Enervé par les critiques formulées par les populations du Sahel sur le caractère anachronique des relations qui lient la France et l’Afrique francophone depuis plus de 60 ans, en particulier dans la gestion de la crise sécuritaire au Sahel ainsi que par les assauts de la jeunesse africaine contre le Franc CFA, le Président français a décidé de leur impulser une nouvelle dynamique.
C’est au cours de son voyage en Côte d’Ivoire, le 21 décembre 2019 que M. Emmanuel Macron a déclaré vouloir « changer les relations avec le continent africain », allant jusqu’à dire avec un certain aplomb : « Rompons les amarres !» en parlant de la monnaie CFA, tant décriée par la jeunesse africaine. Avec le Président Ouattara, ils vont créer une monnaie dénommée « ECO «, du même nom que celle de la CEDEAO : on l’aura compris, il s’agissait d’un véritable coup de Jarnac, étouffant dans l’œuf, l’initiative de l’Organisation sous régionale.
Mais l’histoire s’est accélérée et la France se retrouve rattrapée par son passé si peu glorieux en Afrique. Au nom de ses intérêts, la France a soutenu financièrement et militairement la guerre de sécession du Katanga, du Biafra ainsi que l’UNITA de Jonas Savimbi pendant la guerre de libération de l’Angola menée par le MPLA d’Agostino Neto. Le point commun de toutes ces alliances, c’est la possibilité d’accéder aux ressources minières et énergétiques de ces pays, en récompense de son soutien. Les peuples n’ont pas la mémoire courte.
Rappelons quelques faits :
– La guerre de sécession du Katanga : en 1960, Paris prit fait et cause pour Moïse Tschombé, le leader sécessionniste qui proclama l’indépendance du Katanga le 11 juillet 1960. Pierre Péan explique : « Les intentions de la France sont claires : contrecarrer les visées d’autres pays sur les richesses du Katanga. Cette province – qu’on appelle aujourd’hui le Shaba- est un miracle géologique : elle renferme dans son sous-sol environ 10 % des réserves mondiales de cuivre, 60 % de l’uranium destiné à l’Occident et 73 % de son cobalt, sans parler des diamants industriels et autres matières premières…»
– La guerre de sécession du Biafra: en 1967, le Lieutenant-Colonel Chukwuemeka Ojukwu proclame l’indépendance de la province du Biafra. De Gaulle souhaite épauler le Biafra et affaiblir le Nigéria, mastodonte inquiétant pour quatre de ses protégés à savoir le Dahomey (actuel Bénin), le Niger, le Cameroun et la Cote d’Ivoire. A la demande de Foccart et d’Houphouët-Boigny, le Général De Gaulle accepte de s’engager plus officiellement et militairement aux côtés du Biafra que la Côte d’Ivoire reconnaît comme Etat indépendant le 14 mai 1968. Le Président gabonais Omar Bongo ne fut pas en reste. Convaincu par Houphouët-Boigny, il pensait que « c’est une utopie que le Nigéria, avec ses cinquante millions d’habitants, puisse subsister sous sa forme actuelle…»
Cette guerre se termina avec plusieurs millions de morts et au détriment de la compagnie pétrolière ELF qui opérait déjà au Nigéria depuis 1964.
– La guerre de libération de l’Angola : la France, une fois de plus, s’illustra dans cette guerre menée par le MPLA (Mouvement Populaire de Libération de l’Angola du Dr. Agostino Neto) en prenant fait et cause pour le sécessionniste Jonas Savimbi de l’UNITA (Union pour la libération Totale de l’Angola), en raison de ses visées sur le pétrole de l’enclave du Cabinda.
On n’évoquera pas d’autres prises de position malheureuses (génocide rwandais, déportation du Président Laurent Gbagbo et autres assassinats de leaders africains) qui restent dans la mémoire collective des africains et suscitent la méfiance dans les rapports « amicaux » que la France veut entretenir avec nos pays. Chaque fois qu’elle estime que ses intérêts sont menacés, elle montre son vrai visage de pays néocolonialiste.
En vérité, cette France-là n’a plus d’idées neuves pour l’Afrique. Aussi, est-elle en déphasage complet sur les événements qui ont cours aujourd’hui dans la sous-région.
Nous sommes dans le même cas de figure au Sahel où depuis 2012-2013, des bandes terroristes sèment la désolation dans nos pays, souvent avec la complicité de citoyens antipatriotiques et véreux, nichés dans les sphères du pouvoir.
Après plusieurs années d’épreuves subies par nos peuples, l’appréciation souveraine portée par les Forces de Défense et de Sécurité sur les résultats de l’appui français dans la guerre contre l’insécurité les a amenées à congédier l’armée française sans autre forme de procès. Ce furent d’abord le Mali, puis le Burkina-Faso, qui, dans un sursaut de redressement national, ont balayé par un coup d’Etat les régimes en place. Jamais deux sans trois : le 26 juillet 2023, le Niger emboîte le pas suite au coup d’Etat qui mit fin au régime de Bazoum Mohamed avec la prise de pouvoir par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP). Il est pour le moins surprenant que la France s’étonne et tonne contre cette nouvelle situation créée par elle-même du fait de la politique de domination et d’asservissement des peuples de la sous-région.
Rappelons que lors des débats du Sénat sur la ratification des Accords de coopération de 1961, le sénateur français Louis Namy (Communiste) avait déjà prévenu le Gouvernement gaulliste français sur les risques de la perpétuation de la domination française sur ses ex-colonies : « …Avec ces accords que nous discutons aujourd’hui, nous constatons que l’on est encore contraint d’aller un peu plus loin dans la modification des formes, mais les peuples d’Afrique sont maintenant arrivés à un degré de maturité telle qu’ils n’acceptent plus de chaînes, fussent-elles dorées. Même les dirigeants les plus conciliants de ces peuples sont contraints de tenir compte de leurs aspirations et de leur volonté d’en finir avec la domination coloniale, sous quelque forme qu’elle puisse se présenter…Les peuples d’Afrique, croyez-nous, ne sont pas dupes. D’ores et déjà, ils jugent sévèrement les dirigeants africains qui se font les auxiliaires du colonialisme moderne et s’efforcent d’enchaîner l’Afrique au char cahotant de ce que l’on appelle l’Occident…Ce n’est pas ce que veulent les peuples d’Afrique. Ce qu’ils veulent, c’est une véritable indépendance, sans restriction, sans arrière-pensée…Vouloir aller contre cette volonté avec des moyens astucieux, c’est aller au-devant de nouveaux déboires pour la France. La marmite africaine est en pleine ébullition. Vouloir mettre dessus un couvercle est dangereux, à plus forte raison si l’on s’assied sur ce couvercle pour l’y maintenir de force ! »
Malheureusement le sénateur ne fut pas entendu. Et pour cause !
Les accords dits de « coopération », étaient conçus pour pérenniser les intérêts de la France dans les pays colonisés et spolier les ressources de ces pays, ressources pourtant essentielles pour assurer la réalisation des programmes de développement économique et social en faveur des peuples africains qui se trouvent ainsi réduits à vivre sous anesthésie de l’«aide ». Pour parvenir à ses fins, la France propulsait au pouvoir des dirigeants dont les peuples ne voulaient pas mais qui lui étaient ‘utiles’ en qualité de « garde-chiourme » qu’elle maintenait au pouvoir pour un bail à leur convenance. En un mot, cette politique visait à garantir l’eldorado au peuple français ainsi que la grandeur de la France tout en maintenant dans la misère les peuples africains propriétaires de ces ressources.
C’est la fin de ce « deal » contre nature et de ce système inique d’exploitation que les peuples du Sahel réclament. Et l’heure est en effet venue. La France doit savoir raison garder. Les sautes d’humeur ne peuvent pas ébranler la volonté des peuples de s’affranchir une bonne fois pour toutes de cette tutelle qui les rabaisse à la condition de sous-homme.
Depuis le 26 juillet 2023, le Niger, pays jusqu’alors peu connu dans le concert des nations, occupe l’actualité mondiale et fait craindre même une conflagration de grande ampleur dans la zone ouest-africaine et bien au-delà. La France est à la manœuvre. En effet, elle ne se contente pas de condamner un coup d’Etat, qui reste et demeure jusqu’à preuve du contraire une affaire interne d’un pays, mais exige la remise en selle pure et simple du Président déchu, si besoin est par la guerre contre le Niger. Voilà l’amour que cette France nous porte, entraînant dans son sillage le Nigéria du nouveau Président Tinubu et la Côte-d’Ivoire d’Alassane Dramane Ouattara. Comme à son habitude, c’est la crainte de perdre l’accès aux ressources du Niger qui a affolé le Président français Emmanuel Macron, plus soucieux de préserver l’intérêt de la France que la vie des Nigériens et l’amitié qu’il prétendait vouer aux anciens Dirigeants.
Le peuple nigérien est un peuple pacifique, respectueux des hautes valeurs de la civilisation africaine que sont notamment l’unité, la solidarité et le respect du bon voisinage. Et ces valeurs sont partagées par les peuples fiers du Mali, de la Guinée et du Burkina-Faso qui n’ont pas hésité une seconde pour se ranger en ordre de bataille aux côtés du peuple nigérien.
Il faut rappeler aussi que c’est au nom de ces valeurs que le Niger s’est dressé contre la France et la Côte-d’Ivoire qui soutenaient ouvertement la sécession de la province du Biafra. Ce soutien multiforme nigérien permit aux forces du Général Yakubu Gowon de remporter la victoire et de préserver l’unité de la République Fédérale du Nigeria. Interrogé sur ce choix, le Président Diori Hamani répondit : «Il arrive des moments où, ce qui est bon pour la France, ne l’est pas pour le Niger».
Aux dernières nouvelles, la France ne démord pas de faire sa guerre au Niger. A coup sûr elle perdra notre amitié, comme le réclame le peuple. Mais elle perdra aussi cette guerre-là, comme hier au Viet-Nam et en Algérie. Elle sera étonnée, elle et ses alliés apatrides ainsi que les traîtres éternels de l’Afrique, de la détermination des Nigériens à défendre leur patrie.
Il convient de préciser qu’en parlant ainsi, nous visons la France politique néocolonialiste. De nombreux français luttent aux côtés des peuples africains pour la liberté et la justice. Sans compter les liens familiaux et d’amitié qui sont noués entre les citoyens des deux pays.
Si le Niger perturbe aujourd’hui le sommeil du Président français, il y a lieu de relever que depuis plus de dix ans, nulle part et à aucun moment, la France n’a élevé la voix contre les atteintes à la démocratie lors des élections pourtant contestées au Niger ; de même, elle s’est tue face aux violations flagrantes et répétées des droits humains fondamentaux dont ont été victimes les populations nigériennes sous le magistère du régime déchu. Mais le peuple nigérien est résolu à écrire lui-même sa propre histoire dans l’honneur, la dignité et la pleine conscience de ses aspirations à un meilleur devenir car les ressources dont il dispose peuvent le lui permettre. Aujourd’hui a sonné l’heure d’une aube nouvelle, l’heure de rompre vraiment les amarres.
Ainsi, grâce à la mobilisation et à la détermination des peuples du Sahel, la jeunesse en tête, le rêve africain de liberté se rapproche. Il restera à éliminer, avec le même engagement, les scories de la démocratie tropicalisée qui retardent l’avènement de véritables Etats de droit, capables de fédérer les énergies et d’investir les immenses ressources de nos pays pour assurer la paix et le bien-être des populations, comme il est dit dans toutes les constitutions. Si cette avancée positive peut se réaliser par la rupture des amarres, alors pourquoi pas ?
Déjà se profile la gestation d’un nouvel ensemble étatique réunissant la Guinée, le Mali, le Burkina-Faso et le Niger. Les peuples de ces pays le demandent.
Vive le Niger libre !
Adamou Idé,
Administrateur civil (ER)
Poète/Ecrivain/ Grand Prix Boubou Hama
Officier de l’Ordre National