Aujourd’hui, l’on n’ignore plus que le dattier est l’arbre fruitier le plus anciennement cultivé. Selon les historiens arboristes, cela se passait entre le Tigre et l’Euphrate il y a de cela 5 à 6000 ans. Ils estiment que les Sumériens furent donc les premiers cultivateurs de la datte, bien avant qu’Assyriens et Babyloniens ne lui octroient le statut d’arbre sacré. Au Niger, le Kawar en est l’une des zones de production par excellence. Mieux, les Kawariens consacrent tout un cérémonial appelé ‘’Mariage des dattes’’ qui se révèle être un véritable événement culturel ancré dans l’agenda communautaire. En février dernier, s’est déroulé, à Dirkou, une des localités phares de la production des dattes au Niger, le ‘’mariage des dattes’’ ou fête des dattes.
Dans son œuvre, ‘‘La magie naturelle’’, p. 32, Jean-Baptiste Porta, écrivait : ‘‘De même que le palmier est à la fois céleste et terrestre, il est tant masculin que féminin. Toujours selon Jean-Baptiste Porta, ‘‘Les palmiers se chérissent d’un amour véhément ; ils languissent l’un pour l’autre et sont tellement chatouillés du désir amoureux, que s’abaissant, ils inclinent leurs perruques ensemble et s’entre tortillent par un aimable et doux attachement réciproque et jouiront des doux présents de Vénus, de sorte que joyeusement ils élèveront la ramée de leurs têtes gracieuses’’. Ainsi, cet épisode du ‘‘mariage des palmiers’’, implique en réalité un ensemble de rites et de techniques dont le but n’est autre que la fécondation artificielle de ces plantes en vigueur depuis aussi longtemps qu’on cultive le dattier. Les palmiers dattiers cultivés au Niger n’échappent pas à cette immuable règle de la nécessité d’un mariage de cet arbre mythique, célèbre et prisé.
Durant les trois (3) jours qu’ont duré les festivités de cette fête des dattes à Dirkou plusieurs activités y ont été menées. En plus des rites qui entourent cet évènement, des couplages des dattiers masculins et féminins ont aussi eu lieu, pour permettre, dans trois mois voire plus, la naissance des nouvelles dattes. Ces nouveaux et doux fruits prisés, tant au Niger qu’ailleurs, agrémenteront les cérémonies de mariages, de baptêmes et souvent des funérailles et serviront de monnaies d’échanges, de produits de commerce et d’exportation pour des nombreux foyers nigériens et autres commerçants. C’est dire l’importance vitale, sociale et économique de la datte, produite pourtant, en abondance, dans une zone désertique.
Expliquant le processus du ‘’mariage des dattes’’, l’Agronome Issa Boucar, indique que la pollinisation de l’inflorescence femelle est nécessaire au développement des fruits et à sa bonne maturation, pratique connue depuis le 3ème millénaire avant notre ère par les sumériens. «Les palmeraies possèdent généralement 95 à 99 % de palmiers femelles producteurs de fruits. Le choix d’un tel sex-ratio artificiel nécessite alors une pollinisation manuelle car la très faible proportion de mâles dans les jardins ne permet pas la pollinisation naturelle de toutes les fleurs femelles. Ce qui entraînerait une perte de rendement en fruits», indique-t-il. L’Agronome explique que, lors dudit mariage des dattes, des épillets de fleurs mâles sont alors pliés en deux et ficelés longitudinalement et transversalement avec de la fibre végétale, l’ensemble formant une sorte de navette ajourée de 4 à 18 centimètres de long pour un diamètre de quelques centimètres. «Ces épillets conditionnés sont insérés dans les inflorescences femelles au moment propice. Après avoir joué leur rôle, ils sont récupérés, laissés à l’ombre dans un endroit frais de la palmeraie puis stockés à l’intérieur des habitations avant la saison des pluies. Ils sont réutilisés l’année suivante où à l’occasion d’une double floraison, en dehors du cycle normal où les mâles n’émettent généralement pas de fleurs», explique M. Boucar.
Lors de cet évènement culturel et festif qu’est la fête des dattes, il y aussi eu des séances d’information et de sensibilisation, qui y ont été menées à l’endroit de tous les acteurs (préfet, maires, chefs traditionnels et populations locales, ressortissants et diaspora), pour une meilleure appropriation de l’importance des dattes, ainsi qu’une exposition des produits et sous-produits du palmier dattier ; des animations culturelles par des troupes locales au niveau du site d’exposition ; l’organisation des conférences. Toutes ces activités se sont déroulées en présence des autorités nationales et régionales avec la participation des ressortissants du Kawar vivant à Agadez et Niamey.
Des produits et sous-produits du palmier dattier
kawarien promus
Une des activités phares du festival des dattes a été, sans nul doute, l’exposition des produits et sous-produits du palmier dattier. A cet effet, près de 40 stands ont été dressés et animés sur le site d’exposition. Selon M. Moussa Abdou, un des exposants et responsable de projet PASP, il y a eu l’exposition des variétés élites des dattes ; des produits de transformation (ARSA, Odoufou, chirap, etc) ; des sous-produits du palmier dattier (vans, paniers, nattes, etc.). En outre, «en vue de faire profiter tous les secteurs économiques du département, 20 autres stands ont été aménagés. Ils sont destinés à exposer le sel, le natron et les autres productions maraichères», a-t-il détaillé.
Pour célébrer la datte, trois conférences publiques ont été organisées autour des thématiques suivantes : ‘‘La contribution des projets dans le développement du Kawar et perspectives ‘’; ‘‘Développement des filières dattes, sel et cultures irriguées dans le Kawar, défis et perspectives’’ et enfin ‘‘Paix et Développement dans le Kawar : historique des communautés et conflits, dynamique sociale et recherche des pistes pour une consolidation de la cohabitation pacifique des communautés’’. Ces différents exposés déclinent les multiples potentialités de la zone du Kawar et visent d’une part à faire un bref rappel du lien existentiel entre récolte de la datte et culture. D’autre part, il s’agit d’analyser les contraintes de la filière datte et de proposer des solutions alternatives. Au cours de l’exposition, des centaines de personnes ont défilé autour des stands ; qui pour se renseigner sur le projet PASP, qui pour déguster certaines spéculations produites et qui pour seulement satisfaire leur curiosité.
Les qualités du dattier
déclinées
«S’il est un fruit qui contient autant de sucres (saccharose, glucose, fructose), je crois bien qu’il ne peut s’agir que de la datte, puisque plus de la moitié de sa masse (53%) en est constituée ; puis viennent l’eau (29%), les matières azotées (2%), les matières grasses (0,2%)», indique le nutritionniste Alhassane Seyni. Selon lui, les sels minéraux (phosphore, calcium, fer, chrome, soufre, magnésium) et les vitamines (A, B1, B2, C, D) ne sont pas en reste dans la composition de ce fruit nourrissant. «A l’état sec, la datte totalise 350 calories aux 100 g, soit trois fois plus que la banane. C’est énorme et inégalable pour un petit fruit qu’est la datte !», s’exclame le nutritionniste. D’après Dr Hachimou de l’hôpital régional d’Agadez les propriétés thérapeutiques des dattes sont nombreuses. «La datte est : très nutritive, laxative, purgative, renforce le tonus musculaire et nerveux, elle est énergétique, reminéralisante, anti-anémique, antitussive, etc», précise-t-il.
Le médecin ajoute que, la datte permet de lutter contre l’asthénie physique et intellectuelle. Elle favorise la croissance, donc très favorable aux enfants) mais aussi protège contre l’anémie, la déminéralisation. Elle contribue efficacement à la convalescence, la grossesse, la sénescence ainsi que les activités sportives. «Je pense que ce n’est pas pour rien que le Prophète Muhammad (PSL), a préconisé la prise des dattes (3) pour rompre le jeûne du Ramadan. Aussi, les anciens ne se sont pas trompés, la datte est utile à tous les âges de la vie et à de nombreuses situations qui en émaillent le cours», estime, quant à lui, Malam Arimi Koura, un marabout de Dirkou.
Mahamadou Diallo(onep)Envoyé Spécial