
Dr. HASSANE SALEY Abdel Kader
Introduction
La ville de Niamey, capitale de la République du Niger, est confrontée ces dernières années à une prolifération sans précèdent des forages sauvages à cause de la demande croissante en eau potable pour les différents usages de la population (consommation en eau potable, construction de bâtiment, station de lavage auto, arrosage de gazon et fleur, etc.). Ceci, est surtout lié à la croissance exponentielle de la population de la ville de Niamey qui est passée de 1 026 848 en 2012 à 1 324 670 en 2020 (Niger en Chiffre, 2022). Cette forte demande en eau potable, pousse certains habitants de la ville de Niamey, même parmi les plus instruits, et entreprises à recourir à des forages moins profonds, captant ainsi les différents aquifères existants dans la ville de Niamey (aquifères alluviaux, aquifères du continental terminal 3 et aquifères de socle) sans aucune autorisation préalable du Ministère en charge de l’hydraulique et de l’assainissement, encore moins de celui de la santé publique, de la population et des affaires sociales. Cette pratique illégale et préoccupante menace non seulement la quantité, mais aussi et surtout la qualité des ressources en eau de ces nappes phréatiques (nappes moins profondes).
Prolifération des forages sauvages
La croissance rapide de la population de Niamey et l’urbanisation galopante de la ville de Niamey, exercent avec acuité une pression considérable sur les infrastructures existantes, en matière d’approvisionnement en eau potable et de l’assainissement. Depuis quelques années, la ville de Niamey est confrontée aux lotissements privés, irréguliers et anarchiques, avec la naissance de plusieurs nouveaux quartiers, sans que des infrastructures publiques adéquates en matière d’approvisionnement en eau potable et de l’assainissement suivent. Ceci a créé dès lors un déséquilibre dans la fourniture en eau potable des populations de Niamey. Ainsi, face à cette couverture en eau potable non effective de la ville par le service public chargé de la distribution de l’eau potable d’une part, mais aussi et surtout pour des raisons économiques d’autres part, de nombreux habitants et entreprises choisissent de creuser des forages, malheureusement non conformes aux réglementations en vigueur. Qui stipulent que :
(i) les ouvrages de captage d’eau souterraine ne doivent pas permettre l’infiltration d’eaux de surface vers la nappe souterraine ;
(ii) les ouvrages de captage d’eau souterraine ne doivent pas capter 2 nappes différentes sur le plan hydraulique ou qualité de l’eau ;
(iii) les ouvrages de captage d’eau souterraine ne doivent pas surexploiter la nappe souterraine.
Ceci, conformément au Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) appuyé par l’article 6 de l’Ordonnance n° 2010-09 du 1er avril 2010 portant Code de l’Eau au Niger, qui dit que l’eau est un bien écologique, social et économique dont la préservation est d’intérêt général et dont l’utilisation sous quelque forme que ce soit, exige de chacun qu’il contribue à l’effort de la collectivité et/ou de l’Etat, pour en assurer la conservation et la protection.
Ces forages dits sauvages, réalisés sans autorisation, encore moins un suivi technique adéquat avant et après leur réalisation, se multiplient considérablement dans la ville de Niamey, rendant ainsi difficile leur contrôle par les autorités compétentes (ministère de l’hydraulique et l’assainissement ; ministère de la santé publique, de la population et des affaires sociales ; municipalités locales ; etc.). Alors bien que, conformément à l’article 45 de l’Ordonnance n° 2010-09 du 1er avril 2010 portant Code de l’Eau au Niger, sont soumis à autorisation ou à déclaration, les aménagements, les installations, les ouvrages, les travaux et les activités susceptibles de présenter des danger pour la santé et la sécurité publique, de réduire la ressource en eau, de modifier substantiellement le niveau, le mode d’écoulement ou le régime des eaux, de porter atteinte à la qualité ou à la diversité des écosystèmes aquatiques. Cette situation déplorable doit nous interpeller tous, afin que nous puissions léguer un environnement sain aux générations futures.
Impacts des forages sauvages sur les ressources en eau souterraine
Au plan quantitatif, sans contrôles techniques et un suivi adéquat, les forages sauvages, captant généralement les nappes phréatiques, présentent de nombreux risques pour les ressources en eau souterraine. Ces forages pénètrent généralement des réservoirs vulnérables, engendrant ainsi un surpompage de l’ouvrage voire une surexploitation de la nappe, car aucune opération de pompage d’essai censée renseigner sur les caractéristiques de l’ouvrage et/ou de la nappe n’est jamais réalisée. À long terme, cela couplée aux phénomènes du changement climatique pourraient engendrer une salinisation des aquifères, un abaissement des niveaux des eaux souterraines, des inversions de sens d’écoulement des eaux souterraines, voire le tarissement de la nappe phréatique si aucune mesure n’est prise pour cadrer ce fléau.
Au plan qualitatif, outre leur impact sur la quantité des ressources en eau, les forages sauvages jouent également un rôle significatif dans la pollution des eaux souterraines. Ils sont dans la plupart des cas réalisés sans aucune précaution, avec l’utilisation des produits chimiques (bentonite, GS 550, barytine, etc.) comme additif dans la préparation des boues de forage, entraînant ainsi les polluants vers les nappes phréatiques. De plus, ces forages non encadrés peuvent créer des couloirs préférentiels pour la propagation de toutes sortes de polluants issus des puisards et d’anciens puits d’eau transformés en latrines, vers les nappes profondes, car généralement aucune disposition pour atténuer ou empêcher cette propagation n’est prise par les foreurs au moment de la réalisation de l’ouvrage. Pire, il faut noter que dans la plupart des cas, les eaux de ces forages sauvages sont consommées par la population sans aucune analyse chimique et bactériologique, encore moins un quelconque traitement préalable. Ceci, pourrait avoir des conséquences drastiques sur la santé des consommateurs à long terme. C’est pourquoi une prise des mesures idoines semble sine qua non.
Solutions envisageables
Face à cette situation alarmante, plusieurs mesures doivent être envisagées pour atténuer la prolifération des forages sauvages et limiter leur impact environnemental dans la ville de Niamey. Il s’agit entre autres de :
– sensibiliser et éduquer la population sur les risques environnementaux et sanitaires liés aux forages sauvages. Il s’agit là, de porter à la connaissance des populations les différents aquifères qu’on peut capter à Niamey et leurs caractéristiques hydrodynamiques (porosité, perméabilité, transmissivité, coefficient d’emmagasinement, etc.) ; l’état de la qualité physico-chimiques et bactériologiques des différentes nappes ; ainsi que les zones vulnérables à la pollution chimique et à la surexploitation des nappes. Outre de former les populations sur la gestion intégrée des ressources en eau ;
– vulgariser les lois et règlement régissant l’accès et l’utilisation des ressources en eau souterraine au Niger. Il s’agit entre autres :
• de l’Ordonnance n° 2010-09 du 1er avril 2010 portant Code de l’Eau au Niger ;
• de l’Ordonnance N°93-13 du 2 mars 1993 portant Code d’Hygiène Publique (aspect hygiène et assainissement) ;
• du Décret n° 2011-404/PRN/MH/E du 31 Août 2011, déterminant la nomenclature des aménagements, installations, ouvrages, travaux et activités soumis à déclaration, autorisation et concession d’utilisation de l’eau ;
• du Décret n° 2011-405/PRN/MH/E du 31 Août 2011, fixant les modalités et les procédures de déclaration, d’autorisation et de concession d’utilisation d’eau ;
• du Décret n° 2014-507/PRN/MH/A du 31 juillet 2014, portant adoption du document de Stratégie Opérationnelle de Promotion de l’Hygiène et de l’Assainissement de Base (SOPHAB) 2014-2018.
– renforcer et d’améliorer les infrastructures de distribution publique de l’eau potable. A l’endroit de la Nigérienne des eaux (NDE), de créer les conditions nécessaires pour rattraper et fonctionner au rythme de l’urbanisation galopante en matière de desserte en eau potable de la ville de Niamey ;
– mettre en place un mécanisme de surveillance et de contrôle de la quantité et de la qualité des eaux souterraines au niveau de ces forages sauvages par l’Etat;
– recadrer les forages existants et d’appliquer des sanctions sévères aux contrevenant en matière de réalisation de nouveaux forages illégaux, conformément à la reglémentation.
Conclusion
La prolifération des forages sauvages à Niamey est une problématique complexe qui nécessite une approche holistique, associant usagers, autorités coutumières, décideurs, techniciens et chercheurs, pour être résolue. Ceci, en couplant une sensibilisation permanente du public, une application sévère de la législation, une amélioration considérable des infrastructures et une surveillance accrue de la qualité et de la quantité des ressources en eau souterraine. Ainsi, il est possible de diminuer considérablement l’impact environnemental de ces pratiques et donc de préserver les ressources en eau pour les générations futures.
Dr. HASSANE SALEY Abdel Kader,
Hydrogéologue & Hydrogéochimiste,
Enseignant Chercheur au Département de Géologie/FAST/Université Abdou Moumouni