
Des jeunes fi lles dans une cour d’école à Niamey
Au Niger, le phénomène du mariage précoce est encore une réalité qui touche une proportion importante de la population. Selon les données récentes (2023) de l’Institut National de la Statistique (INS), environ 76 % des jeunes filles sont mariées avant l’âge de 18 ans. Bien que largement répandue dans diverses communautés, cette pratique soulève la problématique du respect des droits fondamentaux de l’enfant, notamment la santé et l’éducation, même si le code civil du pays autorise le mariage à partir de l’âge de 15 ans révolus pour la fille et 18 ans pour le garçon.
Le mariage précoce est observé en milieu urbain et rural. Les jeunes filles sont souvent données en mariage avant la maturité, parfois, sans leur consentement. Certains parents sous-estiment les dangers que cela pourrait entraîner sur la santé et l’éducation de ces enfants. Cela s’explique par diverses raisons dont celles socioculturelles.
Dans de nombreuses communautés, les pratiques des mariages précoces ont des racines culturelles très profondes et se fondent sur une logique claire. Les arguments développés sont, entre autres, la perpétuation d’une relation inter-familles, la sauvegarde de l’honneur de la famille, la préservation de la virginité avant le mariage, l’éviction de grossesses extraconjugales.
Un père de famille, désirant préserver l’anonymat, explique ce qui l’a poussé à donner en mariage sa fille, précocement : « Ma fille était très agitée, elle ne restait pas tranquille. Afin de préserver mon honneur tout en assurant sa sécurité, j’ai préféré la donner en mariage à l’âge de 16 ans », confie-t-il.
Partageant la même idée, Mahamadou, un autre parent résidant à Niamey, considère que le mariage précoce des enfants ne comporte aucun risque, se basant sur l’exemple de ses propres parents qui se sont mariés tôt. « Personnellement, j’ai trois filles que j’ai mariées à 16 ans et 17 ans, et elles mènent une vie très épanouie dans leur foyer. De plus, je suis serein et à l’abri des fréquentations indésirables auxquelles elles pourraient s’adonner », explique-t-il.
Un ancrage social profond
M. Alou Ayé Issa, sociologue-communautaire, constate avec regret la persistance du phénomène du mariage précoce en dépit des efforts de l’Etat et l’accompagnement de ses partenaires dans l’amélioration du taux de scolarisation surtout des filles, le maintien de celles-ci à l’école jusqu’à l’âge de 18 ans. « Cette persistance vient du fait que cette pratique est profondément ancrée dans nos valeurs culturelles et sociales. Dans la perception populaire, la femme n’a de devenir que dans le foyer, son point de chute n’est pas forcement l’emploi ou le poste qu’elle aura occupé. Socialement et culturellement parlant, c’est d’être au foyer », ajoute-t-il.

Selon cet expert, dès son jeune âge, on apprend à la fille comment gérer le foyer à travers les tâches ménagères. Il ajoute aussi que l’école donne des opportunités, des ouvertures, des orientations pour offrir un emploi décent ou retarder l’âge du mariage. « Permettre à la fille de poursuivre ses études jusqu’à un certain âge, l’expose à certaines difficultés de trouver un mari. La communauté portera un jugement négatif sur les parents qui permettent à leurs filles de poursuivre des études, les tenant responsables des conséquences potentielles de cette décision. C’est la raison pour laquelle les parents hésitants, voire méfiants, à l’idée de laisser leurs filles de continuer leur scolarité. Par conséquent, dès le collège, ils donnent les filles en mariage »,, explique M. Alou Ayé Issa.
La deuxième raison, ajoute le sociologue, c’est également la crainte de la perte de la virginité, un élément sacré pour la société auquel elle accorde beaucoup d’importance. « C’est un élément qui prouve de la bonne éducation reçue. Or, plus la fille restera dans le système éducatif, plus le risque de perdre cette valeur est élevé. Imaginez une femme qui se marie à 30 ans dont la famille essaie de vérifier cet aspect. Ainsi, pour une question d’honneur et de dignité de la famille, les parents sont plus astreints à faire marier les enfants en dépit des conséquences liées comme le divorce ou les fistules. La forme physique n’est pas le seul critère pour juger de la maturité d’une femme, l’aptitude est d’abord mentale et psychologique »,relève-t-il.
En termes de proposition, M. Alou Ayé Issa préconise d’intensifier la sensibilisation de la communauté pour qu’elle sache que la gestion du foyer a besoin d’un minimum d’instruction. « Une femme instruite participe mieux à l’évolution de la société. Par exemple, en Inde, les femmes s’investissent dans des études supérieures sans viser un poste, car elles ont saisi l’importance de l’éducation pour réussir la vie conjugale. Il est important de faire l’équation entre l’école et le mariage à travers l’enseignement technique et professionnel. Cela donnera aux femmes l’opportunité d’exercer un métier qui les aidera à devenir autonomes », déclare-t-il.
Par ailleurs, le sociologue-communautaire Alou Ayé Issa a fait remarquer que cette question de mariage précoce se pose avec plus d’acuité en milieu rural qu’en milieu urbain du fait de l’éloignement ou la distance de l’école. « L’enfant quitte ses parents du village pour aller continuer son cycle dans une commune ou un département avec tous les risques que cela comporte. Les parents n’hésitent pas à donner leur fille en mariage pour non seulement lui éviter ce calvaire, mais aussi pour protéger la dignité de la lignée », conclut-il.
Une interprétation subjective de la religion
Selon Oustaz Moustapha Ahoumadou, la religion islamique spécifie que le mariage n’est pas prévu pour les enfants. Bien qu’il soit possible de célébrer un mariage à un jeune âge, l’islam ne prescrit pas d’âge spécifique pour le mariage. Il accorde cependant des droits aux enfants, qu’ils soient des filles ou des garçons, envers leurs parents. « Parmi ces droits figurent la protection et l’éducation jusqu’à un certain âge. Donc, il est essentiel de permettre à l’enfant de mûrir pleinement, car en le forçant, les conséquences incombent à ceux qui agissent ainsi, comme mentionné dans un verset du Saint Coran où Allah (SWT) ordonne de restituer la «Amana» aux ayants droit. Par conséquent, il est primordial de protéger, d’éduquer et de préparer adéquatement les enfants à affronter la vie conjugale », a-t-il affirmé.

Le prédicateur a également ajouté que le mariage des enfants n’est pas une pratique courante en islam. « Lorsque cela se produit, des mesures sont prises pour s’assurer que la fille a atteint la maturité nécessaire pour assumer les responsabilités du foyer », a-t-il expliqué.
Selon Oustaz Moustapha Ahoumadou, certains font souvent référence au mariage d’Aicha (RA) avec le Prophète (PSL) pour illustrer le mariage précoce en islam. Or, cet événement était une exception faite par Allah au Prophète (PSL) et non une norme à suivre. « Quiconque compromet l’honneur et la vie de sa fille devra en répondre devant Allah. Il sera jugé pour sa manière d’assumer la responsabilité de ses enfants », a-t-il ajouté.
Selon les explications du leader religieux, il est donc impératif de protéger les enfants jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge où ils peuvent envisager le mariage.
Pas sans risques…
Malgré l’avis partagé par certains parents selon lequel le mariage précoce est un moyen de préserver leur honneur et d’assurer la sécurité de la jeune fille, il n’en demeure pas moins que, dans certains cas, son avenir se trouve hypothéqué. En effet, les jeunes filles mariées sont souvent confrontées à des complications de santé lors de la grossesse. Cela vient du fait que l’organisme n’est pas encore totalement développé. Pour se rendre compte de cette réalité, il suffit de faire un tour au centre DIMOL ou les centres de santé où des femmes souffrantes de fistules, dont certaines après une grossesse précoce complexe, sont prises en charge. Elles viennent des différentes régions du Niger. Certaines ont bien voulu partager leurs expériences.
Hadjara Yacouba fait partie de ces femmes victimes de mariage précoce. Elle a souffert de la maladie de la fistule. Âgée de 35 ans et originaire du département de Ouallam, cette dame a été donnée en mariage à l’âge de 14 ans. « C’est lors de mon premier accouchement, à l’âge de 15 ans, que j’ai contracté la maladie de la fistule. J’ai été rejetée et méprisée par les habitants de mon village », se souvient-elle. Après une longue année de souffrance, elle a recouvré sa santé grâce au centre Dimol d’où elle assure depuis lors un rôle de relais communautaire pour la sensibilisation sur les causes et conséquences des fistules, après l’apprentissage dans divers domaines comme la couture, la fabrication de savon liquide, la confection de perles, d’encens et de draps. « Cette formation me permettra de me lancer dans l’entrepreneuriat une fois de retour chez moi », dit-elle avec fierté.
De son côté, Fati a confié qu’elle a également contracté la maladie de la fistule, à l’âge à 16 ans, suite à un accouchement. « Pendant deux mois, j’ai souffert de cette maladie, tout comme ma sœur jumelle qui a malheureusement perdu la vie lors de l’accouchement », dit-t-elle, avec regret.

Selon Mme Traoré Salamatou, la présidente de l’ONG nigérienne Dimol, la principale cause de la fistule, c’est l’inaccessibilité aux services de santé primaire. « Beaucoup des femmes n’ont pas accès à l’information, et elles ne savent pas que le fait de ne pas se présenter très tôt à un service pour des consultations prénatales les expose à des risques pourtant évitables. Certaines d’entre elles négligent les consultations. Elles le font juste pour avoir le carnet. Or une ou deux consultations ne donnent pas les éléments nécessaires d’appréciation pour évaluer s’il y a risque ou pas », a-t-elle précisé.
« Un autre aspect non moins important, que nous avons constaté, c’est le mariage de enfants. Les filles n’ont pas atteint la maturité, le bassin n’est pas assez développé, puis elles contractent une grossesse. Un autre aspect encore, c’est la maturité physique, les grossesses multiples et rapprochées. Il y a des femmes qui, à 35 ans, ont déjà eu jusqu’à 10 accouchements. Cela fragilise l’organe et complique l’accouchement », précise-t-elle.
Yacine Hassane et Abdoulaye Mamane (ONEP)
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« C’est paradoxal de demander à un mineur de s’occuper d’un foyer », selon Mme Gogé Maimouna Gazibo
Mme Gogé Maimouna Gazibo est magistrate de formation, coordonnatrice de la plateforme Chroniques Juridiques, une défenseure des droits des personnes vulnérables (à 90% des femmes). Elle diffuse, sous l’anonymat, régulièrement, dans sa chronique sur les réseaux sociaux, des histoires, parmi tant d’autres, tirées de son registre, des récits tristement touchants qui font redécouvrir des pratiques d’un autre âge, comme le phénomène du mariage précoce, encore et toujours d’actualité, jusque dans les grandes villes telles que Niamey.

Il y a quelques jours, Mme Gogé Maimouna Gazibo a partagé l’histoire d’une orpheline de père, n’ayant aucun contact avec sa mère, une malade mentale perdue de vue depuis longtemps. Non contente d’avoir réduit sa propre nièce en esclave domestique, furieuse qu’elle ait trouvé l’astuce de vendre des galettes pour subvenir à ses petits besoins, la tante qui assure la tutelle de l’orpheline âgée de 13 ans, a pris la lourde décision de la donner en mariage, alors que la fille s’y était opposée de toute son énergie. « Mais que pouvait-elle, face à une tante impitoyable et cupide, uniquement intéressée par la dot et l’opportunité de se débarrasser d’une nièce qu’elle jugeait encombrante et ambitieuse nonobstant son jeune âge ? », charge la juriste dans sa narration.
Après le mariage, la fille subit des violences conjugales et découvre que son mari n’était point un simple et ordinaire revendeur de cola et cigarettes, mais plutôt un dealer et consommateur de drogues et de toutes sortes de stupéfiants. Futée, elle a fini par chercher refuge auprès de l’Association Islamique du Niger dont le président a saisi Mme Gogé Maimouna Gazibo pour une assistance juridique.
Dans ce genre de situation, conseille la juriste, les services spécialisés de la gendarmerie et de la police, les juges des mineurs, les procureurs, doivent être avisés. « Une tante, malgré les liens de famille, n’a pas le droit de maltraiter une mineure en la privant d’aliments, de son droit à l’éducation, pour ensuite la donner en mariage à un drogué. Ces faits, cumulés, sont constitutifs d’infraction pénale susceptible de poursuites », assure Mme Gogé Maimouna Gazibo.
Chroniques Juridiques, reçoit, dans ses locaux sis au quartier Sonuci de Niamey, au quotidien, des personnes en difficulté, en lien avec les pesanteurs socioculturelles et le droit. La coordinatrice et ses collaborateurs expliquent, même aux moins instruits, les dispositions de la loi, les procédures et mènent souvent des médiations pour résoudre certains problèmes. Ils assistent au besoin dans les procédures judiciaires, d’autant que, à lui seul, « le défaut de consentement » est un élément déterminant constitutif d’abus dans les principes fondamentaux de mariage. Et les oulémas, que consulte régulièrement Mme Gazibo, ne diront pas le contraire.
« Une fille de 15ans ou 16 ans qui dit qu’elle veut étudier, qu’elle veut entreprendre, qu’elle n’est pas prête à se marier, on ne doit pas la contraindre. Par contre, une fille de 15 ans qui le souhaite, elle peut se marier, c’est son choix, on ne peut pas le lui refuser. Le droit le lui permet. Mais lorsqu’elle a moins de 13ans, elle n’a aucune responsabilité à l’égard de la loi, même si elle commet de crime. Jusqu’avant ses 18 ans, la fille n’a pas pleinement la responsabilité pénale. C’est donc paradoxal de demander à un mineur de s’occuper d’un foyer », explique la chroniqueuse judiciaire. Elle souligne avoir, tout récemment, porté assistance à une autre fillette de 13 ans qui dormait au bord du fleuve, à Niamey, après avoir fui un mariage.
« Juridiquement, selon le Code Pénal du Niger, lorsqu’une fille de moins de 13 ans porte atteinte à la vie de quelqu’un, incendie la maison de quelqu’un, peu importe la gravité de l’acte qu’elle pose, elle a une immunité, elle est trop petite pour que la justice la sanctionne. Ensuite, de 13 ans à 18ans, quel qu’en soit ce qu’une fille commet comme bêtise, elle est sanctionnée à la moitié de la peine d’un adulte », rappelle la dame de droits.
Pour Mme Gazibo, la débauche que craignent certains parents n’est que leur fuite de responsabilité. « Une fille bien éduquée, qui trouve suffisamment à manger chez ses parents, qui part à l’école, qui ne manque de rien pour ses petits soins, vous n’allez pas la voir dans la rue. Elles sont très rares, celles qui le font par plaisir. Ces phénomènes, mariage précoce d’une part, la prostitution juvénile de l’autre, sont tous deux résultants de la non scolarisation et de la pauvreté », estime la juriste.
« Parmi les cas qui nous parviennent, nous arrivons souvent à convaincre les parents à renoncer. Mais je vous assure, pour la plupart, ce sont des familles qui n’ont pas assez de moyens et pensent qu’en donnant leurs filles à des hommes riches qu’elles peuvent se décharger un peu, voire en profiter. Il est des parents francs et sincères qui nous ont avoué, après nos médiations, que leur problème, c’est le remboursement de la dot. En réalité, elles ne sécurisent pas leurs filles en les donnant en mariage, certaines familles se sécurisent plutôt », a fait remarquer Mme Gogé Maimouna Gazibo.
Ismaël Chékaré (ONEP)
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Une fuite de responsabilité parentale dans l’éducation de la jeune fille
M. Sidikou Moussa, coordinateur national de l’Ecole Parrainage Action pour le Développement EPAD, estime que la jeune fille doit être maintenue à l’école. « Quand elle est éduquée, la femme s’occupe mieux de la famille », dit-il. « Dans les écoles primaires, au collège et même à l’université, elles occupent les premiers rangs. Les jeunes filles sont généralement les mieux concentrées, assidues, studieuses, et disciplinées, l’essentiel c’est de leur créer le bon cadre, les protéger », a soutenu le coordinateur de l’ONG EPAD.

M. Sidikou Moussa soutient que les parents qui donnent leurs filles tôt en mariage, pensant les préserver de la dépravation, fuient leurs responsabilités. « Nous sommes dans un monde globalisé. Il y a les réseaux sociaux, il y a les mauvaises compagnies, les familles ont la lourde responsabilité d’éduquer leurs enfants, sur les bonnes valeurs, les bons principes, la crainte d’Allah, en majorité, nous sommes des musulmans. L’école n’est qu’un ascenseur social, mais les vraies valeurs qui font l’éducation d’une personne viennent de ses parents », a-t-il dit. Selon M. Sidikou Moussa, l’insécurité, le changement climatique, la croissance démographique, accentuent la vulnérabilité des ménages au point où certaines familles n’arrivent pas à se prendre en charge pleinement.
Pour rappel, en 2019, l’Etat nigérien a pris un décret portant création du comité de protection de l’enfant sur toute l’étendue du territoire National. Ainsi, dans beaucoup de régions, il y a eu des comités, réunissant des acteurs clés comme les décideurs, les chefs coutumiers, les acteurs de la chaîne pénale, les acteurs de la société civile, les femmes leaders; etc., pour protéger davantage la jeune fille. « Grâce aux efforts de l’ensemble de ces acteurs, le taux du mariage des enfants a chuté. Il y a quelques années, le pourcentage était autour de 76,3% avec les disparités dans les régions, par exemple Maradi 99%. Zinder, Diffa, Tahoua, et Niamey étaient les régions les moins touchées suivies d’Agadez, dont les statistiques tournaient autour de 60% », a-t-il conclu.
Halimatou M. Harouna (Stagiaire)