Le passage de l’illustre Saadou Bori à Diffa lors d’un championnat de lutte traditionnelle a inspiré une troupe culturelle locale à s’ouvrir à la musique dite moderne. La troupe Etoile qui existait depuis 1985, tente d’offrir le style d’animation culturelle qui manquait à la région du Manga. C’est ainsi que commença l’aventure de l’Orchestre Komadougou de Diffa. L’orchestre compose ainsi des chansons en langues haussa, kanouri et un peu en français avec comme crédo «chanter utile, passer des messages qui puissent profiter aux populations».
Ce groupe a, par la suite, longtemps évolué dans l’ombre, voire discrètement, dans cette ville sous contrainte de certains préjugés sociaux l’accusant de faire la promotion de la dépravation des mœurs. Le conflit de Boko Haram est venu ensuite compliquer le sort de l’orchestre. Plus d’animation ! Les musiciens de Komadougou vont d’ailleurs jusqu’à quitter la région pour venir à Zinder, avant de revenir à la faveur de l’accalmie qui s’installe à Diffa.
Dans le temps, c’est cet orchestre qui a toujours représenté la région de Diffa aux festivals nationaux, en musique. Il est connu du public nigérien depuis l’époque où il s’appelait Etoile, après sa chanson intitulée «Takalmi» présentée au festival de Tahoua, puis son titre «Wey ni rai na» chanté au festival de Dosso. Ce grand rendez-vous spécifique de la musique moderne nigérienne reste le dernier au Niger. Les orchestres vivent alors des ventes de disques, de droits d’auteur et des prestations lors des cérémonies. Komadougou de Diffa dont le matériel actuel date de plus de 10 ans n’a enregistré d’album en studio pour la première fois qu’en 2015 à Zinder, avec près de 40 titres un peu épars. En 2018, Ibrahim Ada (le chef d’orchestre) et son équipe remportent le troisième prix de la musique moderne à Zinder Saboua.
«Depuis notre retour de Zinder, la situation est de plus critique pour notre orchestre. On jouait au Stade les soirs, entre 20h et 21h, dans le respect du couvre-feu. Mais les gens s’y sont opposés encore. Les autorités avancent des raisons sécuritaires, d’autres disent que nous cultivons la dépravation des mœurs. Nous ne faisons que les prestations lors des cérémonies, à présent, et nous sommes rarement sollicités. Et je vous dis, c’est insignifiant ce que nous gagnons. Avant on jouait pour au moins un cachet de 50.000FCFA l’heure. Maintenant nous acceptons même un 10.000FCFA. L’homme tente seulement de garder son métier et maintenir la flamme de sa passion», confie le chef de l’orchestre Komadougou, Ibrahim Ada.
Par le passé, l’appui de Oumarou Hadari, ministre de la culture de l’époque, le matériel de l’orchestre était de fabrication locale avec des batteries en tonneau, des guitares raccommodées. «C’est une aide d’un million de FCFA qui nous a permis d’acquérir de véritables matériels de musique», rappelle le chef d’orchestre. «Nous avons toujours nos deux équipes : troupe culturelle et orchestre. A chaque rencontre nationale, que ce soit le prix Dan Gourmou, le festival de la chanson féminine Dalweyzé, la fête du 18 décembre, vous nous verrez représenter notre région dans l’une ou l’autre catégorie ou les deux à la fois», dixit Ada. Agé de 58 ans, ce vieil homme de culture travaille avec une vingtaine de jeunes (garçons et filles).
L’orchestre par la voix de son chef clame être auteur de plusieurs chansons devenues célèbres après interprétation des groupes populaires. Ibrahim Ada s’en est plaint une fois auprès du BNDA (Bureau national des droits d’auteurs) qui l’a mis dans ses droits, en marge du festival de Dosso. «Comme nous nous produisons généralement hors studios, ils nous piquent nos chansons et partent arranger avec des moyens. Nous ne pouvons pas les poursuivre à chaque fois, même le déplacement Diffa-Niamey c’est un problème pour nous. Nous produisons beaucoup, mais nous entendons nos sons à travers d’autres», se lamente Ada.
Ismaël Chékaré(onep),Envoyé Spécial