Le palmier doum est une espèce forestière inscrite dans la liste des produits non ligneux. Dans les pays sahéliens comme le nôtre, l’usage du fruit et les feuilles de cette espèce sont quasi permanents. Dans les zones rurales par exemple, ce sont surtout les feuilles qui servent à une multitude d’usages.
Dans la commune rurale de Tagazar, le peuplement de cette espèce reste encore important en dépit des actions anthropiques et du changement climatique qui pèsent lourdement sur la régénération de l’espèce. Cueillies à l’état frais et méticuleusement séchées avant leur mise en vente sur le marché, les feuilles de palmier doum contribuent de façon substantielle à l’économie locale de la commune de Tagazar. Faute de statistiques par rapport à ce que représente la cueillette du fruit et la vente des feuilles du palmier doum dans l’économie locale, on se contente de l’ampleur de l’activité au marché de Balleyara. Dans cette filière, les femmes du Tagazar sont encore remarquablement présentes en rendant les feuilles du palmier doum beaucoup plus utiles à la communauté à travers la transformation de celles-ci en des articles divers. En effet, elles achètent au marché la matière première que sont les feuilles séchées du palmier doum pour procéder à la confection des nattes traditionnelles ; des tabourets ; des chapeaux pour se prémunir contre le soleil ardent ; des cordes qui sont généralement utilisées dans la confection des greniers après la récolte ainsi que d’autres usages pour les populations rurales et urbaines. En effet, le jour du marché reste et demeure la seule occasion pour les femmes qui évoluent dans la filière confection des feuilles de palmier doum pour écouler leurs articles. Debout devant un tas de cordes, Zeinabou Gaissa est une habitante du village de Dikitane situé à l’Est de la ville de Balleyara. Elle achète les feuilles de palmier doum au marché, retourne à la maison pour les transformer en cordes et revenir vendre la semaine suivante. Tel est le cycle du travail qui apporte un peu d’argent à cette femme, visiblement déterminée à se battre dans un monde dominé par le capitalisme. Un travail qui lui permet chaque fois de se procurer de la matière première après la vente et subvenir à ses besoins familiaux avec le peu de sou qui reste. Accompagnée au marché par l’un de ses fils, Zeinabou espère faire un bon marché afin d’acheter à la famille des habits de fête et éventuellement se procurer une petite provision pour la semaine. La vie de cette vaillante femme est ainsi rythmée. Bien que les frais de transport entre son village et Balleyara ne dépassent guère 200 FCFA, il lui arrive de venir à pied au marché avec son fagot de cordes sur la tête au cas où les charrettes bovines font défaut. ‘’ Ce sont les enfants qui confectionnent les cordes pendant le week-end. Il faut bien que nos enfants apprennent à aider les parents afin qu’ils ne puissent pas oublier les réalités du village même s’ils parvenaient à réussir à l’école’’, affirme Mme Zeinabou avec un air inquiet qui pourrait résulter de la timidité du marché. Le tressage des feuilles de palmier doum est une activité pénible et moins rentable. Il faut juste trouver un petit travail qui puisse rapporter, ne serait-ce que les frais de condiment. Pour confectionner un fagot de cordes qu’elle vend à seulement 1000 F au marché de Balleyara, Mme Zeinabou affirme que ses enfants mettent toute une semaine. Ils perdent non seulement du temps et surtout de l’énergie pour espérer avoir 1000 FCFA. En unité, la corde de feuilles de palmier doum est vendue à 50 F.
Aux côtés de sa maman, Idrissa Hassane fait partie des enfants qui aident leur mère à confectionner les cordes. Il doigte un fagot de cordes qu’ils ont confectionné à deux, son frère et lui. Agé de 12 ans, Idrissa est en classe de CM2. ‘’ Je ne confectionne les cordes que le week-end où il n’y pas cours. Ma mère nous conseille chaque fois de travailler à l’école et à la maison parce que dans le monde actuel, seul le travail libère l’homme. Elle fait de son mieux pour répondre aux besoins de ses enfants que nous sommes. Nous sommes une fratrie de cinq enfants dont deux garçons et trois filles’’, confie-t-il dans une posture méfiante. Safi Seydou est une vendeuse de feuilles de palmier doum depuis belle lurette. Après avoir perdu son mari suite à une longue maladie en Côte d’Ivoire où ils vivaient en couple, Safi Seydou rentra au bercail. La septuagénaire est native du village de Damana, même si Safi réside à Balleyara. Elle achète les feuilles de palmier doum par l’intermédiaire de ses connaissances qui partent régulièrement dans les différents marchés du département de Birni N’gaouré (les marchés de Kouri n’gal ; Belandé etc.). Elle vend le fagot des feuilles de palmier doum à 1000 F. La vente des feuilles de palmier doum génère certes des revenus aux femmes, mais elle ne leur permet pas d’être autonomes financièrement. Les femmes rurales se battent, toutefois elles ont besoin d’accompagnement conséquent dans les activités pour lesquelles elles pourraient prétendre s’autonomiser.
Une espèce forestière qui subit des fortes pressions dans la zone de Tagazar
De son nom scientifique Hyphaene thebaïca, le palmier doum est un produit non ligneux qui est d’une grande importance socio-économique dans la zone de Tagazar. L’espèce est surtout retrouvée dans le lit du dallol où le peuplement est en relique. Cette espèce est aussi utile pour la communauté dans la mesure où elle joue un rôle prépondérant dans le rituel des morts au sein de la société nigérienne. En effet, dans le culte musulman, la dernière demeure d’un musulman est construite avec les feuilles du palmier doum, précisément la natte. Cette dernière sert aussi de cercueil dans lequel la dépouille mortelle est emballée et transportée jusqu’au cimetière. D’où la valeur cultuelle de cette espèce. C’est dire que rien que pour cette utilité, le palmier doum doit être protégé par l’ensemble de la communauté tout en développant un certain esprit de gestion rationnelle de cette espèce à travers beaucoup de bonnes pratiques qui peuvent permettre sa régénération . En plus, selon le directeur départemental de l’Environnement et de la Lutte contre la Désertification de Balleyara, le Lieutenant-Colonel Kassoum Ali Moumouni, le palmier doum est une espèce à plusieurs valeurs dans la société nigérienne en général et dans la commune de Balleyara en particulier. Il contribue à l’économie locale à travers la commercialisation de ses feuilles dans le marché. Le bois du palmier doum sert à réaliser des puits traditionnels et à construire les maisons traditionnelles en banco dont les toitures sont faites en palmier doum. En dehors du bois, les fruits de Hyphaene thebaïca sont consommés par la population en raison de sa valeur nutritive. Dans certaines contrées du Niger en l’occurrence la région de Diffa, ces fruits sont utilisés pour faire des galettes.
Malheureusement, cette espèce fait l’objet de diverses pressions au vue de son importance. L’une des pressions majeures et inquiétante pour les services de l’environnement réside dans l’interruption du processus naturel de régénération de l’espèce à travers la cueillette des fruits du palmier doum à l’état immature. Dans l’exploitation du palmier doum, ceux qui abattent les feuilles visent uniquement les jeunes pouces pour aller faire les nattes ; les chapeaux ; les tabourets ; les cordes etc. Ce phénomène va au-delà de Balleyara parce que les vendeurs des feuilles du palmier doum viennent des alentours de Balleyara acheter et transporter jusqu’à Niamey pour revendre.
Pour sauvegarder cette espèce menacée, le Lieutenant-Colonel Kassoum Ali Moumouni estime qu’il va falloir faire recours à certaines bonnes pratiques notamment la technique de la Régénération Naturelle Assistée (RNA) et la sensibilisation des populations. Sur le terrain, la RNA fait tâche d’huile à l’échelle du département de Balleyara à travers un partenaire comme le Projet d’Appui à l’Agriculture Sensible aux Risques Climatiques (PASEC).
Par ailleurs, l’Hyphaene thebaïca a comme les autres ligneux une importance environnementale notamment à travers son rôle dans le cycle de l’eau. Aujourd’hui, c’est la perturbation de ce cycle là qui nous fait ressentir les effets du changement climatique. En outre, le végétal est de façon générale un maillon important dans le cycle de l’eau parce que c’est lui qui pompe l’eau du sous-sol et l’utilise pour faire sa photosynthèse. Dans la photosynthèse, a expliqué Lieutenant-Colonel Kassoum Ali Moumouni, c’est le phénomène inverse dans la mesure où l’hydroxyde de carbone est utilisé, tandis que l’oxygène est rejeté. Les effets du changement climatique sur le peuplement du palmier doum dans la zone de Tagazar restent timides même si on remarque petit à petit l’approfondissement de la nappe phréatique dans le lit du dallol. En perspective, il y a nécessité de mener une sensibilisation plus accrue envers les populations afin qu’elles laissent les fruits du palmier doum mûrir. C’est aussi valable pour les autres espèces protégées. Pour l’avenir de cette espèce, le Lieutenant-Colonel Kassoum Ali Moumouni plaide pour l’introduction des semis de la noix du palmier doum dans la RNA.
Par Hassane Daouda(onep), Envoyé Spécial