M. le coordonnateur, le lancement de la mise en œuvre de la politique foncière au Niger et de son plan d’actions 2021-2025 a eu lieu, il y a quelques jours à Niamey. Quelle est l’importance de cette étape dans le processus de la politique foncière rurale au Niger ?
Merci! C’est vraiment un grand plaisir pour moi de parler de cette étape. En réalité, il s’agit du couronnement d’un long processus qui a duré 7 ans. Ce processus a débuté en 2013 et achevé en 2021. J’appelle ça couronnement parce que le Niger dispose désormais d’une politique foncière rurale du Niger et de son plan d’actions qui ont été adoptés par le Gouvernement à travers un arrêté signé dernièrement le 9 novembre 2021. C’est ça le couronnement dont je suis en train de parler. Si je repars sur le processus lui-même, que j’ai eu la chance de piloter, il a démarré en 2013 avec une étude bilan de 20 ans de mise en œuvre de ce que nous appelons le code rural. Si vous vous souvenez, le premier texte important de référence que le Niger a eu à adopter en matière de foncier, c’est l’ordonnance 93015, appelée ordonnance des principes d’orientations du code rural. Souvent les gens l’appellent même le code rural, mais ce ne sont que des principes d’orientation du code rural. 20 ans après cette adoption, en 2013, on a dit ok, est-ce qu’on ne va pas s’arrêter pour voir ce que cela a donné. Et c’est ça qui a amené l’étude bilan des 20 ans du code rural. Je fais partie de ceux qui ont fait cette étude bilan qui a fait ressortir trois choses : la première chose c’est qu’il y a eu vraiment des avancées en matière de gouvernance foncière ; la deuxième chose c’est qu’il y a toujours beaucoup à faire, c’est-à-dire qu’il y a encore des insuffisances, la troisième chose c’est qu’il y a des enjeux nouveaux qui n’existaient pas au moment où l’ordonnance avait été adoptée, qui n’ont pas été pris en compte et il faut les prendre en compte. Et c’est de là-bas que le processus a démarré parce que l’étude bilan a recommandé des états généraux sur le foncier pour parler de ces trois éléments là. Donc on a mis en place un comité pour préparer ces états généraux. A l’époque, j’étais secrétaire général adjoint au ministère de l’agriculture et en même temps, j’ai été nommé président de ce comité. On a travaillé de 2013 jusqu’en 2018 pour tenir ces états généraux qui ont eu lieu en février 2018, après deux années d’échanges, d’ateliers de réunions, de rencontres, de missions de terrain à l’intérieur du pays, de recherches, d’avis de points de vue, d’analyses de situation et de défis en lien avec l’accès à la terre et aux ressources naturelles, etc. C’est après tout ça là qu’on a convoqué les états généraux. Et les états généraux c’est 4 jours de rencontre de 350 nigériens venus de partout sous la présidence du Premier Ministre. Ce sont ces états généraux qui ont abouti à une grande recommandation. C’est vrai, c’est une dizaine de recommandations mais la principale recommandation, c’est l’élaboration d’une politique foncière au Niger. Ce qui fait qu’en 2018, on est reparti avec un nouvel objectif mais toujours dans le même élan et dans le même sens. Et on a mis en place un nouveau comité, et je suis facilitateur du processus pour dire coordinateur du processus. J’ai coordonné ce processus jusqu’à avant-hier avec cet atelier de lancement de mis en œuvre. Voilà en résumé ce que je peux dire par rapport à cette étape du 9 dernier.
Concrètement quel est l’objectif du plan d’actions 2021-2025 élaboré à cet effet ?
On s’était dit qu’on va élaborer une politique mais si on n’a pas d’abord élaboré le plan d’actions de sa mise en œuvre, la politique elle va jusqu’en 2025. Au moins qu’on ait des actions prioritaires dans ce plan d’actions. Nous avons identifié les actions prioritaires que nous avons planifiées et budgétisées. Le coût total de ce plan d’actions pour les 5 premières années est à peu près de 16 milliards F CFA. Mais c’est vraiment les actions prioritaires que nous pensons pouvoir mettre en œuvre dès cette année 2021 jusqu’en 2025.
Au Niger, l’accès aux ressources naturelles fait face encore à des défis liés notamment aux us et coutumes. Comment expliquez-vous cette situation, malgré l’élaboration de beaucoup de textes y afférents ?
Oui ! Ça c’est le diagnostic tel que nous l’avons même établi quand on fait l’étude bilan. Bien que nous avons ce code rural, il y’a un dispositif institutionnel et un dispositif juridique c’est-à-dire des textes. Malgré tout ça, nous avons encore des défis, encore des difficultés pour garantir, parce que le code ou bien la Gouvernance foncière doit garantir l’accès équitable à tous les nigériens aux ressources pour pouvoir produire. Pour produire, il faut accéder aux ressources ou accéder à la terre elle-même ou accéder à d’autres ressources comme le pâturage, comme les arbres et tout. Si tu n’accède pas à ces choses, tu ne peux pas produire ça veut dire que tu ne peux pas vivre. En somme, la grande difficulté et pour beaucoup de domaines au Niger, c’est l’application des textes. Nous avons d’énormes difficultés pour appliquer les textes. Les principes d’orientation ont pris soin d’avoir à leur sein un dispositif pour permettre l’application c’est ça qu’on appelle les commissions foncières. Mais malgré tout on a essayé de mettre en place ce dispositif institutionnel avec les commissions foncières au niveau du village qu’on appelle commission foncière de base, les commissions foncières au niveau des communes (les COFOCOM), les commissions foncières au niveau départemental (COFODEP), le secrétariat permanent régional au niveau des régions et le secrétariat permanent national du CNCR au niveau national. Les institutions sont là, mais pas à 100% parce qu’on n’a pas une bonne couverture en commission foncière de base. Les COFOCOM, les COFODEP SPR sont là, malgré tout, appliquer les textes est tout un problème. Les nigériens ne sont pas faciles à respecter la règle, même quand ce sont les populations qui les ont adoptées, ils ne sont pas toujours disponibles à les respecter. Je vais prendre un exemple : la communauté décide de matérialiser un couloir de passage pour résoudre les conflits entre agriculteurs et éleveurs, les éleveurs vont suivre le couloir de passage, ils ne vont pas rentrer dans les champs. Vous revenez dans un an ou deux ans, vous allez trouver que quelqu’un a cultivé dedans. Et il était là quand on a matérialisé ce couloir. C’est ça qui rend difficile l’accès aux ressources. C’est vrai que les us et coutumes sont là, mais les us et coutumes ne sont pas les seules raisons qui freinent l’accès. Les raisons qui freinent l’accès c’est plutôt le respect des règles.
Comment selon vous, la politique foncière peut permettre l’accès équitable à tous aux ressources naturelles au Niger ?
Effectivement ça c’est l’objectif, je dirais la vision même de cette politique. Si vous regardez la vision de la politique, on va vous dire qu’au Niger d’ici 2035 tous les nigériens accèdent équitablement à la terre sans distinction et qu’ils accèdent de manière rationnelle, c’est-à-dire des terres non dégradées et d’assurer le renouvèlement et la durabilité de leur exploitation. Egalement, ils accèdent en assurant que leur exploitation leur génère suffisamment de revenus pour améliorer leur condition de vie. C’est tous ces éléments-là qui constituent la politique. Accéder, exploiter durablement, tirer les meilleurs revenus, créer les conditions de stabilité de la paix. C’est ça la vision de la politique. Tout va ensemble. Mais pour y arriver il faut prévoir des mesures, parce que le document (la politique) elle-même c’est un ensemble de mesures qui ont été proposées dans le cadre des échanges et les discussions pour justement en arriver là. Le document regroupe ces mesures en 4 grands groupes. L’orientation numéro 1, elle doit permettre de renforcer le cadre institutionnel et juridique dont je vous ai parlé tantôt, notamment les commissions foncières. Il faut qu’elles soient en mesure de jouer leur rôle. L’orientation 2 c’est ce que nous appelons à garantir l’équité dans l’accès à la terre et aux ressources aux paysans, producteurs, éleveurs, pécheurs, etc. qu’on donne la garantie à chacun d’y accéder en fonction des us et coutumes, comme l’accès par héritage, par achat, etc. on règlemente toutes ces formes d’accès aux ressources. Mais au-delà d’accéder, il faut sécuriser. J’ai ma terre, j’ai un document, un titre qui dit qu’elle m’appartient, même demain personne ne viendra dire que non ce n’est pas pour toi.
La troisième orientation, c’est la question du domaine public et privé de l’Etat ou bien les domaines partagés. Beaucoup de domaines appartiennent à tout le monde et ces domaines sont exploités par tout le monde par exemple pour aller faire le pâturage, pour aller ramasser le bois, pour aller ramasser la paille, etc. ça c’est les domaines publics de l’Etat. Ces domaines publics de l’Etat, nous avons préconisé que l’Etat connaisse réellement son domaine. Parce que le problème qui se pose aujourd’hui ce que l’Etat ne connait pas son domaine. Il n’y a jamais eu d’inventeur pour dire voilà les domaines qui appartiennent à l’Etat et ceux qui appartiennent à l’individu. Ce qui fait que quand l’Etat a besoin de faire une réalisation physique quand bien même que c’est un domaine de l’Etat quelqu’un va dire que c’est pour lui. C’est en ce sens qu’on a demandé à l’Etat de faire un effort d’inventorier tout son domaine ça c’est le troisième axe, connaitre
exactement tout le domaine de l’Etat. Le quatrième et dernier axe est la question de la marchandisation de la terre. La terre est devenue de l’argent. Les riches l’achètent et ils les vendent aux pauvres. Ce qui se passe, ce que les pauvres n’ont plus de terre, ils n’ont même plus là où pouvoir cultiver pour nourrir leurs familles. Quand vous sortez de Niamey quel que soit l’axe que vous allez prendre vous allez voir dans un rayon de 30 km tout a été acheté par les riches. Et l’Etat n’a pas de réglementation pour empêcher ça. C’est de l’anarchie totale. Et la conséquence est qu’on a de plus en plus des paysans qui n’ont plus de terre. Et un paysan qui n’a pas de terre qu’est-ce qu’il va faire ? Il va venir en ville pour devenir clochard dans le bidonville. Ça c’est un grand danger. Nous, nous pensons que si l’Etat ne fait rien on ne pourra jamais lutter contre la pauvreté. L’Etat ne pourra jamais atteindre son objectif de faim zéro. Voilà les 4 grandes orientations que nous avons préconisées dans cette politique.
La mise en œuvre de cette politique concerne aussi les communautés. Comment comptez- vous œuvrer pour amener celles-ci à adhérer à cette politique quand on connait le poids des us et coutumes en la matière au Niger ?
J’aime bien cette question, parce que dans notre démarche on a l’habitude de le dire et on se vante de ça. C’est un produit qui est actuellement très apprécié au-delà de nos frontières. Depuis un an avant même que ça ne soit adopté, on a reçu des visites des autres pays, même tout à l’heure j’etais en communication avec mes collaborateurs du Tchad qui veulent bien s’inspirer de notre démarche parce que cette démarche a été bien participative, inclusive, etc. Les communautés dont vous parlez ont été impliquées dès le départ dans tous le processus à travers des ateliers, ce n’est pas moins de soixante ateliers qu’on a organisés dans le pays pour reccueillir leurs points de vue pour s’assurer que nous sommes entrés dans le sens qu’ils veulent. Ce n’est pas moins de trois caravanes de discussions qu’on a eu à faire dans toutes les régions du pays pour encore unir les populations, les communautés et avoir leur point de vue. Et ensuite ces communautés ont été représentées au niveau des états généraux, c’est pour dire qu’en terme de processus de démarche ça a été une démarche participative et inclusive et même itérative et on se félicite de ça. De la même façon qu’on considère que c’est eux qui ont conçu le document et on pense aussi qu’ils vont être disponibles pour mettre cela en œuvre, mais il faut qu’on les accompagne et c’est ce à quoi on va s’atteler bientôt. Ça fait partie des actions prioritaires du plan d’actions, aller vers les populations, les informer voilà ce que vous avez dit et on veut que ça soit ainsi, renforcer leur capacité. Donc nous entendons nous investir largement dans la formation de renforcement de capacité, la sensibilisation des acteurs ruraux pour qu’ils adhèrent totalement et qu’ils acceptent les règles, parce que les mesures c’est une chose, les textes c’est autre chose. Il y a déjà les textes, mais il y aura des textes et il faut qu’au fur et à mesure que ces textes vont être élaborés que les communautés adhèrent à ces textes et qu’elles les respectent. Voilà un peu comment est ce qu’on entend réellement mettre en œuvre cette politique.
La mise en œuvre de cette politique demande aussi des efforts financiers importants. De quels moyens disposez-vous pour la mise en œuvre de la politique foncière au Niger ?
Les premiers moyens c’est d’abord les moyens de l’État. Quand un Etat comprend que son économie repose essentiellement sur le monde rural, il faut investir dans le développement rural. Ce Niger est un pays de développement, un pays dont l’économie, même si les gens l’ignorent, repose sur les productions agricoles et ces productions reposent elles aussi sur le capital productif qui est la terre et les ressources naturelles. Et si l’Etat ne fait aucun effort pour justement permettre une bonne gouvernance de ces deux choses, ça veut dire qu’il ne pourra jamais atteindre son objectif de développement agricole durable, il ne pourra jamais atteindre l’objectif de sécurité alimentaire et nutritionnelle. Il faut que l’Etat finance la gouvernance foncière, c’est-à dire la politique foncière. Jusqu’à lors, je peux vous dire très sincèrement c’est insignifiant l’effort financier de l’Etat sur la gouvernance foncière. Mais très heureusement, l’Etat a beaucoup de partenaires techniques et financiers qui financent et accompagnent avec conviction la gouvernance foncière. Ces partenaires ont accompagné de bout en bout l’élaboration de la politique et ils sont prêts à accompagner l’Etat dans la mise en œuvre. On va organiser très bientôt une table ronde des partenaires techniques et financiers pour le financement justement de ce premier plan. Et déjà je peux vous dire qu’il y a beaucoup de partenaires qui attendent cette table ronde pour se prononcer.
Réalisée par Fatouma Idé(onep)et Abdoul Aziz Ibrahim(onep)