Dès lors que « tous les hommes naissent libres et égaux en droits » et que « le principe de souveraineté réside dans la nation », « aucun homme ne serait libre, car la souveraineté, idéal de la domination et d’intransigeante autonomie, contredit la condition même de la pluralité. Aucun homme ne peut être souverain, car la Terre n’est pas habitée par un homme mais par les hommes » avait écrit Hannah Harendt. Est ainsi posée la valeur relative de la souveraineté.
La souveraineté économique est le reflet de cette relativité. Elle conduit à des slogans du type « America first ! », « Buy British ! », « Consommons nigérien ! », tout comme « Anvers et sa douane compétitive ! ». Elle conduit à des accords de libre-échange consentis pour ouvrir les frontières entre les pays comme ceux entre l’Union européenne et le Groupe Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP). Le bilan pour certains est une émergence économique rapide, pour d’autres comme nous, une balance commerciale structurellement négative et une « désindustrialisation galopante » depuis des années. En échange, le panier de la ménagère ignore l’inflation, mais les prélèvements obligatoires s’envolent et le pouvoir d’achat réel de nos actifs comme des retraités diminue. La baisse du niveau de vie est ressentie avant tout dans les « classes laborieuses ».
La souveraineté de la nation, loin d’être exclusive, a été partagée. La bonne gouvernance de la souveraineté économique ajuste le curseur au point d’équilibre entre l’autarcie et les échanges ouverts à tous les vents. Ce curseur n’est pas gouverné par le seul équilibre de la balance des paiements, condition nécessaire mais pas suffisante. Les sanctions récentes appliquées à notre pays révèlent deux réalités : le port de Cotonou, principal port d’attache du Niger sans littoral maritime n’empêche pas le Bénin d’être dépendant du Niger pour certains de ses besoins élémentaires ; malgré son enclavement, le Niger est beaucoup moins dépendant du Benin.
Les domaines de la souveraineté économique
Mais quelle est donc cette logique qui voudrait qu’il y ait des barrières aériennes, maritimes et terrestres pour les hommes selon leur nationalité, mais pas du tout de barrière pour les marchandises à travers le monde ? Le libre-échange sauvage assassine le pouvoir d’achat dans nos pays exportateurs de matières premières et importateurs de tout, n’est-ce pas une escroquerie internationale ? Je plaide donc pour le retour des barrières douanières sélectives pour autant que demeure la politique de visa payant pour l’immigration.
Le premier domaine, régalien par essence, est celui de la monnaie, l’outil central de toute politique économique. Le pouvoir souverain de la monnaie dépend autant de la puissance économique du pays émetteur ou de la garantie ressentie par les banques de la stabilité de sa devise que de sa balance des paiements ou de l’endettement extérieur de l’État émetteur.
Toutes les activités économiques possèdent une propriété souveraine, mais en vérité seules celles qui touchent à la sécurité du pays relèvent de la souveraineté de la nation. Si la protection des brevets ou du « violet de Galmi » est essentielle dans l’économie, elle ne se compare pas à la sauvegarde de la sécurité alimentaire pure. La sécurité économique est stratégique dans trois domaines civils : les ressources nourricières, la santé et l’énergie. Ces trois souverainetés en commandent d’autres : la logistique intérieure et extérieure comme les stocks de sécurité, ignorés d’une productivité concentrée sur les flux tendus du juste-à-temps, et les transports, voies et moyens de communication ; dans certains pays, les ressources minières sont négligées par la priorité accordée à la protection des sites naturels ; l’effort public de recherche appliquée doit se concentrer sur l’innovation dans les productions intérieures de biens de première nécessité, capables de se substituer à des importations pour éviter la rupture de stock (riz et médicaments pendant les sanctions de la CEDEAO-UEMOA). Ces biens risquent d’être victimes de chantage diplomatique.
L’importance de la coopération internationale en matière de recherche fondamentale, en revanche, obéit à un quasi-abandon des souverainetés nationales. Les programmes aux retombées lointaines et aux coûts élevés sont des modèles historiques (exemple : la station spatiale internationale-ISS)…Aux sciences, la littérature et les publications vérifiées par les pairs ; aux technologies, les brevets, indicateurs caractérisés du degré de la souveraineté économique d’un pays !
La souveraineté économique est un gage de paix quand elle prépare la guerre. L’incarnation historique de cette souveraineté dans un océan d’indifférence politique est le Président Tandja Mamadou dans son opiniâtreté à mettre en valeur le potentiel pétrolier national qui nous a immunisés pendant les sanctions communautaires.
Les secteurs primaire et secondaire, instruments de la souveraineté économique
Le partage international du travail de la mondialisation, en ce qu’elle consiste dans « l’indépendance dans l’interdépendance » se résume en une cohabitation heureuse de l’usine du tiers-monde au sud avec l’immeuble de bureaux des pays développés au nord. Mais désormais la politique des médicaments illustre une pratique industrielle qui néglige la souveraineté. Le générique se fabrique à bas coût en Inde.
Toutefois, le retour aux guerres confirme l’ardente obligation de réhabiliter notre appareil industriel et notre modèle alimentaire. Les sanctions que les pays occidentaux appliquent aux États comme le Niger qui donnent un coup de canif dans leur ordre mondial tiré des vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, ne sont pas sensibles à leurs propres valeurs. À ce sujet, on a pu voir que l’institution « cedeaouite » dérive vers une pratique du pouvoir soumise aux insistances d’États et/ou groupes de pression étrangers.
L’identité juridique, garante de la souveraineté économique.
La clé de voûte de la souveraineté économique réside dans la loi de finances contrainte par la convergence du franc CFA de l’UMOA. La fiscalité au cœur du dilemme. Depuis 1960, la légitimité de l’impôt exige le consentement des citoyens. Elle fonde la République assise sur le peuple souverain.
Vers un prochain retour d’expérience
Après ce rapide tour d’horizon, la souveraineté apparaît comme une équation à multiples inconnues. L’État stratège se doit d’analyser les contradictions inhérentes à ce concept de puissance au sein d’un monde multipolaire. Un retour à la planification est utile. La planification, stratégie de reconstruction nationale postindépendance, a réintégré le lexique du « labou sanni no, zantchen kassa né ». Il est à espérer que le mot éclose en chose réelle comme le pétrole nigérien.
Une politique de réindustrialisation sous l’angle oblique du prisme déformant du « consommons nigérien » est un cadre étroit pour viser une souveraineté économique au contour actualisé, en ce qu’elle suppose d’abord du « made in Niger ». Il faut l’élever en établissant des priorités claires dans les domaines stratégiques de l’économie qui implique la sécurité nationale. Ce contour ouvrira sur une doctrine nigérienne de la souveraineté planifiée.
La bonne nouvelle : à cœur vaillant, rien n’est perdu sur le front de la souveraineté économique !
Je me trompe peut-être, mais j’estime que la transformation vers la souveraineté entière tant souhaitée pour notre pays qui est désindustrialisé et est encore trop importateur des produits de consommation courante essentiels, en particulier en matière alimentaire, et qui fait face à des injustices majeures telles que les inégalités de naissance et le chômage de masse, peut être un processus complexe mais réalisable, sous certaines conditions :
1. Évaluation des ressources et des besoins : il est important de réaliser une évaluation précise des ressources naturelles du pays, telles que les mines et les gisements pétroliers. Cela permettra d’identifier les avantages comparatifs et de déterminer comment les utiliser de manière durable et équitable. Il serait à ce sujet confortable voire essentiel de créer une coalition trans-idéologique solide englobant les principaux groupes pressions de la société civile, les leaders politiques, les principaux acteurs économiques et les décideurs publics dans le pays.
2. Élaboration d’une vision à long terme : une fois les ressources et les besoins évalués, il faut travailler sur la définition d’une vision économique à long terme pour le pays. Cette vision devrait inclure des objectifs économiques clairs, tels que la diversification économique, la création d’emplois et la réduction de la pauvreté.
Il peut être utile de mettre en place un comité national consultatif d’experts indépendants pour étudier la question de l’exploitation efficiente et durable des ressources naturelles non renouvelables et contracycliques sur le long terme, dans une perspective transgénérationnelle et formuler des recommandations. Ce comité pourrait être composé d’experts issus de divers domaines tels que l’environnement, l’économie, la géologie, le droit, l’histoire, etc., qui travaillent de manière indépendante pour évaluer les politiques et les pratiques en matière d’exploitation des ressources non renouvelables. L’objectif serait de garantir une utilisation durable de ces ressources, en prenant en compte les aspects économiques, sociaux et environnementaux, et en assurant une prise de décision éclairée pour les générations actuelles et futures.
3. Adoption de politiques économiques responsables : les priorités économiques doivent s’appuyer sur des politiques économiques responsables et durables pour éviter les pièges courants tels que la dépendance excessive aux ressources naturelles et la corruption. Des normes solides en matière de gouvernance, de transparence et d’investissement responsable doivent être mises en place.
Personnellement, j’ai beau avoir recherché dans l’histoire économique des nations, je n’ai pu trouver d’exemple précis d’un pays qui se soit industrialisé sans aucun investissement public ou interventionnisme de l’État. L’histoire montre que de nombreux pays ont bénéficié de mesures gouvernementales pour soutenir leur développement industriel.
L’un des exemples les plus souvent cités est le cas du Royaume-Uni à partir de la Révolution industrielle. Bien que le secteur privé ait joué un rôle prépondérant, le gouvernement britannique avait adopté des politiques favorables à l’industrialisation, notamment la construction de canaux et de chemins de fer, la protection des droits de propriété et l’encouragement à la création de manufactures.
De même, les États-Unis ont connu une industrialisation rapide au XIXe siècle grâce à des initiatives gouvernementales telles que la Politique du Mérite, qui encourageait l’immigration de travailleurs qualifiés, la construction de chemins de fer transcontinentaux et l’adoption de tarifs douaniers protecteurs pour l’industrie.
Il convient de noter que tous ces exemples ont des nuances et des degrés variés d’interventionnisme étatique amis l’idée d’un pays s’industrialisant complètement sans intervention de l’État est donc peu réaliste dans le contexte historique, même si elle est prônée depuis des décennies par les Institutions de Bretton Woods pour des pays comme le nôtre. Il est facile de constater que le déclin de notre industrie manufacturière coïncide avec le désengagement des acteurs publics dans le secteur à l’époque des programmes d’ajustement structurel imposés.
4. Promotion d’une exploitation éthique de l’industrie minière et pétrolière : exploiter les ressources du sous-sol inexploitées peut être une source de revenus importante pour le pays. Il est essentiel d’attirer des investissements dans l’exploration, l’extraction et la transformation des minéraux et du pétrole afin de générer des revenus et promouvoir un développement économique diversifié.
5. Développement de l’agriculture et de l’agro-industrie : investir dans l’agriculture et encourager les exploitations locales est crucial pour réduire la dépendance aux importations alimentaires. La promotion de l’agro-industrie peut créer des emplois, développer la chaîne de valeur agricole et stimuler la croissance économique. Cela peut être réalisé en fournissant des incitations fiscales et des subventions aux agriculteurs, en promouvant les technologies agricoles modernes et en renforçant les infrastructures rurales.
6. Promotion des énergies disponibles et des énergies propres ou renouvelables : investir stratégiquement et opportunément dans le mix-énergétique peut réduire les coûts et la dépendance de notre pays aux importations énergétiques pour les besoins de nos industries et de nos ménages. Cela peut également favoriser l’accès à l’énergie pour les populations locales, stimuler l’innovation et créer des emplois dans le secteur.
7. Investissement dans les infrastructures de transport et les technologies : investir dans des infrastructures de transport telles que des routes, des ponts et des aéroports ainsi que les NTIC peut faciliter le commerce, attirer les investisseurs étrangers et réduire les coûts liés à l’enclavement du pays. Cela peut également stimuler le tourisme et favoriser le développement régional.
8. Promotion de l’industrie, de l’entrepreneuriat et du secteur privé : encourager l’investissement privé dans les industries de transformation et le développement d’entreprises locales permet de créer des emplois, de stimuler l’économie et de réduire le chômage de masse. Attirer l’investissement privé national et étranger est essentiel pour développer des secteurs économiques diversifiés et stimuler la croissance. Ceci peut être réalisé en créant un environnement propice aux affaires, en améliorant les infrastructures, en mettant en place des politiques réglementaires claires et stables, en éliminant les obstacles bureaucratiques, en améliorant l’accès au crédit pour les entreprises, en garantissant la protection des investissements et en luttant contre la corruption. L’État peut également envisager des partenariats public-privé pour mobiliser des ressources supplémentaires et partager les risques liés aux investissements de manière éthique.
9. Investissement dans l’éducation et la formation : promouvoir l’éducation et la formation de la main-d’œuvre afin de répondre aux besoins économiques du pays est crucial. Cela nécessite des investissements dans le système éducatif, l’accès à l’éducation pour tous et le développement de programmes de formation professionnelle et technique adaptés aux besoins du marché du travail et aux réels besoins des populations. Mettre l’accent sur l’éducation de qualité, de la petite enfance à l’enseignement supérieur, pour tous les citoyens est essentiel pour lutter contre les inégalités de naissance et promouvoir la méritocratie. Cela permet d’améliorer le capital humain du pays, d’augmenter les chances d’emploi et de favoriser l’innovation et la productivité.
10. Promotion de la recherche et du développement : investir dans la recherche scientifique et technologique permet de valoriser les ressources minières et pétrolières du pays. Conditionner la capitalisation dans le secteur des industries extractives contracycliques à un minium de préférence nationale confortable serait utile. Cela permet d’optimiser l’exploitation de ces ressources, de diversifier l’économie et de stimuler l’innovation dans d’autres secteurs clés.
11. Mobilisation de la diaspora prospère : impliquer et mobiliser la diaspora prospère capitalistiquement et intellectuellement peut être un atout majeur pour le développement économique du pays. Encourager les investissements directs dans les industries extractives stratégiques, par exemple, faciliter les transferts de compétences et de connaissances, promouvoir les partenariats avec la diaspora, promouvoir sa rémigration capitalistique et intellectuelle contribuent à la croissance économique et à la création d’emplois.
12. Promotion d’une gouvernance transparente et de la lutte contre la corruption : assurer une bonne gouvernance, la transparence et la lutte contre la corruption est fondamental pour attirer les investissements, promouvoir la confiance et garantir une redistribution équitable des bénéfices issus des ressources naturelles.
13. Engagement envers le développement durable : prendre des mesures pour préserver l’environnement et promouvoir le développement durable est déterminant Cela peut inclure la protection des écosystèmes fragiles, la promotion des énergies renouvelables, la gestion responsable des ressources naturelles et la lutte contre la pollution.
14. Consultation et participation citoyennes : faire participer de façon adaptée la population dans le processus décisionnel est décisif. Des consultations publiques, des organisations de la société civile et une presse libre peuvent aider à identifier les priorités économiques et à garantir que les décisions prises sont conformes aux intérêts du pays et de ses citoyens.
Après viendra la question de la monnaie, de la nécessité ou non d’avoir sa propre monnaie nationale lorsqu’on aspire à la pleine souveraineté dépend de plusieurs facteurs et perspectives.
La souveraineté monétaire est, de nos jours, écornée par abandon volontaire du privilège de battre monnaie (pays de la zone franc CFA) ou involontaire par émission subie de monnaies fiduciaires apatrides issues de la technologie blockchain. Le taux de change du franc CFA alimente la croissance des excédents de certains comme la Côte d’Ivoire. Il frustre de leur effort les populations des autres, comme le Niger. Il leur est presqu’impossible de recouvrer un niveau de compétitivité adéquat pour réindustrialiser leur économie et rétablir balance de paiements et équilibre budgétaire, hors industries extractives stratégiques. La souveraineté monétaire de la zone « UEMOA » est donc une souveraineté en trompe-l’œil. Elle déshabille les États de leur pouvoir régulateur et est un générateur potentiel de crises sociales. Cela ne signifie pas forcément que les États doivent arrêter de partager leur souveraineté, mais bien qu’ils de ne doivent pas la partager sans contrepartie réelle (voir répartition des sièges et pouvoirs dans la zone UEMOA avec un pays qui gouverne la BCEAO depuis sa création sans perspective de rotation pour les autres et un pays, le nôtre, qui n’exerce exécutif en chef ni n’abrite le siège d’aucune des institutions).
Tout d’abord, avoir sa propre monnaie nationale offre un certain niveau de contrôle et d’indépendance économique. Une monnaie nationale permet de mener une politique monétaire adaptée aux besoins spécifiques du pays. En ajustant les taux d’intérêt, la masse monétaire ou encore les taux de change, un pays peut influencer sa situation économique, stimuler la croissance ou contrôler l’inflation.
De plus, une monnaie nationale offre une possibilité de protection contre les chocs économiques externes. Lorsqu’un pays utilise une monnaie étrangère ou pilotée de l’extérieur, il est vulnérable aux fluctuations de cette monnaie et aux politiques monétaires d’autres pays. En ayant sa propre monnaie, un pays peut mieux faire face aux crises économiques en ajustant sa monnaie selon les besoins.
Cependant, avoir sa propre monnaie nationale implique également des défis et des contraintes. La gestion d’une monnaie nécessite des ressources techniques et humaines importantes pour assurer sa stabilité et son bon fonctionnement. Il faut également être en mesure de garantir la crédibilité de la monnaie sur les marchés internationaux afin qu’elle soit acceptée et utilisée dans les échanges commerciaux.
Par ailleurs, avoir sa propre monnaie nationale peut également entraîner des coûts supplémentaires en termes de transactions internationales, notamment en ce qui concerne les frais de change et les coûts liés à la conversion de la monnaie étrangère.
La décision d’avoir ou non sa propre monnaie nationale dépend donc des objectifs économiques, politiques et pragmatiques du pays. Elle doit être prise en considérant les avantages et les inconvénients, ainsi que les contraintes et les opportunités que cela représente.
Hamma HAMADOU