Depuis plus de 6 mois, le Niger vit sous embargo suite aux sanctions infligées par la CEDEAO et l’UEMOA à la suite des événements du 26 juillet 2023. Ces sanctions, allant de la fermeture des frontières à la suspension de l’aide humanitaire de certains pays, ont considérablement affecté les secteurs les plus rentables du pays dont celui de l’artisanat. Exercé par environ 1,2 millions de personnes, cette activité réalise un chiffre d’affaires global annuel estimé à plus de 100 milliards FCFA. Mais, depuis plus de quatre (4) mois, le constat dans les centres de productions artisanales, auprès des vendeurs ambulants et des coopératives d’artisans est inquiétant, rendant la vie difficile aux artisans et affectant l’économie du pays.
Représentant un quart (¼) des richesses nationales et contribuant à près de 25 % au Produit Intérieur Brut (PIB), le secteur de l’artisanat est le deuxième pourvoyeur d’emplois après l’agriculture. Principale activité génératrice de revenus contribuant à la réduction du chômage, cette activité est confrontée à des difficultés notoires depuis les évènements du 26 juillet 2023 du fait des sanctions imposées à notre pays pour son choix délibéré de reconquérir sa souveraineté. Le secteur regroupe des artisans talentueux et créatifs, confectionnant divers articles dont ceux de la maroquinerie et de la bijouterie. Les produits issus de l’artisanat nigérien sont divers et variés. Chaussures, sacs en cuir, ceintures, boîtes à bijoux, tableaux, portefeuilles, cartables, porte-clés, tabourets, les bijoux faits de divers métaux et pierres précieux comme l’argent. Le quotidien de ces artisans est, depuis l’institution de ces sanctions, marqué par une mévente des produits. Exposés aux aléas climatiques, poussiéreux et stockés depuis plusieurs mois, tel est le sort réservé aux produits artisanaux.
À la Coopérative du Centre des Métiers d’Arts du Niger créée en 1980, les artisans sont regroupés dans différentes spécialités. Cette structure regroupe des artisans permanents, saisonniers et ambulants. Selon le président du centre, M. Yahaya Hamid, le centre est composé de 365 artisans dont 150 artisans permanents, répartis dans 16 ateliers. Ces artisans sont dépendants de cette activité car, elle constitue leur première et seule source de revenus. Plusieurs artisans présents sur les lieux ont qualifié cette dernière comme ‘’notre source de survie et celle de nos familles’’. Mais depuis plusieurs mois, le sort de ces artisans est difficile. En effet, le président explique que les principaux consommateurs des produits artisanaux nigériens sont les touristes. « Tous nos produits confectionnés à la main pendant plusieurs semaines ne sont pas consommés par la population nigérienne », dit-il.
Confrontés à une insuffisance de consommation locale, les artisans ont vu leur situation compliquer par les sanctions infligées par la CEDEAO. Ces sanctions viennent se greffer au calvaire déjà existant concernant la mévente des produits locaux. « Avec les sanctions prises contre le Niger suite au coup d’état, les frontières sont fermées et plusieurs touristes ont quitté le Niger. Ces derniers constituaient nos plus grands consommateurs. Aujourd’hui, nous attendons juste un miracle, assis dans nos ateliers et c’est une situation difficile », confesse-t-il.
L’insuffisance de la consommation des produits locaux nigériens issus de l’artisanat n’est pas la seule difficulté rencontrée. Hormis cette situation, Mme Hadiza Amadou, gérante de la boutique du centre souligne que des problèmes internes constituent un frein au développement et à la consommation des produits locaux. Il s’agit des problèmes liés au design et à la créativité car, selon elle, chaque produit fini et chaque matériel utilisé doit répondre aux exigences et besoins des consommateurs. Elle met également l’accent sur le travail du cuir qui résulte de la tannerie du Niger. « Le travail du cuir doit être plus moderne, plus approprié et plus résistant », explique-t-elle. À cet effet, elle explique que le cuir utilisé par les artisans nigériens ne résiste pas aux conditions climatiques d’autres pays contrairement aux produits artisanaux extérieurs. « Nos modèles sont très appréciés mais le traitement du cuir effectué par la tannerie du Niger n’est pas suffisant car, les produits fait à base de cuir se retrouvent très rapidement moisis dans certains pays à cause du climat humide», a-t-elle souligné.
Au Musée National, ces artisans munis de savoir-faire confectionnent des articles à la main avec différentes matières et dans différentes spécialités. Certains sont spécialisés dans la teinture, le travail du cuir, la confection des bijoux et sacs, la sculpture, la fabrication des chaussures, tandis que d’autres sont des « professionnels à tout faire ». M. Ali Abdoulaye, spécialiste en confections de sacs en cuir et plusieurs produits à base de cuir explique que la rareté des clients depuis les évènements du 26 juillet dernier se fait de plus en plus ressentir. Les artisans déplorent également une insuffisance voire une absence de clients depuis presque cinq (5) mois au sein du Musée. « Il est pratiquement difficile de voir plus de 10 clients nigériens par jour ici. Nos principaux consommateurs sont les touristes ou le peu de Nigériens qui s’intéressent à nos activités », indique, non sans le déplorer M. Mounkaila Seyni, sculpteur au sein du Musée National.
Le constat est pareil au Village Artisanal de Wadata. Créée le 25 avril 1992, le Village Artisanal est le premier centre artisanal doté d’une boutique représentative de la diversité de l’artisanat nigérien. Le manque de clientèle, la mévente des produits, l’insuffisance de la consommation locale sont entre autres les difficultés rencontrées par les acteurs. M. Ali Kilili, président du centre explique également que depuis la fermeture des frontières, la mévente des produits est devenue monnaie courante. M. Bachir, un jeune vendeur d’articles fait à base de cuir soutient également que les produits artisanaux sont insuffisamment consommés par la population nigérienne. « La seule solution et l’aide que les populations nigériennes peuvent nous faire, c’est de valoriser notre travail en consommant nos produits et en visitant nos locaux », dit-il.
Malgré cette situation critique et déplorable, les artisans nigériens ne perdent pas espoir en une amélioration de la situation actuelle. Ils lancent un appel aux nouvelles autorités afin qu’un meilleur traitement du cuir soit fait, qu’une sensibilisation de la population soit envisagée pour encourager la consommation des produits locaux. Ils souhaitent également une meilleure prise en charge des problèmes liés à l’exportation des articles étant donné que certains produits ne quittent le sol nigérien qu’avec une multitude de formalités.
Très apprécié aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, l’art nigérien est un domaine prometteur. Samira, une jeune étudiante rencontrée sur les lieux confie qu’elle achète des articles depuis des années. « Ça fait plusieurs années que j’achète des produits artisanaux. J’ai pratiquement tout et je trouve que ça apporte une touche finale et originale à mes tenues ». Certains parents expliquent également que ces produits sont plus résistants et uniques tandis que d’autres déplorent les mauvaises odeurs liées au cuir sur une longue durée. « Les produits sont beaux et très originaux, mais parfois, les mauvaises odeurs découragent les clients », souligne une jeune maman.
Les produits locaux sont consommés par certains Nigériens qui apprécient et encouragent le savoir-faire nigérien. Les artisans appellent la population à cultiver l’amour pour le Niger, à une meilleure valorisation de nos richesses, à un changement de mentalité et à une consommation effective des produits faits par des Nigériens. M. Yahaya Hamid, président du centre des métiers d’arts lance par la même occasion un appel à la population pour consommer ne serait-ce qu’un produit chaque mois afin d’aider les artisans et leur permettre de changer leur quotidien déjà difficile. « Nos produits sont notre fierté, nous devons les valoriser », dit-il.
Massaouda Abdou Ibrahim (ONEP)