Le 1er septembre dernier vous avez organisé un sit-in au niveau du rond-point Escadrille, qui, il faut le rappeler, a drainé une foule importante. Parlez-nous de vos stratégies mises en place à cet effet ?
La lutte pour notre souveraineté, notre liberté et notre dignité a une portée nationale et doit par conséquent impliquer toutes les forces vives de la nation. C’est pourquoi, nous avons opté pour une approche inclusive et participative de toutes les différentes composantes de notre nation. De ce fait, le Cadre Unique d’Actions des Forces Vives du Changement – CUAFVC regroupe en son sein des leaders religieux, politiques, scolaires, de la société civile et des opérateurs économiques. Ainsi, lors de nos différents appels à manifestation, nous privilégions particulièrement une stratégie de proximité consistant à ce que chaque leader membre du cadre s’adresse particulièrement à une catégorie de citoyens chez qui il jouit d’une certaine notoriété.
Mais au-delà de toute considération, il est important de reconnaître que les événements du 26 juillet 2023 ont favorisé un élan patriotique au sein des populations qui nous facilite largement la mobilisation. En effet, l’avènement du CNSP au pouvoir est un ouf de soulagement pour l’écrasante majorité des Nigériens en témoigne les manifestations spontanées de soutien partout au Niger.
Votre cadre ne faiblit point en organisant des manifestations populaires par ci par là. Vous comptez appeler les populations à un sit-in géant le vendredi 15 juin. Comment se déroule les préparatifs pour ce grand rassemblement ?
La France, l’ennemi de notre souveraineté, de notre liberté et de notre dignité mène en ce moment et sur nos terres une lutte de survie. Aujourd’hui, ce n’est un secret pour personne que la France ne tient sa position de puissance mondiale que par la domination et l’influence qu’elle exerce sur nos pays qui lui permet un accès gratuit à nos ressources naturelles dont la plus stratégique est l’uranium. Et au vu de l’activisme des autorités françaises qui ont mis en contribution leurs réseaux d’influence pour punir le peuple nigérien à travers des sanctions illégitimes et inhumaines de la CEDEAO et certaines organisations internationales, nous pouvons sans risque de nous tromper affirmer que la France cherche l’affrontement vaille que vaille. Nous à notre niveau, nous cherchons un règlement à l’amiable. Notre conviction est qu’à l’étape actuelle de notre lutte nous devons faire preuve davantage de détermination et de courage. C’est pourquoi, nous allons continuer à mobiliser les patriotes jusqu’au départ définitif de l’armée française du Niger mais même au-delà puisque la lutte pour notre souveraineté est un chantier majeur qui s’inscrit dans la durée.
Nous voudrions bien connaître cette structure qui est le Cadre Unique d’Action des Forces Vives du Changement (CUAFVC), présentez-nous cette organisation et dévoilez nous ses missions?
Le CUAFVC est né dans le but de créer une synergie d’action des Forces Vives du Changement qui luttent pour la souveraineté et le bien-être de notre peuple. Le cadre est en cours de formalisation et se structure autour des cinq organes suivants : La Conférence des leaders qui est l’organe suprême qui élabore et met en œuvre les plans stratégique et opérationnel. Elle regroupe tous les leaders des différents mouvements et organisations membres du cadre. Le Conseil d’orientation qui est le principal organe de conseil qui vient en appui à la conférence des leaders et des autres organes. Il regroupe en son sein des experts chevronnés sur les questions de souveraineté. Les Commissions techniques forment la cheville ouvrière du cadre dans l’exécution des plans d’actions ; les Organes de relais régionaux sont la continuité et représentent le cadre au niveau régional. Sans oublier le Think Tank qui a pour objectif de produire de l’intelligence stratégique afin d’éclairer nos décideurs publics et privés sur les questions d’intérêt géostratégique pour notre pays et notre région. Des savants reconnus par leurs pairs seront mis en contribution. Les impérialistes font de la réflexion stratégique et produisent de l’intelligence et donc ils ont une capacité d’anticipation et de l’avance sur nous. Pour preuve, déjà en ce moment ils sont en train de préparer les élites qui gouverneront nos pays dans les décennies à venir. Tous nos jeunes talentueux, les plus brillants sont cooptés et sont liés à ces chancelleries occidentales. Pendant longtemps, nous avons péché dans ce domaine, maintenant il urge de corriger cela.
On voit que toutes ces manifestations drainent un nombre important de citoyens, comment expliquez-vous cet engouement pour exiger le départ des troupes françaises au Niger ?
Devant la menace existentielle relative à la montée en puissance du terrorisme à laquelle les pays sahéliens, notamment le Burkina, le Mali et le Niger, font face depuis plus d’une décennie et qui a entraîné le déploiement sans précédent des forces armées étrangères dans la zone, les opinions publiques réclament davantage d’autonomie stratégique pour leur pays. Il vous souviendra qu’en mars 2011, dans le contexte des contestations populaires appelées « Printemps arabe », une coalition militaire emmenée par les USA, la France et le Royaume-Uni lança une offensive militaire en Libye qui a eu pour conséquence la mort du guide libyen Mouammar Kadhafi et la chute de son régime. Cette situation a entraîné par la suite l’effondrement de l’État libyen qui, à son tour, a occasionné, avec la libre circulation des armes de tout genre, l’accroissement exponentiel des menaces terroristes, insurrectionnelles et la criminalité transfrontalière au Sahel, particulièrement au Mali, au Burkina et au Niger.
Ces pays, n’étant pas préparés pour faire face à ces nouvelles menaces, ont appelé la communauté internationale à l’aide. C’est ainsi que la France est intervenue militairement d’abord au Mali avec la mission Serval qui a eu le mérite de stopper la marche des djihadistes sur Bamako. Depuis lors, la France y a maintenu une présence militaire très forte et l’a étendue au Niger et au Burkina. Les Nations Unies aussi ne sont pas en reste, elles ont déployé une mission de maintien de la paix dénommée MINUSMA qui s’est investie à travers des programmes de Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS). De plus, d’autres partenaires extérieurs non des moindres, notamment les USA, ont installé des bases militaires dans la zone, particulièrement au Niger. Cependant, malgré la présence militaire très forte des partenaires extérieurs occidentaux en général, la crise sécuritaire, qui au départ était localisée sur une portion du territoire malien, s’est aggravée en se métastasant, affectant ainsi leur voisinage immédiat. Avec la présence militaire de ces partenaires, le Burkina, le Mali et le Niger, ont perdu davantage leur capacité souveraine de prendre des initiatives pour ramener la paix, en témoigne le refus catégorique des autorités françaises lorsqu’il s’est agi pour les autorités en place à l’époque au Mali, de négocier avec certains groupes djihadistes. C’est pourquoi, de plus en plus les opinions publiques sahéliennes sont favorables au départ des troupes étrangères et au renforcement de l’autonomie stratégique de leur pays.
Nous avons vu la diaspora, les leaders religieux, les acteurs de la société civile adhérer tous à ce changement, dites-nous comment arrivez-vous à coordonner tout cela ?
Nous nous battons pour une bonne cause au bon moment. Et tous les Nigériens et au-delà tous les patriotes africains sont conscients des enjeux de cette lutte pour la souveraineté pleine et entière de notre peuple. S’agissant de la coordination de nos différents rassemblements, nous avons opté pour un leadership collectif qui place chacun de nous devant ses responsabilités.
Quel est le message fort que vous avez à l’endroit des nouvelles autorités pour mener à bien la transition ?
Nous les appelons à se concentrer prioritairement sur la construction de notre souveraineté et la bonne gouvernance. Cependant, pour que la souveraineté de notre peuple soit durable, il va falloir aller vers une fédération avec d’autres pays frères. Pour nous donc, le chantier majeur le plus stratégique c’est la création d’un Etat fédéral réunissant au départ le Burkina, la Guinée, le Mali et le Niger. C’est pourquoi, nous appelons les autorités des transitions du Burkina, du Ghana, du Mali et du Niger à se concentrer prioritairement sur la création d’un Etat fédéral et à entreprendre de toute urgence les chantiers majeurs et actions prioritaires notamment la création d’une armée fédérale constituée des membres des armées des États cités plus haut ; la création d’une monnaie commune ; la refonte ou réforme du système éducatif ; le développement des réseaux ferroviaires, routiers et d’une compagnie aérienne commune ; la communication et la sensibilisation des masses populaires sur la défense des intérêts supérieurs de nos États et sur les enjeux géopolitiques mondiaux.
La population est acquise à cette cause depuis le 26 juillet dernier, quel appel avez-vous à lancer pour maintenir cette mobilisation et cette pression jusqu’à la conquête d’une souveraineté nationale totale ?
Le temps est venu pour notre pays de se libérer définitivement du néocolonialisme français. Dieu tout puissant nous offre, aujourd’hui, une occasion exceptionnelle de retrouver notre souveraineté, notre liberté et notre dignité. Jamais nous n’avons été si proches de la victoire. En effet, les contextes national, régional et international nous sont exceptionnellement favorables. Sur le plan national, nous avons la chance d’avoir à la tête de notre pays des patriotes, des courageux et braves. Aussi, la gravité de la situation actuelle de notre pays a eu le mérite de nous unir. Et, lorsque notre peuple est uni nous sommes plus forts. C’est un atout majeur. Sur le plan régional également le Burkina, la Guinée et le Mali ont entamé le processus de libération définitive du joug du néocolonialisme français. Les patriotes aux commandes de ces Etats frères nous ont témoigné de leur solidarité agissante. Et le communiqué conjoint des gouvernements du Burkina et du Mali annonçant que « toute intervention militaire au Niger sera considérée comme une déclaration de guerre à leur encontre » illustre parfaitement cette solidarité. Sur le plan international, l’ordre mondial dominé par le camp occidental est en cours de mutation et tout indique qu’on va vers un monde multipolaire plus juste.
Aïssa Abdoulaye Alfary (ONEP)