Il y a de cela quelques jours les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel ont annoncé quitter la CEDEAO ; que pensez-vous de cette décision ?
Cette décision est venue à point nommé compte tenu des difficultés que rencontrent nos pays. Cela fait aujourd’hui 6 mois que nos frontières sont fermées, nos avoirs qui sont logés au niveau de la BCEAO sont gelés dans l’espace UEMOA et CEDEAO. Ce sont, non seulement les avoirs de l’Etat du Niger mais aussi les avoirs de toutes les institutions publiques et même privées qui ont des relations avec les organes de la transition et ceux des hommes d’affaires, des sociétés privées. Cela est inadmissible ! Ces deux institutions ont pour mission de promouvoir l’intégration économique et monétaire, la libre circulation des biens et des services entre les États membres. Le rôle de l’UEMOA est de renforcer la compétitivité des activités économiques et financières des États membres dans le cadre d’un marché ouvert et une ouverture dans un environnement juridique, rationalisé et harmonisé.
Au niveau de la CEDEAO il y a quatre chefs d’Etat mal élus, ce sont eux qui sont en train d’entraîner les autres chefs d’Etat qui sont plus ou moins légalement élus. Quand vous voyez comment les élections se sont passées dans l’espace UEMOA et CEDEAO, ce sont des élections qui sont supervisées par l’Union Européenne qui vient avec des subventions et des observateurs. Lors des élections les procès-verbaux sont falsifiés. Et ils s’arrangent toujours pour imposer le chef d’Etat qui leur convient. Ces chefs d’Etats quand ils viennent au pouvoir au lieu d’aller dans le sens des intérêts de leurs peuples ils font ce que la France dicte ou les États Unis. Et c’est cela qui amène des soulèvements et des mécontentements des populations et l’armée issue du peuple est obligée de sortir pour arbitrer. C’est pourquoi, je trouve que cette décision de sortir de la CEDEAO, est même venue en retard. Vous ne pouvez pas rester dans une organisation qui ne respecte pas ses textes. Le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont créé une Alliance des États du Sahel. Cette alliance a déjà prévu de créer sa propre monnaie, de créer sa banque centrale, de créer sa banque d’investissement et de développement. Elle a prévu de créer sa zone monétaire, de créer une zone de libre-échange. Toutes ces institutions seront bientôt mises en place et c’est une des raisons qui a fait qu’ils ont pris leurs responsabilités.
Quelles peuvent être les conséquences d’une telle décision sur les trois Etats ?
Je conseille à ces trois Etats de vite mettre en place leur Secrétariat exécutif et de se mettre au travail. La monnaie qui est prévue, il faut vite la créer et trouver un système de transition avec le franc CFA. Nous allons sortir du CFA mais il y a une période de transition et c’est obligatoire. En réalité, les pays de la CEDEAO n’ont pas prévu que ces trois (3) pays-là avaient le courage de sortir et de prendre déjà attache avec d’autres puissances. Ces pays ne peuvent rien contre le Niger, militairement ils ne peuvent pas nous attaquer. La Russie et la Chine sont là. Normalement quand on est avec des puissances comme la Chine, la Fédération de la Russie, l’Inde, le Pakistan, la Turquie, l’Iran on ne devrait pas avoir peur puisque ces pays sont d’accord à coopérer avec nous de manière gagnant-gagnant et à respecter nos valeurs socioculturelles. Ces pays ne s’ingèrent pas dans nos affaires intérieures pourtant leurs investissements sont plus importants que les investissements français au Niger. Au contraire, je pense que les conséquences seront plus négatives sur le Bénin qui risque de perdre le Niger, le Mali et le Tchad, puisque les importations de ces trois pays passent par le port de Cotonou. Ce sera une perte énorme pour l’économie béninoise. L’avantage qu’on va tirer est énorme puisque le Nigeria ne peut pas fermer ses frontières avec le Niger. Nous avons quitté la CEDEAO mais on a des accords bilatéraux avec les pays. Nous avons une commission mixte Nigéro-Nigériane. Aucun chef d’Etat Nigérian ne peut venir remettre en cause les relations entre le Niger et le Nigeria et rester au pouvoir.
Les gens s’inquiètent notamment sur la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, est ce que selon vous ces inquiétudes sont fondées ?
Non ces inquiétudes ne sont pas fondées, entre le Niger et le Nigeria, il y’a une commission mixte qui est là, elle est présidée par un Nigérian secondé par un Nigérien. Le problème de libre circulation des personnes et de leurs biens n’existe pas entre le Niger et le Nigeria, ni entre le Niger et le Benin. C’est dans la tête des Nigériens et des français qui ne connaissent pas la réalité de nos relations économiques interafricaines. Je crois que l’avenir va nous édifier. Le Nigéria ne peut pas vivre sans le Niger tout comme le Niger ne peut vivre sans le Nigeria.
Comment devront être les relations entre le Niger et les autres pays de la CEDEAO lorsque cette décision deviendra effective ?
Elle est déjà effective puisque c’est sans délais et la relation avec le Nigeria est là, il n’y a aucun problème. C’est avec la CEDEAO que nous ne sommes pas d’accord puisqu’elle ne respecte pas ses conventions. C’est avec elle que les relations sont rompues, donc ils ne peuvent pas dire que les Nigériens ne peuvent pas aller en côte d’ivoire sans visas ce n’est pas possible, ce sont des conventions qui sont signées à moins qu’ils remettent en cause toutes ces conventions. En réalité, la CEDEAO est en train de regretter, elle pensait que nos pays étaient faibles de caractère à aller suivre leur dictature. Ils sont en train de voir comment s’en sortir. Je ne pense pas que les pays de l’AES puissent lui faire des concessions, la seule concession qu’ils peuvent lui faire c’est peut-être de rester à condition que la CEDEAO soit réformée. Telle qu’elle est en train d’être dirigée, aucun pays sérieux ne peut accepter de rester. La CEDEAO et l’UEMOA risquent d’être disloquées par l’irresponsabilité des dirigeants qui n’ont pas su bien gérer cette crise.
Le Niger est encore membre de l’UEMOA, est-ce à dire le retrait de la CEDEAO va impacter son appartenance à cette autre organisation ?
La CEDEAO s’est arrangée pour inviter l’UEMOA à ses réunions. Dans les textes, la CEDEAO n’a pas le pouvoir de geler nos avoirs financiers, puisque nous ne partageons pas les législations monétaires avec certains pays membres de ladite organisation. Avec eux, c’est uniquement économique c’est une commission économique. Toutes les décisions ont été prises avec l’UEMOA et certainement cela va impacter nos relations avec cette organisation. Il est évident que nous allons nous retirer de l’UEMOA lorsque la monnaie de l’AES va sortir. Je ne sais pas ce qui tarde mais sûrement qu’ils vont faire à l’UEMOA la même chose que la CEDEAO puisqu’elle ne respecte pas ses textes. Dans l’article 14 qui crée cette organisation, il est interdit de geler les avoirs, les capitaux d’un particulier, à plus forte raison ceux d’un Etat. C’est un délit. Mais l’UEMOA l’a fait, cela fait 6 mois aujourd’hui que nos milliards sont gelés à la BCEAO.
Quelles perspectives pour le Niger et les deux autres pays de l’AES ?
Les perspectives sont bonnes. L’avantage qu’on aura lorsqu’on aura notre monnaie au taux d’échange, c’est nous qui allons gérer notre économie. Nous pouvons la dévaluer ou la faire élever en fonction de l’importance des exportations ou des importations. Avec le système CFA, ce sont les français qui décident. L’intérêt qu’on a c’est qu’on sera maître de notre souveraineté monétaire, car celui qui a sa souveraineté monétaire à sa souveraineté économique. Nous aurons une emprise sur nos recettes, sur nos matières premières. Ils seront obligés de coopérer avec nous de manière équitable. Avant on nous imposait des conditions difficiles qui nous rendent toujours pauvres. Cela est inadmissible pour un pays comme le Niger qui est producteur du pétrole, de l’uranium bientôt de lithium. Chaque fois qu’on fait un classement nous sommes derniers. C’est incompréhensible !
Propos recueillis par Aminatou Seydou Harouna (ONEP)