Ces dernières années, le phénomène du plus vieux métier du monde prend de l’ampleur dans notre société. En tant que sociologue comment expliquez-vous cette situation ?
Cette situation s’explique par plusieurs facteurs : Le premier c’est l’influence d’autres cultures qui s’observe à travers les réseaux sociaux et d’autres canaux de communication. On constate la recrudescence du phénomène de nos jours au vu de l’ampleur de la situation sur les réseaux sociaux, ce qui amène les jeunes filles à s’intéresser à la vie et ce qui se passe ailleurs. Cette influence s’observe aussi à travers la télévision notamment des feuilletons qui montrent la vie de certaines sociétés qui, en réalité ne cadrent pas bien avec notre mode de vie, notre idéologie culturelle. Deuxième cas de figure, l’accès à l’internet à travers les smart phones peut amener les jeunes filles à télécharger certaines vidéo, ce qui peut dans une certaine mesure inciter ou accroitre leur appétit sexuel. Déjà de par leur âge, les adolescentes pour la plupart sont enclines à une sexualité active en regardant ces films, en téléchargeant certaines applications qui leur donnent accès à des éléments à caractère pornographique. Or nous sommes dans une société où tout ceci est contrôlé, on ne permet pas à n’importe qui de faire ce qu’il veut, comme dans d’autres sociétés. Au Niger, nous sommes confrontés à un autre problème qui vient justifier cette prostitution des jeunes filles, c’est la perte de repères référentiels et culturels. Tout semble avoir été perdu depuis la colonisation au point où le nigérien a tendance à ne même pas savoir où il est en train de s’orienter. Nous ne sommes pas attachés à notre culture traditionnelle, ni véritablement à l’islam, mais encore, nous ne sommes pas comme des occidentaux. A tel enseigne que nous sommes égarés dans une position qui n’est pas en mesure de définir un individu parfait. Ce qui amène la plupart de ces gens à s’identifier à la vie de l’autre.
Le troisième facteur est la pauvreté qui n’est rien d’autre qu’un élément qui vient pour catalyser cette décision que la fille pourrait être amenée à prendre pour se prostituer. Concrètement il y’a déjà certaines prédispositions au niveau de ces filles qui ont été préparées à l’avance par l’influence de ces medias, par cette perdition culturelle et qui s’observe maintenant par la croissance des besoins à satisfaire. C’est en cela qu’on pourra faire le lien entre la pauvreté et la croissance des besoins. Aujourd’hui, il est difficile même aux parents fonctionnaires salariés de satisfaire l’ensemble des besoins de leurs filles qui ne font que s’accroitre de jours en jours. Le smart phone qu’elle a en main, deux mois plus tard elle va vouloir une autre marque plus chère alors qu’elle est élève et ou au chômage, tout ceci va l’amener à vouloir vaille que vaille posséder cet objet, sans oublier la demande d’uniforme. Ces uniformes viennent aggraver la situation, pour un seul mariage, baptême et même malheureusement décès, les gens ont tendance à multiplier ces uniformes, au point où pour une seule cérémonie il y en a jusqu’à trois. Et la fille ne pourra pas disposer des moyens pour satisfaire cela, aucun parent ne peut faire face à cette demande, à tel enseigne qu’aucun copain fidèle à elle ne peut faire face à ce genre de besoins, au point où la fille va être amenée à chercher ailleurs. Dans la plupart des cas il y’a des prédateurs sexuels dans la société qui sont là et qui n’attendent que ces genres d’occasions. Une fille qui est dans le besoin, est une fille vulnérable face à la prédation des hommes qui vont vouloir de cette fille pour prendre ce dont ils ont besoin et lui remettre ce dont elle a besoin. Tous ces éléments vont entrainer une certaine forme de légèreté des mœurs. La fille va vouloir faire cela une fois deux fois, en fin de compte nait le gout et en même temps elle devient professionnelle, comprend comment mener ses activités, comment être discrète et en fin de compte elle n’a plus honte de qui que ce soit et elle s’engage dans cette prostitution, elle se vend pour l’argent…
Peut-on dire que la société est en partie responsable de cette dépravation des mœurs ?
La responsabilité de la société se justifie par le fait qu’elle est désorganisée, désorientée, désemparée par rapport à son orientation d’un point de vue culturel. Nous n’avons pas totalement adopté la culture des occidentaux, nous cherchons à leur ressembler. Nous avons abandonné nos cultures pour nous voir noyer dans une autre culture qui est sans repère, qu’on ne peut même pas nommer en réalité. La société en elle-même, n’est pas à condamner, elle se nourrit des apports des individus qui la construisent. S’ils lui apportent du bien, elle deviendra bonne pour eux ; si les individus la laissent naviguer au hasard elle va les amener partout sauf au bon port. Nous avons tous une lourde responsabilité dans ce combat pour orienter notre société vers un avenir qui va nous être serviable en ce qui concerne notre progéniture. Il y a lieu que chacun comprenne que si on navigue au hasard, sans donner d’orientation à notre société, à notre culture, il va s’en dire qu’on sera happé par la culture de l’autre dans laquelle nous n’allons jamais nous retrouver. En fin de compte, c’est le hasard qui va participer à notre conduite.
Quelles sont les conséquences de ce phénomène dans la société ?
Ça met en mal les valeurs de la société d’un point de vue éthique. Et qui parle d’éthique dans une société parle de sa dignité, de l’honneur. C’est le code que la société a eu à définir qui fait d’elle ce qu’elle est en termes d’identité. Il est compris que dans l’histoire toute société qui s’est adonnée à une sexualité libre, se condamne immanquablement tôt ou tard à une perdition absolue. C’est pourquoi toutes les sociétés au monde ont règlementé la sexualité, on ne s’accouple pas avec qui on veut, comme on veut, quand on veut. Qui conque s’extrait de cette règlementation contribue à la perte de sa société. La société à des valeurs qu’elle cherche à conserver, c’est ce qui lui donne une certaine forme d’identité et constitue en un mot un moteur pour son devenir, son développement, son évolution, son dynamisme.
Par Aïchatou Hamma Wakasso(onep)