Aussitôt la nuit tombée à Niamey, certains coins de la ville sont pris d’assaut par des femmes, de tout à âge. Elles s’alignent le long des murs. habillées de tenues de toute sorte y compris en hidjab, elles sont de toutes tailles et de tout teint. A chacun son goût. Elles préfèrent des endroits moins éclairés pour la plupart. Elles s’exposent aux passants. A chaque passage d’une moto ou d’un véhicule les regards suivent dans l’espoir d’attirer le client. Certaines femmes ne bougent pas. C’est aux intéressés de s’approcher pour démarcher.
Au niveau de trois maisons de passe visitées 140 entrées ont été enregistrées du 23 au 27 décembre 2022. Et dans les trois secteurs évoqués ci-dessus, 200 femmes étaient présentes. Dans chacune des maisons de passe, on retrouve une dizaine des jeunes qui y travaillent pour le ménage et autres services.
Nous sommes dans le secteur de la maison économique de Niamey, sur le goudron menant au rond-point église. « Bonsoir ! 5 000 FCFA ! Moi 10 000 FCFA, c’est à négocier », dit une jeune dame à un monsieur à moto. Ce langage est familier à ces femmes. « L’hôtel est à côté, il y’a un parking et un gardien pour votre moto. Le gardien c’est à votre prix », a-t-elle ajouté. Parlant doucement le monsieur a réussi à conclure le marché. Elles sont 5 alignées sur la même position. Moins d’une heure après leur arrivée elles sont toutes prises pour un hôtel situé à environ 500 ou 800 m.
Le tarif pour les auberges est le même, 5000 FCFA. Pour les filles, le tarif varie et tout dépend du temps ou du nombre des « coups » voulu par le client. C’est 5000 FCFA, pour une heure et 7000 FCFA pour deux « coups ».
Le parking est plein. Les automobilistes ont du mal à trouver où parquer. Mais il y’a au niveau de chaque auberge des jeunes, volontaires et des vigiles qui assurent la surveillance et la sécurité des automobiles. Ils reçoivent à la sortie de chaque propriétaire, une rémunération de 200 à 500 FCFA. À la question de savoir s’il est agent de l’auberge et ce qu’il gagne dans ce service, le jeune Moussa répond : « Je ne suis pas engagé pour ce travail. Il faut savoir gagner son pain. J’ai constaté à chaque fois il y’a des gens qui hésitent à laisser leur voiture ou moto dehors. Donc avec l’habitude j’ai fini par devenir gardien. C’est dans ça que je gagne ma part. C’est florissant, je m’en réjouis. Par nuit, je peux rentrer à la maison avec 5 000 FCFA ».
La plupart des femmes qui sont dans cette activité, sortent correctement habillées de la maison. Mais en-dessous il y’a une seconde tenue, celle de nuit. Sur les lieux de stationnement il y a un endroit où elles changent de tenues.
Mlle N, 21 ans dit être très touchée. « Je suis une victime de la polygamie. Ma mère n’est pas dans la maison. J’ai un petit frère. La femme de notre père nous maltraite. Elle ne veut pas que notre père (toujours en mission), sache ce qui se passe. Personne ne nous aide. On souffre, mon frère et moi. Donc c’est la raison pour laquelle je me retrouve dans cette situation », explique-t-elle. Par nuit, Melle N peut rentrer à la maison avec 15 000 ou 20 000 FCFA, après avoir eu 2 à 3 clients dont elle ne se soucie pas de l’âge. « Tout ce qui compte c’est ce que je vais avoir avec le mec. Moi c’est 5000 FCFA, mais quand la personne vient, je dis que c’est 10000 FCFA. C’est toujours à l’hôtel (auberge) », précise-t-elle. Elle soutient que c’est avec ce qu’elle gagne qu’elle se prend en charge, paie ses frais de formation dans un foyer de couture et de tresse, mais aussi les frais de recréation pour son frère qui est élève. « Si je finis ma formation, mon ambition, c’est d’ouvrir mon propre atelier. Je sais que c’est difficile de quitter la prostitution, mais si je travaille peut-être un jour j’aurai un preneur comme époux. Mais mon but c’est mon petit frère », insiste-t-elle, avec des regrets. Melle N quitte tous les soirs son quartier pour la rue longeant la Cité EAMAC. Elle trouve souvent des clients gentils qui la déposent non loin de son quartier. Nous avons tout essayé pour connaitre chez elle, mais elle a refusé. « On ne se connait pas. On n’a aucun lien. Tu n’as aucun droit de connaitre chez moi. J’ai ton contact, si je veux je t’appelle», a-t-elle dit.
Melle HZ, une autre jeune fille de 26 ans indique qu’elle sort très rarement. « Chaque fois que je sors, c’est qu’il y’a un besoin précis. Aujourd’hui, c’est pour avoir de quoi achéter l’uniforme du mariage d’une amie. Je ne peux pas ne pas avoir cet uniforme. Il me faut deux pièces (bazin et pagne). Au total, c’est 50 000 FCFA que je cherche. Tu es mon premier client. Donc si je trouve deux autres, je rentre pour me reposer et revenir demain. Le service c’est 5 000 FCFA. Mais certains hommes préfèrent plus de temps, avec d’autres services et pour ceux-là, l’argent n’est pas une préoccupation. Si par chance, tu tombes dans les mains de ces genres d’hommes tu peux t’en sortir avec 50 000 à 100 000 FCFA », témoigne -t-elle. Cette jeune fille habite dans un quartier de Niamey avec sa grand-mère. Elle a souligné que ses parents sont vivants et que chez elle, personne ne sait qu’elle se prostitue. « Des fois ma mère me demande où je trouve de l’argent pour m’offrir certains habits. Vous savez, même si elle comprend que je lui cache des choses, on a toujours un échappatoire. Mon frère si je trouve un autre travail je suis prête à me rattraper. La prostitution n’est pas une vie. J’ai pitié de moi-même », ajoute-t-elle.
Les autres témoignages sont tout aussi émouvants. Comme celui de cette jeune femme de 29 ans qui disait avoir fini sa formation en couture avec son diplôme mais ne sait pas quoi faire. « Tout ce dont j’ai besoin, c’est un soutien matériel, une à deux machines pour retourner chez moi, dans une localité de l’intérieur du pays, pour ouvrir un atelier. Ça me fait exactement un an dans cette activité. L’argent que je gagne c’est pour mon habillement, mais aussi j’économise pour acquérir ces machines et rentrer chez moi. Je connais beaucoup de filles qui sont dans la même situation que moi. Cette activité est pour moi le salut », a-t-elle affirmé. Elles sont nombreuses ces femmes, demoiselles, veuves, divorcées, qui sont dans cette situation. Mais certaines ne le font pas par contraintes économiques. C’est le cas de Melle AMN qui dit haut et fort qu’elle pratique cette activité par plaisir. « Si tu n’es pas là pour ça, ne me perd pas du temps. Tu me vois ce n’est pas question d’argent aujourd’hui », me dit-elle avant de claquer la porte et me dire au-revoir.
Très prudentes, ces professionnelles du sexe ne donnent jamais leurs bonnes adresses : leurs vrais noms, leurs contacts et leur quartier de résidence.
La prostitution est définie comme une activité sexuelle rémunérée en espèce, en nature ou pour obtenir un avantage ou une faveur dans les services. Elle est longtemps, considérée comme un acte et une pratique bannie dans la société. Elle est bannie par la société, les religions, parce que non conforme aux coutumes et aux mœurs. De nos jours, malgré tout, la prostitution est une activité qui fait vivre des jeunes filles et garçons et même des familles entières qui en tirent un dividende. En effet, au-delà des femmes qui vivent de cette activité, plusieurs autres jeunes filles et garçons en profitent, notamment dans les auberges. Il y’a des femmes qui fréquentent les hôtels de grand standing; il y’a celles qui laissent leurs numéros de téléphone afin d’être contactées au besoin et celles qui font ce qui est considéré comme prostitution de la rue.
Par Ali Maman(onep)