienne.
Alors que proposez-vous pour minimiser cette perte de la richesse du fleuve ? Quel appel avez-vous à l’endroit de l’Etat et des partenaires qui appuient le secteur pêche ?
Le fleuve a perdu beaucoup de sa richesse. Parce qu’avant, je me souviens à pareil moment, quand je sortais avec mon filet épervier, je lance une à deux fois mon filet, je remplis ma pirogue et maintenant, je peux rentrer de 18h jusqu’à 6h du matin, il est impossible d’avoir cinq kilogrammes de poisson. Voyez-vous, je ne sais vraiment plus quoi dire.
Mon appel, c’est de voir par quelle mesure l’Etat va nous accompagner pour nous structurer et aussi travailler sur le fleuve pour permettre la bonne pratique de la pêche professionnelle, surtout pour nous faire des mini barrages. Nos mares qui sont en état de disparition à travers le pays doivent aussi être aménagées. Si les pêcheurs ont eu un endroit où aller pêcher, ils ne seraient pas tentés d’abandonner leurs activités. C’est toute la nation qui va en bénéficier. L’État n’a qu’à prendre des dispositions. Dans le secteur de la pêche, nous ne voulons rien de l’État qu’un endroit où nous allons exercer notre activité. Aujourd’hui, on a plus de 2.000 mares au Niger, et j’en connais au moins 1.800, parce que j’y ai péché. Vous entendez sûrement la mare de Tabala mai ruwa, qui fournit le Niger en poisson dans les années 1970 à 2000. Mais l’État l’a négligée et aujourd’hui cette mare est ensablée par de l’argile. A nos nouvelles autorités et au gouvernement de transition, nous lançons un appel pour que toutes ces mares ou les rivières qui sont dans de très mauvais état soient aménagées et réhabilitées.
Par exemple, sur la rivière de la Sirba, le Burkina Faso a fait deux barrages, nous n’en avons aucun au Niger. Voilà la grande raison pour laquelle le poisson s’arrête à leur niveau. Et pourquoi pas nous ? L’État a les moyens de faire au moins un barrage pour retenir l’eau au niveau de Tillaberi, nous pensons qu’on peut faire au moins six barrages au plan national pour retenir les eaux et développer une pisciculture très rentable. Cela nous soulagera énormément et nous permettra de vivre de notre travail. Au Niger nous avons des pêcheurs professionnels de père en fils qui détiennent le secret de la pêche, qui ont même le pouvoir mystique d’appeler le poisson, de le faire venir sur la rive d’un cours d’eau. Avec ce que nous vivons aujourd’hui, c’est tout cet héritage qui est en train de disparaître alors que c’est une richesse culturelle à sauvegarder.
Hamissou Yahaya (ONEP)