Monsieur Younoussa, la ville de Niamey connait une urbanisation incontrôlée qui n’est pas sans conséquences sur la gestion urbaine de la ville, comment vous appréhendez cette problématique ?
Avant de rentrer dans le vif du sujet, permettez-moi d’abord de définir ce que c’est l’urbanisation qui est un processus de développement des villes et de concentration des populations dans celles-ci. Niamey, comme vous l’avez dit, connait certes une multiplication sans précédent des quartiers. On n’a pas besoin de sortir de chez soi pour constater la façon dont la ville de Niamey s’étend. Lorsque qu’on retourne un peu en arrière, jusqu’en 1995, la ville de Niamey ne dépassait guère la ceinture verte. Le premier projet de dépasser la ceinture verte, c’était le projet de Niamey 2000 initié sous le régime d’Ibrahim Baaré Mainassara. Le projet d’une cité Niamey 2000 avait pour objectif primordial de répondre aux préoccupations des futurs demandeurs en logement. C’est dire que jusqu’en 1999, la ville de Niamey n’était pas encore sortie de la ceinture verte. Depuis lors, on a l’impression que c’est une carte blanche qui a été donnée aux gens de se lancer dans la quête effrénée du toit. Le premier lotissement du projet Niamey 2000 a aiguisé les ardeurs d’un certain nombre d’acteurs en l’occurrence les lotisseurs privés qui se sont vus attribuer des agréments, tantôt sans que certains ne remplissent les critères définis en la matière. Ces nouveaux acteurs n’avaient pas tenu compte des facteurs qui permettent de réaliser un lotissement.
Justement qu’est ce qui est exigé par la réglementation en la matière ?
Pour opérer un lotissement, il convient d’abord de conduire une étude pour voir les besoins de la population donnée afin de dégager les besoins à court, moyen et long terme. Mais avec l’avènement des lotisseurs privés, on assiste à un lotissement sans pourtant aménager et viabiliser l’espace, encore moins s’assurer de mesures d’accompagnement notamment les services sociaux de base (l’eau, l’électricité, les caniveaux etc.). Il est bien vrai que la population des villes a augmenté même si cela est insignifiant lorsqu’on essaie de faire le ratio. Cet agrandissement de la ville n’est pas sans conséquences sur la capitale. En outre, tant que la ville s’accroit, il va de soi qu’il ait des gens qui ne vont pas rester en centre-ville par manque de moyens. Ces derniers vont se déplacer pour s’installer dans leurs propres parcelles. Et du coup, on est obligé de les compter parmi les citoyens de la ville. Comment maintenant accompagner tout ce beau monde qui s’est installé à la périphérie de Niamey sur leur propre terrain ? Il y’a lieu de voir le coût de transport, les mesures d’accompagnement (l’eau, l’électricité, l’aménagement des voies). Malheureusement lorsqu’on fait le tour de ces quartiers périphériques, on se rend compte que les infrastructures n’accompagnent pas cet agrandissement de la ville. Niamey s’est agrandie à travers les lotissements privés opérés par les agences immobilières sans que les mesures de base n’accompagnent cela. L’absence de ces mesures constitue un véritable frein au développement d’une communauté donnée. Bref, au lieu que l’urbanisation court derrière l’urbanisme, c’est plutôt l’urbanisme qui court derrière l’urbanisation à Niamey.
L’essentiel des problèmes de la ville de Niamey sont liés à la planification et à l’aménagement urbain de la ville, quelles sont aujourd’hui les pistes de redressement possible pour donner à notre capitale la dimension d’une ville vitrine ?
Même les quelques bases qui servent de premiers cercles de la ville de Niamey jusqu’à la ceinture verte, c’était dû au premier schéma directeur de la ville de Niamey qui était réalisé en 1984 et qui a atteint ses limites en 1996. C’est ainsi qu’à la même année, le régime d’alors avait demandé qu’une étude soit réalisée dans la perspective de faire un lotissement. Malheureusement, depuis ce temps-là, il n’y avait pas eu une étude de planification sur la ville de Niamey, ni un plan de référence urbaine, ni un schéma directeur. Toutefois, en 2005 il y avait eu une ébauche d’étude de plan urbain de référence qui, malheureusement n’avait même pas vu le jour parce qu’avant même qu’on ne finisse, l’étude était déjà dépassée par les dimensions de la ville. La capitale Niamey a continué sa progression sans aucune étude de planification parce que l’Etat avait décerné des agréments à des lotisseurs privés qui ont systématiquement procédé aux lotissements de l’ensemble des terrains appartenant à la ville de Niamey, mais au-delà même pour grignoter dans les communes environnantes.
Dans le cadre de la maitrise de l’urbanisation d’une ville, il est indispensable d’avoir un schéma d’aménagement urbain, quand n’est-il vraiment de notre capitale Niamey ?
Un schéma directeur est un outil de planification qui fixe les grandes orientations d’une ville, c’est-à-dire la répartition de différentes zones à savoir les zones d’habitations, les zones d’aménagement concerté, les zones industrielles et la voirie. Bref, un schéma directeur dégage tout ce qui est orientation du développement de la ville. C’est sur la base de ce schéma que les autorités locales doivent se baser pour le développement physique de la ville. Le schéma donne une claire vision de ce qui est prévu à tel endroit ou à tel niveau de la ville.
La problématique de l’hygiène et assainissement est toujours d’actualité à Niamey, alors que la ville a bénéficié d’énormes investissements ces dix dernières années qui n’ont pas véritablement endigué le problème. En tant que technicien comment expliquez-vous cette situation ?
Lorsqu’on essaie un peu de faire du recul sur les dix dernières années ou un peu plus, il y’avait eu beaucoup d’investissements dans tous les centres urbains du Niger dont Niamey. Mais malheureusement, on constate que beaucoup reste à faire parce qu’il n’y avait pas eu d’études au préalables. S’il y avait un schéma qui orientait les investissements, on pouvait savoir qu’est-ce qu’il faut faire et de façon prioritaire. On a juste agi selon ce qu’on veut et qu’on voit. A titre illustratif, lorsqu’on prend le domaine des infrastructures urbaines et routières. Au lieu de faire assez de routes pour la ville de Niamey, les autorités d’alors se sont permises de réaliser des ouvrages d’art tels que les échangeurs qui, non seulement ne sont pas des échangeurs par définition et ne répondent même pas aux critères d’un échangeur. Par définition, un échangeur est un dispositif de raccordement de plusieurs voies ou de routes sans intersection, c’est-à-dire sans arrêt. Malheureusement, ce que nous avons dans la ville de Niamey ne répond pas à cette définition dans la mesure où il n’y a pas un échangeur à Niamey où lorsque vous êtes dessus, vous n’allez pas freiner avant de descendre. C’est dire que les infrastructures de Niamey qu’on qualifie d’échangeur ne jouent pas le rôle de ce dispositif de raccordement d’une panoplie de voies ou de routes. Certes on voit que des investissements ont été réalisés à Niamey. Mais le problème, c’est qu’ils n’ont pas été bien faits. Les échangeurs dans la ville de Niamey ne sont que des prouesses architecturalement parlant, mais des catastrophes urbanistiques. Ils ne répondent pas aux attentes des populations de la ville de Niamey parce qu’ils n’ont pas réglé le problème de mobilité urbaine. En dehors des échangeurs, il n’y avait pas eu assez d’investissements dans le domaine de l’hygiène et d’assainissement à Niamey. Or, la ville de Niamey a besoin plus de l’assainissement que d’infrastructures routières.
Quels rôles les ingénieurs architectes, urbanistes et les aménagistes ont joué dans le cadre du processus d’urbanisation de la ville de Niamey ?
Les acteurs des BTP ont pour rôle, en fonction de la position qu’ils occupent, de conseiller et d’alerter. C’est ce que nous avons fait de tout temps. Nos confrères qui sont dans l’administration, je ne sais pas à leur niveau ce qu’ils ont pu faire parce que je ne suis pas dans l’administration publique. Mais des informations qui nous parviennent, ils disent qu’ils font de leur mieux. Quant aux acteurs qui sont dans le secteur privé, vous le constatez tout le temps à travers les médias qu’ils attirent l’attention des techniciens du public et des autorités. Nous mettons aussi l’opinion nationale à témoin de ce qui se passe. Notre rôle est d’informer et d’attirer l’attention des gouvernants par rapport à un certain nombre d’enjeux résultant du manque d’étude sur la gestion d’une ville. Ce rôle, nous l’avons toujours joué.
Quels sont les enjeux du processus d’urbanisation dans la ville de Niamey ?
A l’heure actuelle, la ville de Niamey connait un sérieux problème parce qu’elle s’est bien étalée au point qu’on ne sait même pas où sont les limites de la ville de Niamey. Il n’y pas un seul côté où Niamey n’a pas grignoté dans les communes voisines. La vraie urbanisation consiste à un développement de la ville avec des concentrations. La ville de Niamey s’est accrue sans peuplement ou concentration humaine. L’agriculture périurbaine ne pouvait plus se faire comme on le souhaite parce qu’on a loti les terrains. Les municipalités n’ont pas aussi les moyens nécessaires pour accompagner les habitants de la ville qui souffrent dans certains quartiers, du manque d’eau potable et d’électricité. Les services en charge de ces questions ne peuvent pas éteindre leur réseau jusqu’à ces populations qui sont à l’autre bout de la ville. En plus, il y a des zones qui sont même inaccessibles : pas de voie d’accès, ni en bitume ni même en latérite. Les voies qui mènent dans ces zones sont à l’état naturel. Il suffit d’une petite pluie, les habitants de plusieurs quartiers sont coupés du reste de la ville. En saison sèche, il y a aussi le sable qui ne permet pas l’accès facile à certaines zones. C’est dire qu’on assiste à Niamey à une urbanisation galopante, incontrôlée, sans compter la problématique de l’assainissement.
Quelles peuvent être les pistes de solutions pour redresser la barre et réussir un processus d’urbanisation dans la capitale ?
La principale piste de solution pour cette urbanisation galopante, c’est d’abord commanditer une étude qui permet de doter la ville de Niamey d’un outil de planification, un schéma directeur d’aménagement. J’ai vu que les autorités centrales ont commencé au niveau du Ministère de l’Urbanisme en lançant des concours. Cela est déjà une bonne chose si les autorités arrivent à aller jusqu’au bout. Seule l’étude permet de savoir qu’est-ce qui est prioritaire, qu’est-ce qui ne l’est pas et comment agir ? C’est dans cette étude qu’on aura forcément une analyse diagnostique et d’ébauche de solutions. En attendant l’outil de planification, les autorités municipales peuvent, ne serait-ce que, en cette saison de pluie soulager les populations en essayant de faire ressortir les pentes dans les quartiers où les eaux pluviales peuvent s’écouler pour aller se déverser dans le drain naturel. Au niveau des endroits qui sont devenus des cuvettes, il s’agit d’essayer de curer toute l’eau pour verser de la latérite afin d’aménager les grandes voies pénétrantes dans les quartiers. Cette action permettra aux habitants d’accéder à leur quartier sans difficulté.
Réalisée par Hassane Daouda (ONEP)