Monsieur le coordonnateur, du 1er au 3 septembre, des centaines des milliers de manifestants se sont rassemblés au Rond-Point Escadrille pour exiger le départ de l’armée Française du Niger à l’appel des OSC dont le M62. Selon vous, qu’est-ce qui explique un tel degré de mobilisation populaire et quelle appréciation faites-vous du comportement des manifestants ?
Un tel degré de mobilisation populaire s’explique tout d’abord par la légitimité de la lutte en ce sens que tous les Nigériens ont vécu dans leur âme les conséquences de la politique sécuritaire désastreuse consistant à affaiblir notre armée et à sous-traiter la sécurisation de notre Pays avec des forces étrangères dont la priorité est tout sauf notre sécurisation. Il n’y pas un seul citoyen nigérien surtout de Tillabéri et ou de Diffa qui n’a pas perdu un parent proche parce que nos forces de défenses et de sécurité étaient limitées dans leurs capacités d’intervention en cas d’attaque ou d’alerte car, dans cette partie du Pays. Les interventions aériennes étaient sous contrôle total des forces françaises alors même que ces forces françaises étaient déjà soupçonnées puis accusées par des Pays voisins comme le Mali d’avoir des complicités avec les groupes terroristes. Aujourd’hui c’est autour de notre armée de faire les mêmes accusations et les éléments de preuves à leur disposition impliquant les autorités déchues ont été le facteur déterminant de l’action patriotique du 26 Juillet. Ces manifestations sont aussi l’expression d’un ras-le-bol des citoyens contre l’injustice, l’impunité, la mauvaise gouvernance et la politique d’étouffement des libertés publiques par un régime souffrant déjà de légitimité au regard des conditions opaques et non démocratiques dans lesquelles les élections générales de 2016 et de 2021 ont été organisées. Cette forte mobilisation des populations est aussi le résultat de nos multiples actions de sensibilisations dans les quartiers. Nous avions pendant plus d’une semaine sillonné la ville et organisé des assemblées générales et des meetings populaires pour informer et sensibiliser les populations sur l’évènement ainsi que l’attitude à avoir sur le terrain, c’est-à-dire une attitude responsable et pacifique. C’est aussi grâce au concours des médias par leur travail d’information et d’éducation des citoyens à la cause de la défense de la patrie ainsi que l’appropriation de cette lutte par les citoyens et les organisations de la société civile. Il faut se féliciter du comportement exemplaire des manifestants qui ont respecté à la lettre toutes les consignes que nous leur avons données à savoir : ne pas répondre aux provocations, ne pas s’en prendre à quelqu’un et que chacun se donne la mission d’être lui-même un ambassadeur et un garant de la paix sur le terrain. Ce défi a été relevé malgré les tentatives d’infiltration constatées dans la matinée du samedi où quelques individus malintentionnés avaient voulu provoquer la confusion pour entrainer la masse à aller vers des barrières pour entrer dans la base aérienne afin de provoquer une réaction de l’ennemi. Mais grâce au professionnalisme de nos FDS et la vigilance des populations ce plan a échoué. Et dans l’après-midi, qui est en réalité le moment de rassemblement, vous avez vu le nombre de personnes qui se sont mobilisées et tout s’est passé dans la paix et la convivialité.
Depuis le 26 juillet, des manifestations populaires de soutien se déroulent à Niamey et à l’intérieur du pays en faveur des nouvelles autorités. Quelle signification donnez-vous à ces mouvements ?
Ces manifestations populaires de soutien qui se déroulent de manière spontanée et continue partout dans le pays depuis l’action patriotique de notre armée le 26 Juillet montrent à suffisance la légitimité des autorités du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), mais aussi le désir ardent de nos concitoyens de tourner la page de la gouvernance chaotique et dictatoriale dont ils ont été victimes pendant plus d’une décennie au cours du régime dit de la renaissance acte I, II et III. Ces manifestations sont également un signal fort du peuple nigérien à l’endroit de la France et de la CEDEAO quant à sa détermination à se défendre contre toute agression et à résister aux sanctions économiques inhumaines, ignobles et illégales prises contre notre Pays par la CEDEAO, l’UEMOA et l’Union Européenne qui aujourd’hui montrent qu’elles sont des institutions au service d’intérêts individuels et non du peuple.
Quelle stratégie avez-vous pour maintenir cette effervescence et la fibre patriotique jusqu’à l’aboutissement de vos revendications ?
En ce qui nous concerne, vous savez que notre mouvement n’a pas été créé à la faveur du Coup d’Etat, j’allais plutôt dire l’action patriotique de notre armée du 26 Juillet. Depuis sa création, le 03 Août 2022 à la date du 26 Juillet 2023, nous avions introduit vingt-sept (27) déclarations de manifestation dont seules deux ont été autorisées respectivement à Niamey et à Dosso le 18 Septembre 2022. Nous avions également avant cette date, réalisé plus de 70 déclarations de presse, une trentaine de conférences débats et des assemblées générales de mise en place de 6 coordinations régionales et une trentaine de coordinations communales et départementales ; des prières collectives et des jeûnes pour louer Allah et solliciter sa bénédiction pour protéger notre peuple de la gouvernance apatride de la 7e République. C’est tout ce travail qui a rendu possibles et efficaces les manifestations populaires organisées par le M62. Du 26 Juillet à aujourd’hui, notre mouvement, le M62 a organisé à lui seul plus de 75 manifestations sur l’ensemble du territoire national et une dizaine en synergie avec d’autres structures. C’est pour donc vous dire, que notre mouvement qui est une organisation légalement constituée avec des statuts et un règlement intérieur continuera à maintenir cette effervescence et maintenir la fibre patriotique jusqu’à l’aboutissement de la lutte et au-delà conformément à sa vision. Nous avions mis plus de 18 mois à réfléchir sur comment mettre en place une structure qui tire les leçons des échecs des luttes antérieures menées par la société civile. C’est pourquoi nous avions mis un certain nombre de principes de bases comme conditions d’adhésion au M62 et de fonctionnement de notre organisation. Ainsi pour assurer, le caractère apolitique de notre mouvement, nous avons exclu toute possibilité d’adhésion d’un parti politique à notre mouvement. Seules les organisations de la société civile ou syndicales légalement reconnues peuvent adhérer. S’il y a un acteur politique qui veut militer au sein de notre mouvement, ildoit le faire en sa simple qualité de citoyen. Le second principe, c’est d’inscrire toutes nos actions dans le respect strict de la légalité. Le troisième principe et le plus important à mon avis, c’est celui de financer nous-mêmes nos actions à travers les cotisations ordinaires et spéciales des membres ainsi que les frais d’adhésion. De notre création à aujourd’hui, nous n’avons jamais bénéficié du financement d’une tierce personne, d’une institution ou d’un pays quelconque. Tout ce que notre mouvement a réussi à faire est le fruit du sacrifice de ses membres et du soutien de la presse militante que nous saluons. Nous allons donc poursuivre la lutte et maintenir la fibre patriotique en continuant à être fidèles à nos principes et valeurs et à placer notre confiance à Allah quant à l’aboutissement final de notre combat, c’est-à-dire restaurer à notre Pays sa souveraineté, et à notre peuple sa dignité. D’où toute la signification du nom de notre mouvement à savoir : « Union Sacrée pour la Sauvegarde de la Souveraineté et la Dignité du Peuple ».
D’aucuns affirment que ces rassemblements sont juste l’œuvre de gens désœuvrés, fanatisés et achetés, qu’avez-vous à dire sur ces allégations ?
D’abord les désœuvrés sont aussi des Nigériens et si tous ces millions de personnes, hommes, femmes et jeunes qui sortent manifester sont des désœuvrés, cela traduit alors l’échec patent de leur gouvernance chaotique. Les manifestants sont des personnes responsables soucieuses de l’avenir de leur pays et qui disent non à la mauvaise gouvernance et à la mise sous-tutelle permanente de notre pays. Vous avez suivi le point de presse du Premier Ministre, notre pays est surendetté. Plus de 5200 milliards de FCFA de dettes (dont 3200 milliards pour la dette extérieure et 2000 milliards pour la dette intérieure) contre environ 300 milliards en 2010. C’est que le Niger s’est davantage appauvri malgré son pétrole dont l’exploitation en réalité ne profitait qu’aux dirigeants et à leurs familles. D’où leur refus d’accepter tout contrôle parlementaire de la gestion du pétrole. Ceci pour dire que si l’argent pouvait être le facteur de mobilisation des populations, les manifestations allaient se faire dans le sens inverse pour la réhabilitation de leur régime car, ils sont les seuls qui en possèdent des centaines de milliards volés et cachés, mais que le peuple va récupérer In-Chaa-Allah.
Pensez-vous qu’avec le départ de ces troupes françaises les choses vont changer ?
Nous sommes convaincus que les choses vont changer. Car, les forces françaises ne sont pas dans notre pays pour nous aider, mais pour nous contrôler, nous exploiter et s’assurer de la fidélité de nos dirigeants à leur pays. Rappelez-vous des propos de l’ex Président Bazoum Mohamed lors de la sa première visite à Paris. Il avait lui-même dit que le Sahel n’a pas besoin de présence militaire étrangère au sol pour combattre le terrorisme car, c’est à nos FDS d’être au premier plan de cette lutte. Il a également dit qu’avec cette présence militaire, eux les dirigeants du Sahel et de la France auront l’opinion publique sur leur dos. Malgré ces affirmations pourtant claires et bien appréciées par les populations nigériennes et africaines, Bazoum Mohamed n’a pas manqué de convoquer une conférence des cadres regroupant toutes les forces vives de la nation pour se dédire publiquement et soutenir l’idée contraire à savoir que sans la présence des forces étrangères et plus particulièrement françaises, nos Etats vont disparaitre. Pensez-vous que l’ex Président Bazoum a fait ce revirement de son bon vouloir ? Un pays souverain ne peut sous-traiter sa sécurité, surtout pas à des groupes hostiles à la paix au Sahel car, il évident que la présence de l’armée française aux frontières maliennes en territoire nigérien allait tôt au tard engendrer un conflit entre le Mali et le Niger et cela pouvait servir de prétexte à la France d’attaquer le Mali par l’intermédiaire du Niger comme elle tente de le faire actuellement contre le Niger par le truchement de certains pays membres de la CEDEAO ou de mouvements rebelles.
Quelles leçons doit-on tirer des coups d’état survenus dans les pays du Sahel ?
Tous les coups d’Etat survenus au Sahel sont la résultante de la mauvaise gouvernance, le déficit démocratique, le dévoiement de la souveraineté du peuple au profit de l’élite et des puissances étrangères ainsi que l’échec de la politique sécuritaire notamment celle de la lutte contre le terrorisme. Une politique sécuritaire pensée à l’Elysée et imposée à nos dirigeants qui ont essayé de l’appliquer sans consultation des acteurs nationaux et des populations locales, mais aussi sans tenir compte de nos valeurs culturelles et des liens de fraternité entre les populations de nos trois Etats, à savoir le Burkina Faso, le Mali et Niger.
Quelle approche et ou méthode préconisez-vous pour renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale dans un contexte marqué par des défis multiples ?
Nous avons fait quelques propositions dans ce sens au CNSP dans notre déclaration du mercredi 30 Août dernier. Nous avons également remis ces recommandations que nous avons appelées actions urgentes à mettre en œuvre au gouvernement à travers le Ministre Directeur de Cabinet du Président du CNSP. Il faut nécessairement une commission vérité, justice et réconciliation. C’est-à-dire que la transition doit permettre de faire la lumière sur beaucoup de faits politiques, judiciaires, et économiques de ces douze dernières années et même au-delà. En effet, pour moi faire la lumière sur l’assassinat du Président Ibrahim Baré Maïnassara, rendre justice à sa famille et au peuple nigérien est quelque chose dont cette transition ne peut faire l’économie car, la source du mal-être et du mal-politique de notre Pays vient de cet acte ignoble commis un vendredi contre un dirigeant d’un Pays à 99% musulman. Quand je regarde ce qui s’est passé le 09 Avril 1999, ce qu’a été le comportement tolérant de la famille Baré et de ses proches, comparé au coup d’Etat du 26 Juillet 2023 et à l’attitude va-t’en-guerre des partisans du régime déchu, je me dis que ces gens ne sont pas reconnaissants envers Dieu de cette chance qu’ils ont eu de sortir indemnes de cet imbroglio et qu’ils sont véritablement ingrats vis-à-vis du Président Tiani et du CNSP. Il va falloir que tous les détenus politiques y compris les militaires injustement incarcérés soient libérés par des mesures d’amnistie, de grâce ou de classement sans suite en fonction de la situation de chacun. Que les personnes exilées reviennent dans le Pays et chaque nigérien participe à la construction en fonction de ses compétences et de son sens de patriotisme. Il faut un véritable assainissement et cet assainissement ne peut être conduit par des juges corrompus et des magistrats colorés. Quel que soit ce qui sera fait ou discuté dans ce Pays, tant que la justice n’est pas rendue au nom du peuple et de la règle de droit, tant que nous avons des magistrats qui pensent être au service d’un régime et non de la République, nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux soubresautx et de déstabilisation institutionnelle. Pour qu’il ait cohésion sociale, il faut également que tous ces jeunes qui pullulent dans les prisons parce qu’ils étaient au mauvais moment ou au mauvais endroit, ou à cause de la lenteur judiciaire doivent être libérés et insérés dans le tissu socioéconomique pour qu’ils contribuent à l’effort de développement.
Quel message avez-vous à lancer aux nouvelles autorités dans la conduite du pays eu égard aux sanctions de la CEDEAO de l’UEMOA ?
Nous pensons que notre pays doit appliquer le principe de réciprocité envers n’importe quel pays du monde et de la CEDEAO en particulier. Nos actions doivent s’inscrire dans la durée pour une véritable souveraineté de notre pays. Même avec une éventuelle levée de l’embargo économique, nous pensons que notre pays doit avoir une vision et un vaste programme de développement axé sur sa souveraineté économique et monétaire. C’est pour cela que nous avons recommandé de créer un fonds souverain pour la dignité du peuple dont l’objectif sera de financer de manière autonome des projets assurant la souveraineté du pays dans plusieurs domaines dont celui de l’énergie, de l’alimentation. Il faut aussi sortir du gouffre de cette monnaie de servitude qu’est le franc CFA et de ses règles de fonctionnement. Par ailleurs, il faut également un plan de soutien à la résilience des populations et de lutte contre la cherté de la vie. En plus de la réduction du prix des hydrocarbures pour que notre pétrole profite directement aux citoyens, il faut également une régulation et un suivi efficace des coûts de loyers, de scolarité et de santé surtout au niveau du secteur privé. Il faut rendre accessibles et gratuits les soins primaires de santé aux familles pauvres et groupes vulnérables et veiller à l’effectivité de la politique sur la gratuité des soins de santé aux femmes enceintes et aux enfants de moins de cinq ans. Il faut aussi un véritable programme d’éducation à la citoyenneté et au patriotisme car, si les syndicats qui ont plongé durant dix ans dans le silence osent aller en grève à la moindre difficulté du gouvernement à honorer certaines de ses obligations avec l’héritage de surendettement, je pense que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge. Mais je pense qu’ils feront comme tous les citoyens le sacrifice nécessaire à la bonne marche de la révolution populaire en cours dans notre Pays. Les membres du gouvernement aussi, ainsi que tous les responsables d’institutions publiques doivent également consentir certains sacrifices en diminuant ou en renonçant à certains avantages jusqu’à ce que la situation se normalise. Car, nous sommes en guerre contre l’impérialisme et cela requiert des dirigeants un comportement exemplaire en termes de sacrifices.
Réalisée par Aïssa Abdoulaye Alfary (ONEP)