Le septième art nigérien connaît depuis quelques années une évolution considérable sur la scène internationale. En effet, depuis ses débuts, bien que les époques diffèrent, la production cinématographique nigérienne a toujours répondu aux attentes des téléspectateurs. Avec les moyens de bord, portés par la passion de l’art, des cinéastes réalisent des œuvres inspirées de leur milieu, retraçant les réalités de la culture nigérienne à travers des documentaires et fictions. Ce travail est récompensé par des distinctions et de grands prix internationaux décernés aux cinéastes Nigériens qui ont marqué leur passage dans le domaine.
Le Niger figure parmi les premiers pays africains à avoir des vocations pour le cinéma dans les années 60. Il a pris ainsi son envol avec le réalisateur et ethnologue Jean Rouch, qui fut le premier européen à avoir tourné des documentaires sur les peuples africains. Acteur vedette, de Jean Rouch dans ‘’Moi un Noir’’, puis assistant réalisateur, Oumarou Ganda fut le premier grand réalisateur Nigérien de film de fiction. Peu de temps après, le 7ème art nigérien a connu sa première consécration avec Moustapha Alhassane qui avait obtenu le prix du film d’animation au premier Festival Mondial des Arts Nègres à Dakar, en 1966, avec son film ‘‘Mort de Gandji.’’ Cabascabo de Oumarou Ganda fut le premier film africain sélectionné au Festival Cinématographique de Cannes en 1960 et en 1969, il a obtenu le Grand prix jury au festival de Moscou en Ex-URSS.
Parmi les grands noms du cinéma nigérien figure Gatta Abdourahmane qui fut distingué «caméra d’or» au Fespaco pour son film ‘‘Gossi’’ ; la même année il fut lauréat du scénario pour la Case vision habitat UNESCO à Nairobi. En 1990, l’actrice Zalika Souley a reçu les ‘’insignes du mérite culturel ‘’ de la Tunisie, en marge des 13ème journées cinématographiques de Carthage.
Le Niger dispose d’une importante potentialité d’hommes et de femmes réalisateurs, comédiens, metteurs en scène, des opérateurs de prise de vues et de son, bref toutes les couches socioprofessionnelles intervenant dans le domaine du cinéma. Ainsi, pour rattraper le temps perdu et redonner au cinéma nigérien ses lettres de noblesses, une nouvelle vague de jeunes cinéastes plein de talent fortement marqués par le documentaire et la fiction font leur entrée sur la scène.
Un cinéma qui s’affirme de plus en plus
Petit à petit le cinéma nigérien se refait un nom sur le plan international. Du documentaire à la fiction, les films sont en majorité tournés en langues locales qui décrivent et dénoncent des faits sociaux en adéquation avec la religion, notamment l’islam, le vécu quotidien et les coutumes. C’est le cas du cinéaste, réalisateur et producteur Sani Magori, qui dit avoir embrassé le cinéma par passion. « C’est quelque chose qui était en moi et qui s’est réveillé suite à ma rencontre avec Malam Saguirou qui avait déjà sa boite de production de films », a-t-il expliqué.
Réalisateur chevronné, Sani Magori a, à son compte plusieurs films documentaires qui reflètent la vie des Nigériens. Il est connu pour ses réalisations documentaires ‘’Notre pain capital ’’ ; « Pour le meilleur et pour l’oignon’’ ; « Koukan Kurcia » ou ‘’le cri de la tourterelle ’’ ; les ‘’médiatrices ‘’ et autres. « Pour la réalisation de mes films, a-t-il dit, je ne cherche pas très loin de moi. Ce sont des observations, mes expériences et les vécus des autres. Je ne tourne que des documentaires qui ont trait aux faits de société », a-t-il indiqué.
En effet, selon lui, la fonction essentielle de la culture est de rappeler aux uns et aux autres nos origines, de nous donner le repère de qui nous sommes. Le cinéma, a-t-il déclaré, est un métier qui permet à la société de trouver son repère. Le cinéma est un art qui permet en un temps de montrer le pan de toute une vie, de montrer beaucoup de choses que le regard, et les oreilles ne peuvent voir et entendre qu’à travers le cinéma. Aujourd’hui, a-t-il confié, beaucoup de jeunes, même si ce ne sont pas leurs principales activités, s’adonnent à la pratique du métier.
Cependant, malgré cette affluence des jeunes dans le domaine, ce qui, selon lui, représente quelque de chose de positif, le manque de financement demeure un impact majeur. « Il n’y a pas des structures qui financent véritablement le cinéma. Un film court métrage de nos jours consomme environ 60 millions de budget. Or, il y a des gens au Niger qui jouent avec un budget de 100.000 F voire 25.000 F, donc, face à un tel budget, on ne peut pas demander à ce film de répondre aux normes de films bien travaillés », a indiqué le cinéaste Sani Magori.
Directeur Général du Centre National de la Cinématographie du Niger de 2018 à janvier 2024, un établissement créé par l’Etat en 2008, pour mener à bien la politique cinématographique du Niger, M. Sani Magori a soutenu que, sous sa direction, plusieurs réalisations ont été faites. A cet effet, a-t-il dit « quand, j’étais venu nous avons réuni les professionnels du cinéma pour les responsabiliser, les inciter à créer des associations professionnelles. Nous avons redoré l’image internationale au cinéma nigérien en accompagnant nos cinéastes dans des festivals internationaux, en leur ouvrant des portails pour qu’ils puissent avoir des connexions pour continuer leurs œuvres ». « Chaque année, le Niger est bien représenté au festival de CANNES et au FESPACO. Nous avons, grâce à notre détermination, décroché à Abidjan le prix clap ivoire convoité par beaucoup de cinéastes. Nous avons récemment réalisé la statuette d’Oumarou Ganda au FESPACO », a-t-il souligné.
Le cinéma comme vecteur de paix et de création d’emplois
Depuis plusieurs années le Niger est confronté à une insécurité endémique et à des attaques récurrentes qui sont aujourd’hui, à la base de la fermeture de plusieurs écoles, déscolarisant ainsi les enfants et causant des personnes déplacées dans plusieurs régions du Niger. Également, depuis le 26 juillet dernier, le Niger connaît une réécriture de son histoire. Ainsi, en faisant connaître la culture, les vertus ancestrales, tout en dénonçant les injustices, les films et documentaires des cinéastes nigériens, entendent contribuer à la construction et à la promotion de la paix à travers le pays.
Selon Moussa Hamadou Djingarey, directeur de MD- DIGITAL VIDEO, le cinéma est un des supports qui peut contribuer à apporter la paix. « Aujourd’hui, avec tout ce que nous sommes en train de vivre comme souci, si on produit des films dans lesquels nous parlons de citoyenneté responsable, de patriotisme et tout, je vous assure que l’impact sera positif », affirme Moussa Djingarey, cinéaste-réalisateur et producteur.
Le bon cinéma, selon lui, peut aider à créer de l’emploi, et même aider à nourrir les acteurs du domaine. « Le bon cinéma, est le cinéma bien formé où les acteurs ont eu une très bonne formation. Le bon cinéma est celui qui est bien financé, c’est seulement cela qui peut aider à booster le Produit Intérieur Brut (PIB) d’un pays. Sans cela, c’est autre chose. Il ne sort même pas de chez toi à plus forte raison aller à l’extérieur. Pour que le cinéma soit vu à l’international, il faut qu’il soit de qualité », estime Moussa Djingarey.
Le CNCN, une faille pour l’industrie cinématographique Nigérien ?
Au début, le cinéma nigérien était très bien, selon Moussa Djingarey. Les cinéastes n’étaient pas nombreux, ils avaient le soutien des autorités d’alors, mais aujourd’hui, le secteur est confronté à de multiples problèmes. « Lorsque l’Etat du Niger a créé le Centre National de la Cinématographie au Niger, on pensait que cela va changer, mais malheureusement ce n’est pas le cas. Le centre lui-même n’a pas de soutien. Un centre qui ne dispose même pas d’un budget de 50 millions dans l’année, tout ce qu’ils ont, est juste les frais de fonctionnement et les fonctionnaires vont aider qui ? On ne produit pas, donc même l’existence du centre est à revoir. Pour appuyer les cinéastes dans leurs réalisations, le centre doit avoir un fonds pour financer les productions. À cette allure, ce n’est pas possible, que le cinéma puisse se développer dans ce pays sans que le centre qui ait été créé ne soit alimenté », a-t-il expliqué.
Après un temps mort, ça commence à évoluer. « On a une nouvelle génération dynamique qui, avec un peu de soutien, fera parler du cinéma nigérien. C’est pourquoi j’encourage la jeunesse qui s’est lancée dans le domaine à ne pas s’attendre à des financements, à des millions, parce que cela n’existe plus au Niger. Il faut juste continuer à faire avec vos maigres budgets », conseille Moussa Djingarey à ses jeunes frères et sœurs.
Les femmes et le cinéma
Depuis quelques années, une nouvelle vague de femme a fait son entrée dans le domaine. Ce qui est, selon plusieurs interprétations, un plus pour booster le cinéma nigérien à l’échelle internationale. Parmi cette cohorte de femmes qui embrassent la carrière de cinéaste, figure Aicha Macky qui, depuis des années, fait des prouesses et fait parler du 7ème art nigérien. Elle est plus connue dans le documentaire.
« De tous mes films, “L’Arbre sans fruit” a été ma porte d’entrée et mon carnet d’adresses dans le domaine du cinéma. Il a été aussi le film qui m’a le plus marquée. Je n’ai jamais imaginé qu’un simple carnet de vie, un journal intime que j’adressais sous forme de lettre à ma mère décédée en donnant la vie, pourrait intéresser le monde et avoir plus de 100 distinctions internationales, les unes plus prestigieuses que les autres. C’est un portrait croisé de la mort et de la vie. De la mort de ma mère, décédée en donnant la vie et de ma vie de femme qui n’arrive pas à donner la vie. Ça questionne la condition de la femme et pose la problématique d’être femme parmi les mères », a déclaré Aicha Macky.
Ainsi, pour elle, le cinéma est une passion, mais également un canal d’éducation des jeunes, particulièrement les filles. « Toute notre vie est un réservoir intarissable d’histoires. Je fais un cinéma proche des réalités sociales de mon pays. Toutes les problématiques que je traite sont des non-dits pour mettre à nu un certain nombre de comportements néfastes. C’est un cinéma utile qui, au-delà de la dénonciation, pose le débat pour que s’amorce un changement dans nos comportements de tous les jours. Pour moi, il était temps de converger vers un genre de cinéma qui instruit, inquiète. Un cinéma miroir qui nous permet de voir qui nous sommes et comment nous nous comportons, sans filtre ni maquillage. D’où les thématiques de l’infertilité, de la violence basée sur le genre, de la crise de la masculinité, du manque d’emploi des jeunes », a-t-elle mentionné.
Pour ainsi booster davantage la production cinématographique du Niger, particulièrement le leadership féminin, Aicha Macky travaille présentement sur un projet de long-métrage sur la polygamie appelé provisoirement “une tranche d’Amour”. « Je suis au stade de développement et parallèlement, je continue de conduire des formations des filles au niveau de toutes les régions du Niger. Dans la continuité de mon travail, on a collaboré avec UNICEF NIGER pour former des filles dans les communes d’intervention de l’Organisation afin de réaliser des films avec des smartphones. Ce sont des jeunes dont l’âge varie entre 14 et 22 ans et qui viennent du milieu rural, avec un niveau d’étude élémentaire pour les quelques rares qui ont été à l’école. On leur apprend à filmer, réaliser, monter et exporter un film. La seule étape qui est impossible pour elles, ce sont les sous-titres, par manque de niveau et cela n’enlève en rien le charme des films qui sont faits dans leurs langues maternelles et permettent d’engager des débats auprès de leurs communautés », explique Aicha Macky.
« Plusieurs filles et garçons que j’ai formés ont représenté le Niger à l’international et certains ont même remporté des trophées. C’est le cas de Halima Doumbia qui a raflé le Grand prix au festival Clap ivoire, la première fois que le Niger a remporté ce prix, en 22 ans d’existence », se réjouitè-t-elle.
« Nous avons plaidé auprès des organismes internationaux pour leur trouver des kits (Caméra et accessoires, banc de montage…) et à d’autres des bourses pour aller étudier dans la sous-région. Je suis certaine que ces graines semées donneront de belles œuvres sur lesquelles le Niger pourrait compter un jour. Et moi, je serai tentée de porter leurs noms sur mon Curriculum Vitae », a-t-elle conclu avec un large sourire aux lèvres.
Fatiyatou Inoussa (ONEP)